Intervention de Hugues Renson

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHugues Renson :

Je vais vous présenter la situation de politique intérieure en Italie, que nous avons découverte plus concrètement sur le terrain.

La diplomatie parlementaire est évidemment essentielle, c'est une des voies que nous ne devons pas hésiter à emprunter, car il me semble qu'entre représentants des nations, nous parlons parfois de manière plus franche, plus simple et plus directe qu'entre représentants de gouvernements. Tel a été le dialogue que nous avons eu avec nos homologues italiens.

En tant que députés, nous avons une sensibilité particulière pour ressentir une situation politique et la situation politique intérieure en Italie offre un champ d'analyse très vaste qu'il est compliqué de résumer.

La présidente a rappelé dans son propos introductif que la nouvelle coalition en Italie a opéré une forme de recentrage par rapport à ce que nous avions vécu ces derniers mois. Nous constatons aujourd'hui que nous sommes en présence de deux blocs qui n'ont toujours pas reçu, dans cette composition de coalition, « l'onction » du suffrage universel.

Nous pouvons nous interroger sur la pérennité et la stabilité d'une telle coalition.

La vie politique italienne s'est donc recentrée avec cette nouvelle coalition, ce qui a eu pour conséquence de faciliter les relations entre l'Italie et la France ainsi qu'entre l'Italie et ses partenaires européens ; les derniers mois l'ont montré. Pour mémoire, les élections législatives de 2018 ont été vécues en Italie et au sein de l'Europe comme un séisme politique, eu égard aux résultats qui avaient fait émerger cette coalition anti-système, avec une participation qui était très élevée : près de 73 % des Italiens avaient en effet participé aux élections législatives. Les résultats étaient morcelés avec trois pôles, tout d'abord une coalition de droite et du centre droit rassemblant la Ligue, Forza Italia, les Frères d'Italie et un certain nombre de partis de centre droit qui avaient recueilli environ 37 % des suffrages, puis le Mouvement 5 étoiles, populiste, qui avait recueilli 33 % des suffrages, et enfin un pôle de centre gauche, dirigé à l'époque par Matteo Renzi, qui avait recueilli 23 % des suffrages.

À cette occasion, les Italiens avaient exprimé un état d'esprit : ils ne souhaitaient pas une simple alternance, mais voulaient une majorité réellement différente, très marquée politiquement et manifestaient un refus de la politique qui était suivie depuis une quinzaine d'années par le centre gauche en Italie.

Nous avons aussi pu observer, à l'occasion de ces élections, une territorialisation du suffrage avec, dans le Nord, un vote nationaliste en faveur de la Ligue et, dans le Sud, un vote populiste en faveur des 5 étoiles. Ce vote a donc été interprété comme l'inachèvement de l'unité de la nation italienne, mettant en lumière à la fois le désarroi et la détresse de la population face aux problématiques que nous connaissons ailleurs qu'en Italie, celles de la désindustrialisation et de la crainte du sous-emploi.

Pour autant, nous avons très vite perçu que les relations entre ces formations politiques allaient être compliquées. Il y a eu plusieurs épisodes d'attaques personnelles. Le divorce entre la Ligue et les 5 étoiles est apparu pour beaucoup comme inéluctable. Dans un premier temps, il en a été autrement, puisque Matteo Salvini et Luigi Di Maio n'avaient pas de raison de rompre, mais, à l'issue de la dernière élection européenne, au mois de mai dernier, leurs relations se sont tendues. Matteo Salvini a capitalisé sur la victoire de la Ligue aux élections européennes du 26 mai dernier, ce qui s'est traduit dans les sondages d'intentions de vote par une poussée mettant la Ligue à 37 ou 38 %. Le Mouvement 5 étoiles et son dirigeant Luigi Di Maio, sortant du scrutin européen affaiblis, n'ont pu faire autrement que céder du terrain sur à peu près tous les sujets face aux partenaires de la Ligue. C'est donc dans ce contexte que la coalition a changé cet été.

Un deuxième constat peut être tiré de cette situation changeante : il existe aujourd'hui deux blocs aux contours inédits, c'est une coalition qui n'a pas reçu l'onction du suffrage. Ces deux blocs sont aujourd'hui à égalité dans les sondages d'intentions de vote en Italie.

À droite, le bloc est clairement dominé par la Ligue, loin devant tous ses autres partenaires. S'y raccrochent les formations traditionnelles, le centre droit et la vraie extrême droite italienne, Fratelli d'Italia, qui progresse aujourd'hui de 8 à 10 % ; c'est un point préoccupant. Je parle de « vraie extrême droite » pour Fratelli, car on imagine souvent en France que la Ligue est un mouvement d'extrême droite, mais elle a évolué dans les dernières années. Pour rappel, c'est un parti qui a été créé il y a à peu près trente ans, constitué par Umberto Bossi et qui était à l'origine la Ligue du Nord, une ligue régionaliste, territorialisée, décidée à demander l'autonomie et très hostile à Rome. La Ligue du Nord détestait de manière assumée les gens du sud de l'Italie, mais était pro-européenne. Progressivement, le parti a évolué, notamment sous l'impulsion de Matteo Salvini. Le parti s'est mis à critiquer l'Europe et Salvini a transformé la Ligue du Nord en Ligue nationale. Il s'est à l'évidence inspiré du modèle français du Front national, en se tournant vers une critique résolue de l'Union européenne et une critique de la politique migratoire, ainsi que Christophe Di Pompeo l'a rappelé. Il ne s'attaquait plus aux Méridionaux et a donc constitué un nouveau pôle politique qui séduit beaucoup d'Italiens aujourd'hui.

Face à ce bloc, le centre gauche est globalement aussi fort, mais beaucoup plus morcelé que ne l'est le bloc adverse, avec un Parti démocrate, aujourd'hui autour de 17 % dans les intentions de vote, un Mouvement 5 étoiles qui a massivement reflué, autour de 16 % dans les intentions de vote, et une nouvelle formation politique, lancée par l'ancien Premier ministre Matteo Renzi, Italia Viva, sur le modèle de La République en Marche en France, mais qui plafonne aujourd'hui à 5 % dans les intentions de vote.

Le contexte italien est un contexte délicat dans lequel Matteo Salvini a décidé de sortir du gouvernement sans élections législatives. Dans ce face-à-face, Matteo Salvini joue un jeu atypique bien compréhensible : le peuple contre les institutions et le Parlement. Il multiplie les meetings, parfois même plusieurs par jour.

Ce nouveau paysage politique n'a pas été confronté aux élections.

Le premier test électoral unanimement attendu en Italie est celui des élections régionales avec une série de scrutins qui vont avoir lieu dans les prochains mois, dès le 26 janvier prochain en Émilie-Romagne. Ce scrutin sera observé par tous, compte tenu de l'importance économique et politique de la région qui fait figure de mère de toutes les batailles pour ces formations politiques.

Vous avez noté, ces dernières semaines, l'émergence du mouvement des « Sardines » en Italie, qui est résolument antifasciste et anti-populiste. L'élection du 26 janvier sera suivie d'un certain nombre d'autres élections régionales : en Calabre, dans les Pouilles, en Toscane, en Campanie et en Ligurie. Elles feront connaître la réaction de l'électorat italien à la nouvelle organisation.

Nous pouvons aujourd'hui nous interroger sur la stabilité de cette nouvelle alliance. Elle marque à l'évidence une discontinuité avec l'équipe antérieure. Cette coalition, pour certains faite de bric et de broc, est-elle stable ? Nos interlocuteurs le croient, et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, aucune des formations politiques de la coalition au pouvoir n'a aujourd'hui intérêt à des élections nationales, car elles savent que la Ligue est trop forte et elles, trop faibles. Elles veulent par ailleurs peser sur le choix du président de la République, qui se fera en 2022 par le Parlement.

Ensuite, les Italiens ont voté, la veille de notre arrivée, la réduction du nombre de parlementaires. Or s'il y a moins de parlementaires dans la prochaine législature, les députés en place n'auront pas forcément envie que l'élection ait lieu immédiatement.

Enfin, les deux formations parviennent à trouver des convergences programmatiques réelles, notamment sur la question de la transition écologique, puisque je vous le rappelle, les Verts n'existent pas ou ne sont pas présents dans le champ politique italien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.