Intervention de Michel Fanget

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 9h35
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Fanget :

Il est nécessaire d'évoquer plus précisément la question migratoire. Dans les tensions qui ont animé la vie politique italienne récente, cette question est au coeur de la relation avec l'Union européenne et avec la France. L'immigration a constitué le thème principal des deux dernières campagnes électorales, marquées par un sentiment d'urgence compte tenu de l'ampleur des débarquements en Italie, de l'absence de politique d'intégration en Italie, qui est traditionnellement, et encore aujourd'hui, une terre d'émigration, et du sentiment d'abandon par l'Union européenne en général et par la France en particulier, qui s'est vraiment exprimé sur tous les bancs de la commission des affaires étrangères italienne.

Les flux semblent désormais relativement contenus. Les arrivées en Italie par voie maritime sont en forte baisse. Du 1er janvier au 15 septembre 2019, 5 800 migrants sont arrivés sur les côtes transalpines, soit une baisse de 72 %. Elles viennent essentiellement de Tunisie, du Pakistan, de la Côte d'Ivoire, d'Algérie, d'Irak et du Soudan. Mais les arrivées en Italie se font également par voie terrestre, où les flux sont, au contraire, en hausse. 2 203 personnes ont été interpellées par la police italienne, sur la frontière avec la Slovénie, ce qui représente une hausse de 150 % par rapport à l'année précédente. Au 31 août, 101 540 migrants étaient reçus dans une structure d'accueil en Italie.

Les demandes d'asile en Italie connaissent par contre une forte et durable baisse, environ 18 000 demandes d'asile ont été recensées sur le premier semestre 2019, contre 33 000 sur la même période en 2018, soit une baisse de 47 %, qui prolonge celle déjà observée en 2017. Cette baisse s'explique par la baisse des flux entrants avec le durcissement des conditions d'accueil des demandeurs d'asile à la suite du décret sécurité imposé par Matteo Salvini.

Cette tendance, constatée par notre mission, s'est confirmée depuis. Les chiffres présentés le 26 décembre dernier par le ministère de l'intérieur italien font état de 11 439 arrivées, soit plus de 50 % de moins qu'en 2018. La baisse est encore plus importante (près de 90 %) si l'on compare les chiffres de cette année à ceux de 2017 où 118 914 migrants avaient débarqué dans la péninsule italienne.

Côté italien, il a été rappelé, de manière quasi lancinante, combien la question migratoire demeure l'un des principaux sujets de politique étrangère et intérieure. La sensibilité à cette question est très vive, pour l'opinion comme pour les élus.

L'Italie est le pays d'Europe où l'écart entre la réalité du phénomène migratoire et sa perception est le plus grand. Les immigrés représentent à peu près 7 % de la population, 9 % en incluant les ressortissants des autres États de l'Union européenne, quand le public estime leur part dans la population aux alentours de 30 %.

Notre visite a eu lieu deux semaines après l'accord de Malte du 23 septembre et nous a permis de souligner la convergence de vues qui prévalait désormais, ainsi que les efforts entrepris en faveur d'une gestion solidaire et coordonnée de l'immigration au sein de l'Union européenne.

Le président du groupe d'amitié, Piero Fassino, a souligné que les migrations ne devaient être ni simplifiées ni banalisées. L'accord de Malte était un pas en avant important qui permettait à une masse critique de dix pays de progresser. Si un accord à Vingt-Sept semblait hors de portée en l'état, la méthode d'une coalition des bonnes volontés était la bonne. Par ailleurs, les migrations économiques devaient faire l'objet d'une politique structurée spécifique. Nous ne pouvions pas accueillir toutes les arrivées et il convenait de stabiliser les départs dans les pays d'origine en développant localement les perspectives d'emploi et l'aide conséquente au retour.

Pour sa part, l'économiste Federico Fubini a fait observer que pendant vingt ans, l'immigration avait objectivement soutenu l'économie italienne.

En tout état de cause, la désignation de Mme Luciana Lamorgese au ministère de l'intérieur, ancienne directrice de cabinet de l'intérieur du gouvernement Gentiloni, en lieu et place de Matteo Salvini, laisse espérer une gestion plus apaisée de la question migratoire. Le principe de rotation des ports sur une base volontaire, ouvert par l'accord de Malte, constitue un point essentiel pour l'Italie, et ce d'autant plus que l'accord trouvé à Luxembourg le 8 octobre a permis de rallier une dizaine de pays à l'initiative franco-allemande de soutien à l'Italie et à Malte.

Côté français, il a été rappelé que la question migratoire se posait également de façon aiguë et que notre pays recevait le nombre de demandes d'asile le plus élevé d'Europe, 123 000 en 2018. Nous avons reconnu que l'Italie avait longtemps été laissée seule face à la vague migratoire, alimentée successivement par les printemps arabes, la crise syrienne, libyenne et sahélienne. Nous avons également reconnu que ce mouvement, non accompagné des mesures politiques adéquates, avait alimenté les courants populistes, notamment en Italie.

La très grande majorité de nos interlocuteurs s'est rassemblée sur l'idée que le débat s'est trop concentré sur les symptômes, alors qu'il convenait de comprendre les causes et d'agir. Ainsi, la réalité démographique, économique et sécuritaire qui prévaut désormais en Afrique subsaharienne implique d'envisager la relation à travers la vision d'un seul macro continent Europe-Afrique.

La dynamique démographique en particulier impose à l'Europe de mettre en oeuvre une politique globale et articulée, au-delà d'ajustements partiels et circonstanciels, dès lors qu'à l'horizon 2100, notre continent aurait perdu de 80 à 100 millions d'habitants. Quant à l'Afrique, elle pourra en compter quatre milliards.

Pour conclure, la volonté française, allemande et européenne d'appuyer davantage les États membres de la première entrée, d'une part en impliquant notamment la future Agence européenne de l'asile pour l'examen préliminaire et rapide des demandes aux frontières et Frontex, d'autre part en procédant à des relocalisations en cas de pression migratoire forte, montre que les préoccupations italiennes ont été entendues.

Cela devrait permettre d'améliorer nos relations bilatérales, mais aussi les relations avec l'Italie et l'Union européenne.

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