Intervention de Alain Thirion

Réunion du mercredi 8 janvier 2020 à 15h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Alain Thirion :

Un élément essentiel de réponse et d'efficience en matière de sécurité civile est la notion de réponse capacitaire ; cela a été évoqué par le directeur départemental des services d'incendie et de secours. Les moyens du département face à un incendie de cette importance ne sont pas suffisants. Il y avait besoin de renfort. La coordination qui s'est faite au niveau zonal, puis l'apport des moyens nationaux par l'intermédiaire du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), auront permis une bonne articulation et de mobiliser des moyens totalement considérables. Jusqu'à 16 kilomètres de réseaux ont été mis en place. Plutôt que d'être dans une logique d'attaque d'incendie qui aurait été extrêmement compliquée au regard de sa nature, nous avons d'abord circonscrit l'incendie, puis nous avons mis en place un système de « Top mousse ». C'est la serpillière humide que vous utilisez quand vous avez une casserole qui s'enflamme sur votre cuisinière. Vous mettez en place un dispositif puis vous faites intervenir le « dispositif top mousse » et cela fait à la fois éteindre l'incendie et réduire la température, car il existe un risque thermique. C'est ce qui a été utilisé et qui a fonctionné.

En termes de moyens, le renfort des autres SDIS a été particulièrement utile, comme l'ont été les moyens en émulseur. On a évoqué le déficit en eau. Nous n'avons jamais manqué d'eau. Mais la demande en eau était telle que nous étions au-delà de la capacité du réseau. En émulseurs en revanche, alors que les moyens ont été totalement considérables, il n'y a jamais eu de rupture, parce que les SDIS et les moyens nationaux sont intervenus pour répondre aux besoins.

S'il n'y avait pas eu cette réponse capacitaire complémentaire, nous n'aurions pas été en mesure de faire ce choix tactique qui a été efficace puisqu'il n'y a pas eu de mort, de panique, de blessé, d'explosion, ou d'immeuble détruit. Vous qui connaissez bien les lieux puisque vous êtes allés sur place, nous aurions pu avoir tout cela. Si nous prenons des exemples passés, sans parler d'AZF ou de ce qu'il s'est passé à Sandoz dans les années 1980, certains phénomènes industriels en matière de sécurité civile ont donné lieu à des catastrophes extrêmement importantes.

Au sujet de la coordination, le préfet est en poste à partir de 3 heures. Nous sommes complètement dans la boucle à partir de 5 heures. La première information du COGIC intervient à 3 heures 15, quasiment 20 minutes après l'installation et la mise en place des sapeurs-pompiers. Les premiers moyens, c'est-à-dire l'envoi du VDIP, sont décidés à 5 heures 45, 20 minutes après que j'ai été alerté. L'activation du PPI, c'est-à-dire le moment où l'on sort du cadre du POI de l'établissement, intervient à 5 heures 30, donc quasiment au même moment.

Cette articulation est très utile parce qu'elle démontre bien les trois fonctions fondamentales du niveau national par rapport au niveau local. C'est une mission d'expertise. Plusieurs analyses et expertises ont été faites : l'analyse de Météo France (le nuage, comment il évolue, quelle est son importance, quelle est sa hauteur), et le volet santé, ce sont l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui ont porté ces éléments. Ce sont des appuis nationaux qui se sont mobilisés quasiment à partir de 5 heures ou 6 heures du matin.

Au-delà de l'expertise, il convient d'évoquer les deux fonctions suivantes :

- la fonction soutien, avec les moyens complémentaires qui sont mobilisés. On ne peut pas mettre tous les moyens partout dans tous les départements. Il doit y avoir une logique de poupées russes et une montée en puissance de l'ensemble de ces moyens. C'est exactement ce qu'il s'est passé.

- la fonction d'appui, c'est-à-dire avec la zone et le préfet de département. Il doit y avoir de la coordination pour que l'on ait les bonnes réponses au bon moment concernant la sécurité civile.

Ceci étant dit, nous nous sommes posé des questions sur certains dispositifs. C'est particulièrement le cas de la problématique de l'alerte et de celle de l'information. Je les distingue parce que ce sont deux éléments différents et parce que cela concerne deux publics différents. Nous devons alerter les maires et la population concernée. Nous devons également informer les maires et la population concernée, y compris ceux qui sont dans un rayon un peu plus large. Le préfet a expliqué comment il avait procédé. En ce qui concerne les maires, cela a d'abord été une série de coups de téléphone sur le premier périmètre qui a été établi, puis dans un deuxième temps, il a utilisé le dispositif départemental de Gestion de l'alerte locale automatisée (GALA), qui est un moyen technique intéressant, pour prévenir l'ensemble des maires du département. Il y a pu y avoir une incompréhension sur le fait que nous n'avons pas utilisé le même type d'information pour les uns ou pour les autres, mais globalement, les informations qui ont été données par les conférences de presse, par les tweets, par les communiqués de presse, auraient dû permettre d'avoir une information relativement complète. En même temps, le système n'est pas complètement satisfaisant parce que le dispositif GALA doit être capable de donner des informations plus précises. Peut-être faut-il que nous formalisions le processus et la procédure. Un travail doit être accompli au niveau de cet outil.

En ce qui concerne la communication, la désinformation ou la mauvaise information, ce qu'il s'est passé au niveau des réseaux sociaux doit nous interroger sur la manière avec laquelle nous devons informer la population.

L'information a eu lieu. Le préfet y a passé du temps et a utilisé différents outils. Il n'y a pas eu de panique, mais cela n'a pas rassuré la population, qui s'est posé un certain nombre de questions.

Il faut que nous soyons plus performants sur ces questions. Nous sommes donc en train d'y réfléchir. Au niveau de la Sécurité civile, nous formalisons une pratique que nous avions commencé à développer sur d'autres sites, notamment dans le cadre des risques naturels, qui est l'association avec les volontaires internationaux en soutien aux opérations virtuelles (VISOV). Ils suivent les réseaux sociaux, ce qui permet d'avoir une cartographie des appels dans le cadre des réseaux sociaux, en quelque sorte, une cartographie des interrogations. On peut même avoir une cartographie des types de questions qui sont posées. Peut-être faut-il que nous ayons des outils de réponses qui soient mieux utilisés, mieux adaptés. Au regard des nombreuses questions pratico-pratiques qui ont été posées, il ne faut pas hésiter à mettre en place des foires aux questions qui permettent de répondre pratiquement aux questions qui se posent. C'est un travail de fond sur lequel nous pouvons avancer. C'est une piste. Une mission d'inspection va être menée. Par conséquent, peut-être d'autres solutions entreront-elles dans ce cadre. Mais d'une manière générale, la communication est devenue un outil de gestion de la crise. Il faut complètement l'intégrer à la nature des communications et des informations qui circulent, y compris celles qui sont mal intentionnées. Nous avons vu par exemple circuler des photos d'animaux qui ne correspondaient absolument pas à ce qu'il s'était passé ! Manifestement, un travail doit être effectué à ce niveau.

Au sujet de l'alerte, je ne reviens pas sur le débat que vous avez eu sur le fait de savoir s'il fallait utiliser les sirènes, si le préfet a bien fait de les utiliser après. Le fait de se dire : « J'utilise les sirènes parce qu'on va me faire le reproche de ne pas le faire, et je le fais à 8 heures parce qu'avant, le réflexe de la population sera de sortir, alors que le message qui est lié à la sirène est de rester à l'abri et d'écouter la radio », je le comprends parfaitement. Si j'avais été à la place de mon collègue, j'aurais peut-être réagi de la même manière, d'autant que les messages qui sont liés aux sirènes peuvent être contradictoires. En ce qui concerne les barrages hydrauliques, si la sirène fonctionne, cela veut dire qu'il faut partir. Là encore, un travail doit être effectué autour des sirènes. J'ai bien en tête que ce n'est pas forcément un outil extrêmement moderne, mais en certaines circonstances, cela peut s'avérer utile, parce que cela a au moins le mérite d'exister. Je suis convaincu qu'il faut avoir une multiplicité des canaux. Le maintien du dispositif des sirènes, qui est équipé dans plus de 80 % du territoire aujourd'hui, donne plutôt satisfaction.

Il n'y a pas très longtemps, nous avons connu des phénomènes de risques naturels assez sérieux, notamment dans le sud de la France. Nous avons utilisé les sirènes à Nice, ce qui était une première. Nous les avons même utilisées deux fois. La réaction vis-à-vis de la population a été très bonne. L'utilisation de l'outil d'alerte est à mettre en perspective avec la culture du risque, c'est-à-dire qu'il faut que nous ayons les outils qui soient adaptés à la réalité de notre culture.

Le cell broadcast service renvoie effectivement à la décision qui a été prise au niveau européen en 2018, sur laquelle nous travaillons. L'année dernière, avant même Lubrizol, nous avons lancé une étude qui doit nous permettre d'en évaluer les coûts. Nous n'avons pas d'évaluation extrêmement précise sur l'installation de ce dispositif, qui doit être faite par les opérateurs. Les premiers chiffres qui ont été donnés parlent de 11 à 12 millions d'euros, ce n'est pas rien. En termes d'investissement, il faut aussi que nous fassions un travail vis-à-vis des opérateurs, parce qu'un travail actif leur est demandé en actionnant sur les zones bien déterminées les personnes concernées. Après, il y a la nature du message que nous pourrions faire passer. Le cell broadcast a un avantage, celui d'offrir la possibilité d'envoyer un message alors que la sirène, soit vous l'entendez, soit vous ne l'entendez pas. Quand vous regardez votre téléphone, vous voyez le message. À la différence du SMS, vous pouvez aller jusqu'à 1 300 signes. Cela peut permettre de dire des choses assez précises, c'est un complément.

Mais je constate que tous les pays où des dispositifs similaires ont été mis en place (les États-Unis, la Hollande) n'ont pas abandonné les autres systèmes et notamment les sirènes. Il n'existe pas de système miracle. Il faut une pluralité de réponses. Nous ne pouvons pas avoir un système d'alerte qui soit déconnecté de la réalité et de la nature des risques.

Sur la culture du risque, je suis complètement d'accord avec vous. Un travail de fond doit être réalisé dans notre société, parce qu'elle ne sera jamais sans risque, que ce soit naturel ou industriel. Tout ce que nous pourrons faire pour sensibiliser la population sur la nature des risques sera précieux. Cela passe à la fois par la mise en place de dispositifs d'alerte et d'information, mais aussi par un travail au niveau des entreprises, parce que la culture du risque s'apprend aussi en entreprise, au niveau des salariés. Les entreprises qui font des efforts pour recruter des sapeurs-pompiers, y compris volontaires, ont une culture du risque souvent plus développée. Avoir des sapeurs-pompiers dans l'entreprise est un atout. Tout ce que nous pouvons faire au niveau de l'école, des épreuves de secourisme, des gestes qui sauvent, dans le prolongement d'ailleurs de l'engagement du Président de la République, doit nous permettre d'améliorer cela. Dans certains territoires, un travail se fait en la matière, la population est plus attentive que ce que l'on pense. On le voit par exemple dans le sud de la France avec les phénomènes d'inondation. Au Japon, il existe la « Journée japonaise » où tout le monde fait l'inventaire de l'ensemble des gestes, que ce soit dans l'école, dans l'entreprise ou ailleurs. Il faut se diriger vers ce type de culture.

Avec le réchauffement climatique, les risques naturels sont encore plus élevés, plus intenses, plus fréquents et plus violents que ceux que nous avons vécus. Dans ce domaine, le travail de fond que nous faisons avec l'Éducation nationale et que nous voulons faire avec les entreprises doit nous permettre d'améliorer la situation. Les travaux que vous faites, les conclusions que vous en tirerez, pourront nous aider, parce qu'il y a derrière une vérité, c'est que la sécurité civile est plus qu'une politique publique. C'est une politique qui a des valeurs et qui est au coeur de notre contrat républicain. Il y a la notion d'engagement, que l'on retrouve au niveau des sapeurs-pompiers ; ils ont été formidables sur le terrain. Ceux de l'entreprise aussi. Les uns et les autres ont eu quelques gestes déterminants, notamment sur les produits qui ont été écartés. Tous les efforts fournis pour faire en sorte que notre culture de sécurité civile soit proportionnée à la réalité de nos valeurs républicaines seront précieux et nous renforcerons dans la force et la puissance de notre contrat républicain.

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