Intervention de Bérangère Couillard

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérangère Couillard, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

L'Assemblée nationale est aujourd'hui appelée à examiner une proposition de loi qui marque l'aboutissement d'un travail collectif de plusieurs mois. C'est aussi une espérance pour celles et ceux qui subissent des violences conjugales et qui comptent sur nous tous, sur nous toutes, pour les protéger et améliorer leur quotidien.

Du 3 septembre au 25 novembre dernier, sous la direction du Premier ministre, s'est tenu le Grenelle des violences conjugales lancé par la secrétaire d'État Marlène Schiappa. Des femmes et des hommes engagés ont travaillé, dans le cadre de groupes, pour que la France puisse mieux répondre à ce que nous considérons désormais, tous ensemble, comme inacceptable. Je veux parler de ces souffrances trop souvent tues et qui tuent trop souvent. Je veux parler de ces coups à répétition, de ces brimades qui privent de dignité au point qu'on finit par les croire normales, de ce qui se déroule derrière les portes closes, dans plusieurs dizaines de milliers de foyers de notre pays.

Je ne reviendrai pas sur le décompte lancinant des féminicides. Si le chiffre a la vertu d'éveiller les consciences, il ne doit pas nous aveugler : c'est aussi l'objet de cette proposition de loi. Fort heureusement, toutes les violences conjugales ne se concluent pas par un meurtre ; prévenir ces meurtres ne suffit donc pas à prévenir les violences. Le sujet des femmes battues, mais aussi des hommes battus, que je n'oublie pas, est plus vaste.

Nous devons entendre celles et ceux dont la voix ne porte pas jusqu'à nous, jusqu'aux médias, jusqu'au grand public, voire jusqu'aux associations, dont le travail est pourtant remarquable. Il y a des victimes qui n'ont pas conscience de leurs droits, parce qu'elles sont sous l'emprise d'un conjoint violent, ou tout simplement parce qu'elles ont peur, une peur qui peut mener au suicide et qu'aucune statistique ne comptabilisera alors. À ces victimes, la loi doit sa protection, un accompagnement, une assistance pour se reconstruire. Nous devons affirmer que rien n'est irrémédiable, et qu'aucune violence ne doit être considérée comme normale, parce qu'elle saurait être la norme dans une société évoluée.

À la contribution des groupes de travail du Grenelle et des parties prenantes, nous pouvons ajouter le travail des parlementaires. Guillaume Gouffier-Cha et moi-même avons initié et copiloté un groupe d'une trentaine de députés, dont certains d'entre vous faisaient partie. Nous avons effectué des visites de terrain partout en France, dans chacune de nos régions, en métropole comme outre-mer, pour confronter les discours aux réalités et pour comprendre comment il se faisait que, parfois, des dispositifs parfaits en théorie ne résistent pas à la pratique. Je tiens à remercier chaleureusement tous les collègues qui ont participé à ce groupe de travail. Je tiens également à remercier la ministre de la justice, ainsi que les membres de son cabinet, pour les échanges constructifs que nous avons eus depuis que j'ai entamé la rédaction de ce texte.

Aujourd'hui, c'est à moi qu'il revient de vous présenter le fruit de ce travail qui, sous l'impulsion de la secrétaire d'État Marlène Schiappa, a mobilisé sans relâche les pouvoirs publics. Les articles de cette proposition de loi ont été présentés au cours des auditions à ceux qui sont tous les jours confrontés aux violences conjugales : les associations, bien sûr, mais aussi les magistrats, les forces de l'ordre, les médecins. Comme nous avons travaillé dès le début avec tout le monde, ces dispositions ont fait l'objet d'un consensus. La commission des lois a débattu de manière constructive. Je crois pouvoir affirmer que seul l'article 8 ne fait pas encore l'unanimité : j'espère vraiment que les débats qui auront lieu dans cet hémicycle vous convaincront de la nécessité d'une telle mesure. Ce consensus ne doit pas nous surprendre car, si une cause parvient à susciter l'adhésion et l'engagement de tous, il s'agit bien de la protection des plus faibles contre les violences qu'ils subissent.

Je souhaite, avant de vous présenter cette proposition de loi, évoquer les lois votées par l'Assemblée nationale depuis dix ans sur le sujet et remercier tous ceux qui ont contribué à faire avancer la cause des victimes.

Je pense à la loi du 9 juillet 2010 et à son rapporteur qui siégeait à droite dans cet hémicycle, Guy Geoffroy. Je pense à la loi du 4 août 2014 et à son rapporteur qui siégeait à gauche dans cet hémicycle, Sébastien Denaja. Je pense enfin à la loi du 28 décembre 2019, que le Premier ministre Édouard Philippe a soutenue en engageant une procédure accélérée, ce qui est rarissime pour une proposition de loi de l'opposition, et que le groupe La République en marche a votée unanimement à tous les stades de la procédure.

Ce combat nous rassemble tous, au-delà des clivages politiques et des distinctions partisanes. Chacun de ces textes est une occasion d'avancer, de corriger les erreurs ou de dépasser le manque de courage de celui qui l'a précédé.

J'en viens au contenu de cette proposition de loi qui tire les conséquences législatives du Grenelle des violences conjugales et qui comporte des dispositions attendues de longue date.

Le Grenelle a recommandé des mesures relatives à l'autorité parentale des auteurs de violences conjugales. Je ne m'y attarderai pas car, en commission mixte paritaire, députés et sénateurs se sont entendus pour inscrire ces mesures dans la loi du 28 décembre 2019. Je m'en réjouis, car c'est autant de temps gagné. La commission des lois en a pris acte en supprimant les articles 1er et 2. L'article 3, qui permet au juge pénal de suspendre le droit de visite et d'hébergement dans le cadre du contrôle judiciaire, conserve pour sa part toute sa pertinence.

Par ailleurs, ce texte marque l'aboutissement d'un long combat des associations de défense des victimes de violences : les articles 4 et 5 prévoient la fin des médiations en matière civile et pénale dès lors que des violences sont alléguées par l'une des parties. La loi du 28 décembre dernier avait fait la moitié du chemin pour ce qui concerne l'autorité parentale, mais elle négligeait les procédures de divorce. Nous corrigeons cet oubli. Si la médiation présente un immense intérêt, elle suppose une égalité des parties et une capacité à entendre l'autre qui n'existent plus quand le conflit s'est mué en violence. C'est à cette occasion que nous introduisons le mot « emprise » dans notre droit. Parce que l'on ne peut pas négocier efficacement quand on est sous emprise, on ne peut pas non plus engager de médiation.

L'article 6 traite du cas de ceux dont l'un des parents a tué l'autre et qui sont sollicités au titre de l'obligation alimentaire qui lie ascendants et descendants. Ces demandes de paiement, qui émanent souvent des établissements d'accueil pour personnes âgées, réveillent des souvenirs douloureux et un sentiment d'injustice. Aujourd'hui, on déclare facilement l'indignité d'un parent qui délaisse son enfant, mais une jurisprudence analogue en cas de meurtre sur conjoint est rare. Nous avons prévu une déchéance de plein droit pour tous les crimes condamnés en justice, par conséquent non seulement pour les meurtres mais aussi pour les viols et les mutilations.

J'en arrive au harcèlement conjugal. Créée en 2010, cette infraction prévoit deux niveaux de gravité, selon que l'ITT – incapacité totale de travail – délivrée à la victime excède ou non huit jours. C'est faire peu de cas de dossiers dont nous avons tous entendu parler, dans lesquels la victime est tellement poussée à bout qu'elle en vient à attenter à sa propre vie. Je vous propose de créer un troisième niveau pour réprimer les suicides forcés, qui seront désormais punis de dix années de prison et de 150 000 euros d'amende.

Je ne m'attarderai pas sur la disposition qui permet à l'officier de police judiciaire de saisir des armes au moment de la perquisition. Cette mesure de bon sens était attendue par les forces de l'ordre, qui ont besoin de clarté : la commission s'est attachée à la simplifier au maximum pour la rendre la plus opérationnelle possible.

La proposition de loi traite également la question, encore peu connue, du cybercontrôle. Les victimes connaissent bien ces logiciels qui permettent les de traquer. Disponibles dans le commerce pour quelques dizaines d'euros, ils sont installés sur le téléphone de la victime, voire sur celui de ses enfants, pour tout savoir de leurs échanges, de leurs conversations ou de leur localisation en temps réel. Nous avons encadré cette géolocalisation sauvage, qui n'est pas prévue par le droit en vigueur.

Il me tenait enfin particulièrement à coeur de faciliter l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire aux victimes de violences conjugales.

Nous avons également apporté des enrichissements à la proposition de loi, qui consistent notamment en deux articles additionnels.

L'article 9 bis prévoit ainsi que le juge puisse prononcer une peine d'emprisonnement et une peine d'interdiction de détention et de port d'armes ou de paraître en certains lieux. En effet, le droit actuel ne l'envisage qu'à la place d'une peine d'emprisonnement. Le code pénal ne permettait pas de cumuler les deux.

L'article 10 bis prévoit, quant à lui, de sanctionner la pratique nouvelle et révoltante des crimes et des agressions sexuelles que des pervers commandent à distance, par internet, à des acteurs basés à l'étranger. Notre droit, aujourd'hui hésitant, sera désormais explicite, avec un quantum de peine très lourd. Nous pouvons, collectivement, nous en féliciter.

Venons-en aux deux derniers points, très spécifiques, de la proposition de loi.

L'article 11 concerne l'accès des mineurs à la pornographie. Les opérateurs étrangers, qui mettent des millions de vidéos à disposition sans le moindre contrôle réel et qui échappent à tout contrôle pénal, posent des difficultés.

Internet s'érige dans ce domaine en place de non droit, dans la complaisance générale, et toute une génération fait désormais son éducation à l'entrée au collège sur les scènes les plus extrêmes, avec une image des femmes totalement déplorable. Les associations rencontrées lors de nos déplacements sont de plus en plus nombreuses à constater que les jeunes habitués à ces images reproduisent ces situations de violences, si bien que les violences conjugales sont désormais observées à un âge plus précoce au sein des jeunes couples.

Le Président de la République a appelé, à l'UNESCO, à une prise de conscience. Je m'en réjouis et les premiers effets se font sentir : une charte a été discutée et signée par des opérateurs d'internet pour promouvoir le contrôle parental et la responsabilisation des familles. Ce pas en avant est fondamental mais sera-t-il suffisant ? Les plateformes étrangères, qui inondent internet de pornographie en libre accès, devront prendre leurs responsabilités. Celles qui ne respectent pas le code pénal devront s'y conformer. Dans le cas contraire, un contrôle parental par défaut et un dispositif de blocage, comme il en existe, par exemple, pour les cercles de jeux illégaux, permettront de faire avancer la situation.

J'ai épuisé, hélas, mon temps de parole, ce qui m'empêche d'aborder le sujet du secret médical. Nous pourrons en discuter longuement plus tard.

Je me suis attachée à ce que cette proposition de loi retrace fidèlement l'ambition de responsabilité et de progrès qui a prévalu tout au long du Grenelle. C'est un moment dont nous pouvons déjà être fiers, car nous avons su réunir pour unir. Fiers, nous le serons encore davantage, je l'espère, lorsque cet hémicycle aura adopté cette proposition de loi.

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