Intervention de Marlène Schiappa

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Présentation

Marlène Schiappa, secrétaire d'état chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations :

Depuis des générations – depuis l'Antiquité, disent les anthropologues – , des hommes tuent leur femme, leur ex-femme, leur compagne. Depuis des générations, la société française s'était habituée à cet état de fait, considérant que c'était là la fatalité des drames conjugaux, des crimes passionnels.

Mais, depuis quelques années, la société française s'est réveillée : le mot « féminicide », que l'on utilisait uniquement dans les sphères militantes, est désormais employé dans les documents institutionnels, dans cet hémicycle et par le Président de la République lui-même ; des femmes manifestent dans la rue pour dire leur ras-le-bol des meurtres et des violences, d'une forme de complaisance.

Sur les réseaux sociaux, on a beaucoup évoqué la libération de la parole des femmes ; j'ai pour habitude de dire que c'est l'écoute de la société qui s'est enfin libérée, parce que les femmes parlent de ces violences depuis des générations.

Depuis environ dix ans, des associations féministes demandaient la tenue d'un Grenelle des violences conjugales. Grâce à notre action commune, grâce à la mobilisation de toutes et de tous, nous avons pu l'organiser. Le 3 9 19, le Premier ministre, Édouard Philippe, a lancé les travaux des onze groupes constitués pour formuler des propositions sur des thèmes variés : les violences intrafamiliales, l'éducation, la santé, la sphère professionnelle, les outre-mer, le handicap, l'accueil en commissariat et en gendarmerie, l'hébergement, la justice, les violences psychologiques et l'emprise ainsi que les violences économiques.

Le 25 novembre dernier, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le Premier ministre a annoncé les mesures retenues à l'issue du Grenelle des violences conjugales : la quasi totalité des propositions restituées fin octobre par les responsables des groupes de travail ont ainsi été reprises par le Gouvernement. Autour d'Édouard Philippe, dix ministres se sont engagés à mener des actions de lutte contre les violences conjugales.

Je suis consciente que cet événement sans précédent a suscité des attentes considérables chez nos concitoyennes et nos concitoyens. Aujourd'hui, nous débattons de la seconde proposition de loi bâtie sur ces annonces.

Permettez-moi de vous remercier de vous être engagés, à l'Assemblée nationale et dans vos circonscriptions partout en France. En effet, entre son lancement et sa restitution, les initiatives se sont multipliées autour du Grenelle des violences conjugales, notamment grâce à vous : de nombreuses réunions se sont tenues dans les territoires, organisées par des citoyennes et des citoyens soucieux d'apporter leur pierre à l'édifice, par des préfets ou des élus. Plusieurs députés, que je remercie, m'ont remis un carnet de propositions construites en atelier par plusieurs centaines de participants et autant d'acteurs locaux, qui sont venues enrichir les discussions, l'écosystème, le travail du Grenelle des violences conjugales.

Les annonces faites par le Premier ministre et dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales sont le fruit de ces réunions. J'adresse mes remerciements et mes félicitations à la rapporteure, Mme Bérengère Couillard, pour l'excellence et la célérité du travail accompli. Avec le député Guillaume Gouffier-Cha, que je salue également, et tous les députés cosignataires, vous présentez un texte ambitieux et solide de grande qualité, fondé à la fois sur le travail collectif du Grenelle des violences conjugales, sur votre travail de terrain et sur les auditions d'experts que vous avez conduites. Pour tout cela, merci : en rassemblant autour de vous les élus, les associations, les experts et les membres de la société civile, vous avez contribué à ce que le Grenelle des violences conjugales aboutisse à un changement concret.

La proposition de loi en est l'un des aboutissements – je dis l'un des aboutissements, car je veux également saluer le travail de la députée Alexandra Louis, rapporteure du projet de loi voté ici même à l'unanimité en 2018, qui avait enrichi le texte du Gouvernement – que je présentais conjointement avec la garde des sceaux – , en y ajoutant des amendements et des dispositions protégeant les enfants des violences conjugales. Je salue et remercie également le député Aurélien Pradié, auteur de la proposition de loi de 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Nous pouvons nous féliciter du fait que le sujet soit transpartisan et fasse consensus. Cela n'empêchera pas le débat, et c'est normal ; c'est sain, c'est même heureux. Je sais que nous nous rejoignons sur le fond, qui est de lutter contre les violences conjugales. Nous envoyons un message clair : nous voulons, toutes et tous, la fin de l'impunité pour les auteurs de violences conjugales.

Avant le 3 septembre 2019, 9 % de la population seulement connaissaient le numéro d'écoute du 3919. Aujourd'hui, ce chiffre se monte à plus de 60 % : nous avons effectué un bond énorme en quelques semaines. Le jour du lancement du Grenelle des violences conjugales, les écoutantes du 3919 ont reçu 1 661 appels. Donner de la visibilité à ce dispositif implique que davantage de femmes puissent contacter le 3919 ; en conséquence, à deux reprises, nous avons doté la plateforme d'écoute de moyens supplémentaires correspondant à 100 % à la demande estimée par la Fédération nationale solidarité femmes. Je remercie ici les écoutantes, qui mènent un travail particulièrement délicat pour répondre à ces femmes et les accompagner.

Je rappelle que le 3919 n'est pas un numéro d'urgence : c'est un numéro d'écoute et d'accompagnement qui ne remplace pas l'appel au 17. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de rendre ce numéro accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept et de l'adapter aux besoins des femmes en situation de handicap comme aux particularités des outre-mer. Pour mon premier déplacement de l'année 2020, j'ai souhaité rendre visite aux écoutantes de la plateforme avec le député de la circonscription où elle se trouve, M. Mounir Mahjoubi. Elles font un travail formidable.

Notre volonté est collective. Nous n'avons pas le droit à la complaisance ni à la lâcheté quand des vies de femmes sont en jeu. Comme l'a très justement souligné la garde des sceaux, il s'agit non pas de pointer la responsabilité individuelle de tel ou tel mais plutôt d'accompagner, en tant que responsables publics, les efforts et les progrès qui peuvent être réalisés.

Je remercie ici les professionnels qui oeuvrent avec dévouement à recueillir la parole des victimes et à les protéger et qui s'attellent à punir les coupables. Je pense tout particulièrement aux policiers et aux gendarmes, à qui je rends ici un hommage appuyé pour leur mobilisation et pour leurs progrès, que j'encourage très chaleureusement.

Cependant, malgré la bonne volonté de toutes et de tous, venir porter plainte relève parfois, pour la victime, du parcours de la combattante. En effet, jusqu'à présent, les forces de l'ordre ne disposaient pas toujours des outils leur permettant d'identifier les situations de violences conjugales et d'accompagner les victimes. Les mesures du Grenelle des violences conjugales ont apporté des réponses à ce besoin. À ce titre, j'ai eu le plaisir, avec le ministre de l'intérieur, Christophe Castaner, de me rendre à l'école de gendarmerie de Chaumont, afin d'accompagner le lancement d'une formation initiale, d'une durée de 120 heures, pour les gendarmes et les policiers, dispensée avec l'appui de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Une grille d'évaluation, construite avec des victimes, des familles de victimes et des experts, permettra aux forces de l'ordre de mieux évaluer les situations d'urgence en cas de violences conjugales, en posant une série de vingt-trois questions qui permettent d'identifier, autant que faire se peut, les situations à risque.

Cet outil s'ajoute à ceux que nous avons déployés pour informer les victimes, les professionnels et le public : à l'été 2019, Nicole Belloubet, Christophe Castaner, Laurent Nunez et moi-même avons lancé le portail arretonslesviolences. gouv. fr, qui rassemble, en un lieu virtuel unique, toute l'aide que l'on peut obtenir quand on est victime ou témoin de violences sexistes et sexuelles ou de violences conjugales. Ce portail héberge également une plateforme de dialogue disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept pour signaler des violences à des policiers et des gendarmes formés à cet effet.

Par ailleurs, le 21 janvier, le ministre de l'intérieur a adressé une circulaire aux policiers et aux gendarmes, leur demandant de faire preuve « de pédagogie, de bienveillance » et « de rassurer et de déculpabiliser les victimes ». Nous assistons là à un véritable changement de paradigme, dans la manière dont s'organise le dépôt des plaintes des victimes de violences conjugales, et dont ces plaintes sont prises en compte dans notre pays.

Cela étant, la seule réponse pénale ne suffit pas. C'est pourquoi nous avons décidé de consacrer les moyens nécessaires à la prise en charge des hommes auteurs de violences conjugales, répondant à une demande forte du Grenelle des violences conjugales. Jusqu'à présent, jamais l'État ne s'était occupé d'organiser massivement une telle prise en charge afin d'empêcher la récidive. Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, j'ai eu l'occasion de me rendre à Arras, où un tel dispositif existe ; la récidive y a baissé de près de 60 %, d'après le procureur et les experts.

D'ici à la fin du quinquennat, nous souhaitons que chaque région de France dispose d'au moins deux centres de prise en charge des hommes auteurs de violences conjugales. L'État contribuera au financement de ces centres à hauteur de 2 millions d'euros ; nous lancerons prochainement un appel à cofinancement auprès des collectivités territoriales et des partenaires. Nous aurons besoin de tous les acteurs disponibles : je sais pouvoir compter sur votre conviction pour diffuser et promouvoir cet appel à candidatures dans les circonscriptions où vous avez été élus.

La proposition de loi sur laquelle nous nous apprêtons à débattre intègre des dispositions relatives aux personnels de santé, qui comptent parmi les acteurs les plus impliqués dans la lutte contre les violences conjugales. La question du secret médical a suscité beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations. Nous en débattrons tout à l'heure, ou demain – je sais que nous partageons tous l'objectif d'agir au mieux.

J'ai indiqué en préambule qu'un changement s'était produit dans notre société : l'écoute a été libérée ; chacun se sent désormais concerné, se montre volontaire, pour mettre fin aux violences conjugales. Chacune et chacun doit pouvoir intervenir pour protéger les victimes de violences. C'est pourquoi, nous soutenons l'article 8 de cette proposition de loi, qui autorise les médecins à signaler les violences conjugales subies par les patientes, et ainsi à leur sauver la vie. Je souhaite remercier l'ordre des médecins, qui s'engage à ne rien laisser passer.

Ce projet de loi consacre également la notion d'emprise. Les violences conjugales, ce ne sont pas seulement les coups donnés par un conjoint ou un ex-conjoint violent, c'est aussi un ensemble de manifestations, telles que le harcèlement, la dégradation et la domination de la victime, qui contribuent à instaurer une emprise psychologique, dont il est toujours difficile et douloureux de se défaire.

Cette compréhension des phénomènes d'emprise est récente ; la notion reste parfois mal comprise. Pour cette raison, les propositions visant à interdire la médiation en matière civile et pénale, dès lors que des violences conjugales ont été constatées, vont dans le bon sens. Par ailleurs, les amendements qui ont été déposés montrent que le législateur fait cas du phénomène d'emprise et des conséquences des violences conjugales, notamment sur le psychisme.

Comme l'a très justement dit Yaël Mellul, co-responsable du groupe de travail sur les violences psychologiques et l'emprise, lors du Grenelle des violences conjugales, grâce à l'article 7 de la présente proposition de loi, tout le spectre des conséquences traumatiques du harcèlement moral pourront être prises en compte : non seulement les ITT inférieures ou supérieures à huit jours, mais aussi les suicides et les tentatives de suicide. Ce sera une mesure fondamentale pour les victimes de violences conjugales, pour leur famille et leurs proches, mais aussi une avancée historique à l'échelle de l'Europe.

En 2018 et 2019, en dépit de l'expression consacrée « morte sous les coups de son conjoint », le modus operandi des féminicides le plus utilisé est l'arme à feu. Si nous pouvons réduire les féminicides en restreignant l'accès aux armes à feu, faisons-le ; faisons les saisir ! Je souscris absolument aux dispositions de l'article 9, aux termes duquel les armes à feu pourront être saisies dès le signalement des violences conjugales, notamment par le dépôt de plainte. Elles sont issues des propositions du groupe de travail sur l'outre-mer du Grenelle des violences conjugales.

Aux termes de cette proposition de loi, les autorités judiciaires pourront, en plus d'une peine d'emprisonnement, prononcer diverses interdictions relatives à la détention et au port d'arme, comme au contact avec les victimes. Cela constituera une protection supplémentaire pour les femmes.

Nous devons également accompagner le parcours de la victime dès le signalement de la violence. Quand on a le courage, la force, la possibilité de mettre fin au cycle des violences conjugales, on ne doit pas subir une double peine. Ces victimes doivent bénéficier au plus tôt de l'assistance d'un avocat, sans être soumises à des conditions de ressources dans un premier temps. Elles pourront ainsi être mieux accompagnées et défendues, et donc mieux protégées.

Nous devons également penser à la famille des victimes. Un enfant ne doit pas être la victime directe ou indirecte des violences conjugales. Hélas, la présence des enfants ne dissuade pas les hommes violents de passer à l'acte.

Il faut le répéter : les enfants se trouvent en danger dès lors qu'il y a des violences conjugales. À cet égard, je souhaite saluer le travail mené par le secrétaire d'État Adrien Taquet sur la protection de l'enfance, particulièrement vis-à-vis des violences. Grâce à la loi du 3 août 2018, le fait de commettre en présence d'un mineur des violences sexistes ou sexuelles – y compris au sein du couple – constitue en tant que tel une circonstance aggravante.

Je soutiendrai bien évidemment les dispositions de l'article 3, qui autorisent le juge à suspendre le droit de visite et d'hébergement des personnes placées sous contrôle judiciaire. Les enfants ne doivent pas subir des pressions, ou être l'objet de violences ou de chantages exercés par ricochet. La décence nous impose également de ne pas demander à des orphelines et des orphelins de verser quoi que ce soit à l'assassin de leur autre parent.

Les violences conjugales constituent, nous le savons, une déflagration dans le noyau familial ; c'est le cas, à plus forte raison, des féminicides. Quand je lis et écoute des témoignages d'enfants de victime devenus adultes, qui ont donc été victimes eux-mêmes, me revient la phrase de Théophile de Viau : « Il faudra qu'on me laisse vivre après m'avoir fait tant mourir ».

Pour conclure, les violences conjugales ne sont pas des affaires privées. Aussi, quand on en est témoin, directement ou non, ne faut-il pas jeter un voile pudique, en se disant qu'elles finiront d'elles-mêmes. Je le répète : quand on est témoin d'un cambriolage, on appelle la police. Il faut faire de même quand on est témoin de violences conjugales, afin que les forces de l'ordre interviennent.

Avant la fin du premier semestre de l'année 2020, des conventions et des protocoles seront signés dans chaque département, pour permettre le dépôt de plainte à l'hôpital. Il faut ne laisser aucune victime sans solution. Quelque 1 000 places d'hébergement d'urgence sont ouvertes. Pour les femmes qui souhaitent changer de domicile, la garantie Visale, mise en oeuvre par Action logement, avec le soutien de l'État, leur permettra de bénéficier d'une garantie locative pour déménager rapidement et durablement.

Nous avons d'ores et déjà commencé à organiser des formations pour l'ensemble des professionnels intervenant auprès des victimes. La question de l'identification et de la prévention des violences conjugales est bien évidemment, désormais, intégrée aux différents cursus de formation.

Avec la garde des sceaux, Nicole Belloubet, nous poursuivons notre travail commun de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Je tiens à saluer son courage et sa volonté politique : elle s'est fortement engagée et a engagé tout son ministère dans ce combat. Nous pouvons compter sur sa détermination.

En 2018 déjà, nous avons défendu ici le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui a permis d'instaurer, pour la première fois dans le monde, un délit de harcèlement de rue, donnant lieu à une verbalisation.

C'est un plaisir de vous annoncer que, sous l'autorité du Premier ministre, nous avons confié à la députée Alexandra Louis une mission d'évaluation parlementaire de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ; elle devra nous remettre un rapport dans quelques mois. La ministre de la justice, le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance et moi-même seront particulièrement attentifs à cette évaluation car nous sommes volontaristes sur ces questions.

L'impatience des Françaises et des Français de voir nos mesures appliquées est immense ; nous la ressentons et la partageons. Notre souhait commun est que les effets concrets du Grenelle des violences conjugales soient quantifiables, et rapidement. Cet exercice a marqué un tournant.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie une nouvelle fois de jouer votre rôle, de prendre votre responsabilité de législateur, en donnant toute son importance à ces mesures. Votre mobilisation est le signe d'une espérance nouvelle, d'une prise de conscience claire : oui, nous refusons la fatalité, et garantissons aux victimes que la force de la République et du droit est de leur côté.

Affichons donc notre enthousiasme à agir, même si le sujet est grave. Démultiplions notre énergie, comme vous l'avez toutes et tous fait lors du Grenelle des violences conjugales. Donnons-nous les moyens d'agir : sans attendre, les victimes doivent savoir que le dépôt de plainte est utile et que notre objectif est de mettre fin à l'immunité dont bénéficient les agresseurs.

Il nous faudra ensuite faire connaître ces dispositifs et ces droits aux femmes ; c'est la condition pour passer enfin d'un droit formel à un droit réel. Il faudra les communiquer le plus possible auprès de celles-ci, pour ne rien laisser passer.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie une nouvelle fois, et je vous souhaite de très bons débats.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.