Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 21h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

149, c'est le nombre de femmes qui ont succombé, en 2019, sous les coups de leur conjoint, ce qui représente une hausse de 18 % par rapport à 2018. Il s'agit d'une violence qui frappe toutes les femmes, de 15 à 92 ans et dans toute la France. Ces chiffres nous rappellent qu'il est urgent d'agir.

Aujourd'hui, c'est pourtant un texte en demi-teinte que vous nous proposez, car si un certain nombre de mesures vont dans le bon sens – je pense à la suspension de l'autorité parentale dans le cas de l'homicide volontaire d'un parent par l'autre parent, ou encore l'interdiction de la géolocalisation d'un conjoint sans son consentement – , je regrette que d'autres ne soient pas inscrites dans la loi.

Je fais notamment référence à une mesure simple et efficace que nous sommes en train d'appliquer à Béziers et qui vise à instaurer une coopération active entre les services d'urgence des hôpitaux ou des cliniques et les forces de l'ordre, afin de permettre aux victimes de violences de porter plainte plus facilement. Concrètement, nous oeuvrons pour que l'hôpital, la police nationale, la gendarmerie et la police municipale travaillent main dans la main pour venir en aide aux femmes maltraitées, non seulement en recueillant plus rapidement les plaintes, mais aussi en intervenant plus facilement en cas de problème causé par les conjoints violents jusque dans les services d'urgence.

En travaillant sur le sujet, nous nous sommes rendu compte que seulement 10 % des femmes portaient plainte après avoir subi des violences : c'est bien trop peu ! Quand une femme a été battue et qu'elle se rend à l'hôpital pour se faire soigner, il lui est difficile d'aller ensuite porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie. Très souvent, entre l'hôpital et le commissariat ou la gendarmerie, elle passe par son domicile, où elle retombe sous l'emprise du conjoint violent.

Alors que faire ? Il convient de leur faciliter la tâche et de recueillir la plainte des victimes au sein même du service des urgences sans qu'elles puissent en être dissuadées. À Béziers, je vous l'ai dit, nous étudions actuellement des solutions pratiques pour que cela puisse se faire en toute discrétion et avec du personnel formé.

Madame la rapporteure, j'ai bien compris que, pour des raisons techniques, vous estimez que ce genre d'initiative relève de la compétence des territoires. Je ne désespère pas de vous démontrer combien, en inscrivant cette mesure dans la loi, nous adresserions aux femmes un message fort.

Je regrette également que les peines encourues dans le cas où le harcèlement conduit la victime à se suicider ne soient pas plus sévères. Il doit y avoir une différence de peine entre un harcèlement qui conduit à une tentative de suicide et celui qui conduit à la mort d'une personne. Je rappelle tout de même qu'on estime à 218 le nombre de femmes qui se seraient suicidées en 2018 à la suite de violences physiques et morales.

En commission, il m'a été répondu que le groupe de travail du Grenelle contre les violences conjugales, qui a proposé la rédaction de l'article 7 du projet de loi, estimait « qu'une procédure en cours d'assises n'était pas indiquée, à la fois en raison de sa lourdeur et par une volonté de soumettre l'infraction à des magistrats professionnels avant d'en saisir un jury populaire ». Je m'interroge sur ce point : réprime-t-on en France moins sévèrement un acte au motif d'une lourdeur de procédure ? Nous avons pourtant eu à voter, il y a quelques mois, un texte censé réformer en profondeur la justice pour – nous avait-on assuré – être au plus près des justiciables.

Par ailleurs, je ne vous cache pas mon inquiétude quant à la mise en oeuvre de l'article 8, qui fera du médecin un lanceur d'alerte et le conduira à renoncer au secret médical. Je trouve cela dangereux, car la victime pourrait renoncer à consulter, de peur d'être signalée au procureur de la République. D'autant que le droit prévoit déjà un devoir d'agir en cas de danger imminent, sous peine de se rendre coupable de non-assistance à personne en danger.

Je reste convaincue que le meilleur service qu'un médecin puisse rendre à une femme battue, au-delà du soin, est de lui donner suffisamment confiance en elle pour qu'elle aille déposer plainte.

Pour conclure, je voudrais vous alerter sur un chiffre figurant dans le rapport annuel de la délégation aux victimes des directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale, publié le 10 juillet dernier. En 2018, sur 149 meurtres commis entre conjoints ou ex-conjoints, hommes et femmes confondus, 31 l'ont été par des auteurs de plus de 70 ans, dans l'essentiel des cas à l'annonce de la maladie de l'un des membres du couple. Cela donne envie d'aller voir un peu plus loin que la catégorie fourre-tout du « féminicide ».

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