Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Après l'article 11

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Comme l'a dit Mme la rapporteure, on est très tenté d'aller dans le sens de tous ces amendements et d'appliquer la qualification de victime à un enfant traumatisé par des violences conjugales qui s'exercent autour de lui. Cependant, je ne peux vous suivre totalement, là encore pour des questions juridiques.

Comme l'a expliqué Mme la rapporteure, la loi du 3 août 2018 a reconnu expressément la qualité de victime à ces mineurs en retenant comme circonstance aggravante des violences conjugales le fait qu'ils y assistent. L'objectif de ces dispositions est d'aggraver la répression, donc, mais aussi la possible constitution de partie civile, puisque telle est évidemment la conséquence de l'attribution du statut de victime. Il faut imaginer que de telles dispositions s'appliquent à tous les enfants et en toutes circonstances, ce qui est évidemment complexe.

Dans ma circulaire du 9 mai 2019, relative à la question des victimes des violences conjugales, j'ai donné pour instruction aux parquets de « retenir systématiquement cette circonstance aggravante, compte tenu de la coloration particulière qu'elle donne aux faits ». J'ai également précisé que « la désignation d'un administrateur ad hoc devra par ailleurs être envisagée afin de permettre au mineur d'être reconnu comme une victime des faits ». Cela signifie que la reconnaissance juridique du statut de victime à un enfant entraîne certaines conséquences juridiques, comme la désignation d'un administrateur ad hoc ou la reconnaissance de la constitution de partie civile.

Par ailleurs, ainsi que Mme la rapporteure l'a déjà dit, il semble très difficile de reconnaître que nous pouvons constituer un délit spécifique d'exposition des mineurs à des violences conjugales alors que nous avons constitué une circonstance aggravante : un même fait ne peut pas être constitué à la fois comme délit autonome et comme circonstance aggravante. C'est l'application de la règle non bis in idem.

Aujourd'hui, une prise en charge globale des enfants concernés est assurée. Les travaux menés dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, mis en oeuvre par Adrien Taquet, ont démontré la nécessité de renforcer les unités d'accueil et d'écoute spécialisées et pluridisciplinaires qui permettent de recueillir la parole du mineur. Comme l'a dit Adrien Taquet, les unités d'accueil médico-judiciaire pédiatriques ou unités de l'enfance en danger seront généralisées sur l'ensemble du territoire. Leur nombre passera de 64 aujourd'hui à 104 en 2022, grâce à l'allocation de moyens supplémentaires.

L'audition des mineurs par ces structures, à l'issue de laquelle une prise en charge psychologique pourra intervenir, concernera évidemment ceux qui ont été victimes, au sens commun du terme, de violences conjugales qui se sont déroulées devant eux.

À la suite de l'adoption par le Parlement de la loi du 28 décembre 2019, j'ai insisté auprès des procureurs sur la nécessité d'apporter une réponse à la fois très rapide et cohérente aux victimes de violences conjugales, comme cela est prévu par la loi elle-même. Vous avez évoqué un délai de six jours pour une ordonnance de protection. Cela signifie que les juges aux affaires familiales, les juges des enfants et les procureurs devront travailler ensemble sur les situations rencontrées par telle famille ou telle personne pour mettre en cohérence l'ensemble des informations. Je l'ai écrit moi-même.

Dans ce cadre, ils peuvent, comme c'est déjà le cas dans plusieurs juridictions, faire appel au centre de prise en charge des psycho-traumatisme qui accueillent les enfants pour les suivre de manière particulière.

Mesdames les députées, monsieur le député, vos amendements présentent des difficultés juridiques, que je vous ai exposées, mais le Gouvernement agit. Dans le cadre de ces actions, je suis toujours prête à travailler avec vous pour aller plus loin et poursuivre encore plus efficacement le travail en cours.

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