Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 11h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères :

Je commencerai par quelques précisions d'ordre budgétaire, car vous ne disposez peut-être pas de ces informations.

Madame Meunier, vous avez affirmé que les moyens alloués à la mise en oeuvre de la politique d'influence de la France avaient baissé ; ils ont au contraire été maintenus, et je m'honore d'avoir sanctuarisé ces crédits. Je vous invite à comparer les montants engagés pour le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » depuis 2017 avec ceux des exercices précédents. Ils ont même augmenté cette année de 16 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Votre affirmation est donc erronée, et je vous conseille de vous reporter aux chiffres.

S'agissant de l'Institut français, il y a peut-être une confusion entre celui de Paris et ceux implantés à l'étranger, qui n'ont pas la même structure. Ils sont identifiés par le même nom, ce qui n'est pas heureux car leurs fonctions diffèrent. L'Institut français de Paris est un pourvoyeur de prestations tandis que les instituts français des pays concernés sont des outils d'animation, des établissements à autonomie financière qui, en s'appuyant sur des partenariats locaux, développent toute une série d'activités culturelles. L'Institut français de Paris a vu sa subvention diminuer de 2 millions d'euros cette année parce qu'il a bénéficié l'année dernière d'une subvention exceptionnelle exclusivement affectée à l'organisation de la saison Africa 2020. J'ai entendu dix fois que le budget de l'Institut avait baissé de 2 millions d'euros, alors que cette somme correspond à une opération exceptionnelle et que le reste du budget est resté stable. Il n'y a donc pas matière à débattre, et je vous saurais gré de bien vouloir transmettre cet éclaircissement aux intéressés.

Les chiffres relatifs au budget de l'Alliance française pourraient eux aussi être mal interprétés : la baisse d'un million d'euros est concomitante de l'achèvement du plan de sécurisation des alliances françaises. Ce plan avait été engagé pour préserver et sécuriser ces outils dans les zones à risque. Un plan de sécurisation globale s'appuie par ailleurs sur un compte spécial, hors budget donc, pour renforcer la sécurité de l'ensemble de nos outils diplomatiques à l'étranger au sein de l'Alliance française. S'agissant des activités, des prestations et du fonctionnement des alliances françaises, leurs crédits demeurent inchangés, conformément aux engagements que j'ai pris. Comme tous les ministres, j'aimerais disposer d'un montant de crédits plus important, mais telle est la réalité des chiffres, et il est de mon devoir de dissiper toute ambiguïté quand ceux-ci sont erronés.

J'en viens aux industries culturelles et créatives (ICC), qui sont l'objet de la question de Mme Calvez. Le préalable à toute action est que la profession s'organise, car ses acteurs sont aujourd'hui éparpillés, ce qui dessert un outil pourtant très valorisant pour la France. C'est le message qui a été transmis aux intéressés lors de l'ouverture des états généraux des industries culturelles et créatives en présence de Franck Riester et Bruno Le Maire. La profession doit se structurer pour disposer d'une capacité d'exportation significative. Dès lors que la filière aura été créée, le développement à l'international pourra constituer un axe majeur du contrat de filière.

La place des ICC doit être renforcée dans trois secteurs aujourd'hui sous-exploités : la musique, les jeux vidéo et l'architecture. À cette fin, j'ai désigné trente-sept pays où nous avons intérêt à renforcer prioritairement la présence des industries culturelles et créatives françaises. Les ambassadeurs concernés sont chargés d'élaborer un plan d'action et de désigner un référent qui sera l'interlocuteur de la filière dans le pays quand celle-ci se sera structurée. Les professionnels concernés partagent cet objectif qu'il faut à présent concrétiser, car les ICC sont un pilier de notre influence et leur développement constitue un objectif stratégique essentiel.

Dans ce secteur hautement concurrentiel, nous disposons d'un avantage qualitatif considérable par rapport aux pays tiers. Je considère qu'il s'agit de l'enjeu le plus important de la mission qui m'est confiée, tant en matière culturelle qu'au plan économique. Une telle ambition implique d'aider les PME culturelles exportatrices à développer leur potentiel à l'export. C'est la raison pour laquelle Bpifrance vient d'annoncer la mise en oeuvre d'un fonds de soutien aux ICC qui contribuera en particulier à la projection à l'international de ces industries essentielles pour notre pays.

J'aimerais préciser quelques éléments sur l'apprentissage du français à l'étranger. L'objectif, annoncé par le Président de la République dans son discours du 20 mars 2018 à l'Institut de France, est de doubler le nombre d'apprenants d'ici à 2030. La dynamique s'est déjà enclenchée : depuis cette annonce, nous sommes passés de 495 à 522 établissements homologués, qui reçoivent 37 000 élèves, soit 15 000 de plus qu'en 2018. Certes, l'objectif est un peu ambitieux, mais pour aboutir à ce résultat nous nous appuyons sur quatre leviers. Le premier est de renforcer l'attractivité de l'enseignement de nos propres établissements. Le second est de faciliter l'ouverture de nouveaux établissements, notamment par des investisseurs désireux de créer des outils pédagogiques, toujours selon la procédure d'homologation consacrée, à laquelle participe notamment l'AEFE. Le troisième est d'assurer la formation des enseignants à partir des viviers locaux, qu'il faut développer. Le quatrième est la création de 2 000 postes d'enseignants supplémentaires, dont la vocation principale sera d'encadrer les enseignants des établissements nouvellement ouverts.

Je vais illustrer mon propos de deux expériences récentes, l'une à Tunis, l'autre à Mexico. J'ai inauguré voilà quelques jours à Tunis une école française créée par des Tunisiens avec un encadrement français. D'autres projets de ce type sont en préparation. On autorise désormais les Tunisiens à investir dans des locaux, dans un système de formation, sous réserve toujours de l'obtention du label de l'AEFE et d'un accompagnement, même réduit à l'essentiel, dans l'enseignement en français. C'est un moyen d'élargir l'offre de façon significative. J'ai constaté qu'à Mexico, où la demande des jeunes Mexicains pour l'apprentissage du français est forte, le lycée franco-mexicain assurait la formation d'enseignants mexicains en français, comme nous le faisons dans nos écoles normales. Voilà aussi une façon de rendre l'enseignement du français attractif aux yeux des apprenants mexicains.

Ces deux exemples montrent qu'il n'y a pas une seule ligne d'action, et qu'il faut pouvoir s'adapter au système éducatif de chaque pays. La dynamique est désormais lancée, et les résultats que je vous ai donnés montrent qu'elle suscite l'adhésion. Les deux établissements dont je viens de parler n'ont d'ailleurs pas encore été comptabilisés dans les nouvelles ouvertures.Telle est la volonté qu'a impulsée le Président de la République par son discours, et j'ai bon espoir que nous atteindrons l'objectif fixé, même s'il est très ambitieux, car l'enjeu est considérable pour notre influence.

Je précise que les lycées français n'accueillent pas que des enfants de compatriotes : la part moyenne des élèves de la nationalité du pays concerné est d'environ deux tiers. Ces structures d'enseignement ont évidemment pour vocation la formation des jeunes Français à l'étranger au sein du système d'éducation national, mais l'ouverture à l'extérieur est essentielle, même si elle varie d'un pays à l'autre. J'étais à Alger hier où cette question a été évoquée directement avec le nouveau Président de la République algérien, après une période pourtant un peu compliquée. Il existe une vraie demande pour le français, ce qui est enthousiasmant pour nous, à condition de pouvoir y répondre.

Vous m'avez interrogé sur les frais d'inscription dans les établissements français à l'étranger. Il faut bien faire la distinction entre le coût de la scolarité et le prélèvement effectué par l'AEFE sur les établissements homologués. Il avait été décidé en 2017 une ponction qui revenait à faire passer de 6 à 9 % le taux de prélèvement de l'AEFE sur les recettes des établissements ; j'ai souhaité la supprimer. La contribution des établissements à l'AEFE est donc revenue à 6 %. Parce que le fonctionnement de ces derniers est en grande partie lié à la contribution des parents, mais aussi du fait de l'inflation mondiale, le coût de la scolarité a augmenté d'environ 3 % au cours des trois dernières années. L'autre décision que j'ai prise a été d'allouer 25 millions d'euros supplémentaires à l'AEFE chaque année pour lui permettre d'assumer ses nouvelles fonctions de renforcement des réseaux et d'accompagnement des nouveaux apprenants du français dans les établissements. Et ce montant ne vient pas couvrir l'annulation de 33 millions d'euros en 2017, qui a été compensée en interne.

Vous m'avez interrogé sur la Francophonie, madame Buffet. Il me semble qu'elle se porte bien : le sommet d'Erevan, dernier en date, s'est déroulé dans de bonnes conditions et a vu l'augmentation du nombre de pays membres observateurs. Son cinquantième anniversaire est en préparation : il aura lieu à Tunis au mois de décembre. La nouvelle secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) fait montre de beaucoup d'allant et de détermination, d'un enthousiasme appuyé dans ses différents déplacements, ce qui laisse augurer la grande réussite de cet événement. Ce sommet n'est pas uniquement celui de la langue française : il promeut aussi des valeurs, et l'OIF joue un rôle politique d'accompagnement de plusieurs pays vers la démocratie, une des valeurs au coeur du concept de Francophonie.

Nous soutenons bien entendu les Jeux de la Francophonie, une initiative portée par l'OIF, et espérons que cette manifestation très importante se déroulera dans les meilleures conditions en République démocratique du Congo (RDC), le prochain pays hôte. La RDC, qui rencontre de nombreuses difficultés et doit faire face en ce moment même à une épidémie d'Ebola, a en effet besoin de stabilité.

Quant au lycée français de Ramallah, nous lui apportons notre soutien et continuerons de le faire. Deux professeurs français expatriés y enseignent, en dépit d'une situation politique très difficile ; le Président de la République, qui se rend à Ramallah demain, aura l'occasion de s'en rendre compte, et les autorités palestiniennes ne manqueront pas de la lui faire observer.

Vous m'avez fait plusieurs propositions sur l'audiovisuel extérieur. Je ne me prononcerai pas sur celles-ci pour le moment, et laisserai le Parlement user librement de ses prérogatives et délibérer sur le sujet lorsque le projet de loi sera soumis à son examen. Sachez néanmoins que nous nous sommes battus pour que le ministère des affaires étrangères soit présent dans la nouvelle holding France Médias afin de préserver les intérêts de France Médias Monde (FMM), notamment en s'assurant de l'affectation d'une part de la redevance au fonctionnement des outils de l'audiovisuel extérieur que sont les chaînes de télévision France 24 et les radios Radio France internationale (RFI) et Monte Carlo Doualiya (MCD).

Il faut bien comprendre que l'influence par les vecteurs audiovisuels n'est pas uniquement liée à la langue. J'ai eu l'occasion, en Amérique du Sud, de regarder France 24 en espagnol. On pourrait émettre des doutes sur la pertinence de diffuser cette chaîne dans d'autres langues que le français, mais l'influence de France 24 repose aussi sur une conception propre de l'information, qu'il est très important de pouvoir produire dans les langues aujourd'hui proposées, à savoir, outre l'espagnol, l'anglais et l'arabe.

Lors de la discussion du projet de loi, vous serez amenés à vous interroger sur les moyens de garantir la pérennité des financements de France Médias Monde, ce à quoi je serai très vigilant. Je m'appuierai pour ce faire sur notre présence dans la holding, qui aura pour vertu par ailleurs d'assurer la cohérence globale de l'audiovisuel public français à l'international et d'établir des liens avec ses partenaires.

S'agissant du versement d'une subvention à l'audiovisuel extérieur par l'Agence française de développement (AFD), je n'y suis pas favorable, car ce serait une confusion des genres. En revanche, je suis prêt à examiner une contribution par projets, dès lors que ceux-ci seraient bien identifiés, par exemple sur le Sahel, un sujet lourd d'actualité. Je m'en suis déjà ouvert à Mme Marie-Christine Saragosse, la présidente du groupe France Médias Monde.

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