Intervention de Thierry Benoit

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Benoit, rapporteur :

Merci à vous, Madame la présidente, et aux membres de la commission des Lois, de m'accueillir afin d'examiner cette proposition de loi qui est relative, dans sa version initiale, à l'interdiction du cumul des pensions de retraite et des indemnités d'activité pour les personnes nommées au Conseil constitutionnel, dans les autorités administratives et publiques indépendantes et dans les agences de l'État.

Je me suis penché sur cette question pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles est que j'en suis à mon troisième mandat de député. L'expérience aidant, j'ai découvert, au fil des ans, des pratiques dont, il y a treize ans, lorsque je suis arrivé à l'Assemblée nationale, j'ignorais l'existence. Je veux parler d'un certain nombre d'exceptions qui méritent d'être corrigées.

L'élément déclencheur de ce texte est survenu au moment du grand débat national, voulu par le Président de la République et auquel ont participé, outre le Président de la République lui-même, les membres du Gouvernement et les députés. À maintes reprises, nos concitoyens ont pointé ce qu'ils considéraient comme des anomalies, un manque de transparence et de clarté dans certaines pratiques ayant cours au plus haut sommet de l'État. Pour ma part, j'ai toujours été très sensible à tout ce qui militait pour plus de transparence, d'équité, de justice et d'exemplarité s'agissant aussi bien du comportement des élus que de ce qui touche à la sphère publique et à la gestion des deniers publics – car, avec cette proposition de loi, naturellement, on parle de la bonne utilisation de l'argent public. C'est pour cette raison qu'il y a un an j'ai rédigé, avec la collaboratrice de mon groupe, que je remercie de son aide précieuse, et avec mon collaborateur personnel, une proposition de loi ordinaire et une proposition de loi organique que nous avons ensuite soumises à la signature des autres députés. Plus de cent soixante collègues, issus de tous les bancs, ont cosigné le texte que nous examinons aujourd'hui.

Initialement, ma proposition de loi visait à supprimer la dérogation permettant aux personnalités nommées au Conseil constitutionnel, dans les autorités administratives et publiques indépendantes et dans les agences de l'État de cumuler allègrement des sommes pouvant se chiffrer en dizaines de milliers d'euros. Dans mes travaux, je me suis appuyé notamment sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux autorités administratives indépendantes (AAI) et aux autorités publiques indépendantes (API). Je me suis fondé également sur les travaux de la commission d'enquête sénatoriale de 2015, dont le rapporteur était M. Jacques Mézard, lequel, depuis lors, a participé au gouvernement d'Édouard Philippe et siège désormais au Conseil constitutionnel. Son rapport est riche d'enseignements. Je me suis aussi servi d'éléments de réflexion qui m'ont été remis, à ma demande, par la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP). Enfin, je me suis fondé sur les travaux de l'Observatoire de l'éthique publique, présidé par M. René Dosière, député honoraire.

Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas de régler des comptes avec qui que ce soit : je n'ai aucun problème avec la fonction publique, encore moins avec les fonctionnaires eux-mêmes. Notre proposition de loi ne vise pas à réviser la grille de rémunération des fonctionnaires ; il s'agit de mettre fin à des règles dérogatoires au droit commun, à des exceptions qui permettent à certaines personnalités de cumuler intégralement leur rémunération et leur pension de retraite, mais également à l'« opacité » et à l'« entre-soi » qu'évoquait le rapport de la Cour des comptes. La Cour, de même que la commission d'enquête sénatoriale, pointait aussi le fait que certaines pratiques manquaient de contrôle. Or qui doit exercer ce contrôle ? Selon moi, c'est aux parlementaires, plus précisément aux députés, qu'il revient de le faire.

Au fil de mes travaux, il m'est apparu essentiel de limiter, dans un premier temps, la proposition de loi aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes : je fais le choix de mettre de côté, à dessein, les neuf membres du Conseil constitutionnel, afin de faire un pas en direction du Gouvernement. Il n'aura échappé à personne que, lorsqu'il prépare un projet de loi, le Gouvernement a derrière lui toute une administration pour travailler sur le texte, tandis que, quand un député dépose une proposition de loi, il n'a pour l'aider qu'un seul administrateur de l'Assemblée nationale – dont je me permets de saluer la très grande qualité. De ce fait, une proposition de loi a nécessairement, par nature, des ambitions modestes par rapport à un projet de loi. Je ne prétends pas tout révolutionner. De toute façon, vouloir tout changer du jour au lendemain, c'est la meilleure manière pour que rien ne change… C'est pour cela que je propose d'être pragmatique, très mesuré et de finalement nous concentrer sur un objet particulier, en l'occurrence les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes.

Étant, par leur nature même, indépendantes, les AAI et les API ne sont pas rattachées directement à un ministère. Je ne trouve rien à redire à leur fonctionnement en lui-même. On compte vingt-cinq autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, qui regroupent à peu près 3 000 agents, pour un budget global de 600 millions d'euros. Les 3 000 fonctionnaires employés par ces autorités ne sont pas concernés par les dispositions du texte, lesquelles visent uniquement les personnalités nommées.

L'article 1er met fin à la dérogation qui permet à ces dernières de cumuler intégralement pension de retraite et indemnité d'activité.

L'article 2, quant à lui, vise à plafonner la rémunération des membres de ces autorités, notamment celle de leurs présidents, qui ne pourront plus percevoir une rémunération supérieure à celle du Président de la République. Même s'il ne s'agit pas ici d'attaquer des personnes, disons les choses, d'autant que le fait en question est de notoriété publique : au moment du grand débat national voulu par le Président de la République, il a été révélé que la présidente de la Commission nationale du débat public touchait une rémunération relativement élevée, qui pouvait interpeller nos concitoyens, voire les choquer – à tel point que cette commission n'a pas été en mesure d'animer le grand débat, ce qui pose question.

L'article 3 visait à renforcer la transparence en prévoyant de communiquer au Parlement les rémunérations des membres du Conseil constitutionnel, des autorités administratives et publiques indépendantes et des agences de l'État. Or il a été satisfait par l'adoption d'un amendement que j'avais déposé, au nom du groupe UDI, dans le cadre de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, il y a quelques mois. Cette disposition, qui a été adoptée par des députés de tous les groupes politiques, puis confirmée au Sénat, est devenue l'article 95 de la loi de transformation de la fonction publique. Je proposerai donc la suppression de l'article 3.

J'invite celles et ceux qui en auront le loisir entre nos travaux en commission et l'examen du texte dans l'hémicycle dans une semaine, le jeudi 30 janvier, à lire le rapport de la Cour des comptes que j'évoquais. Celui-ci distingue l'indépendance fonctionnelle des AAI et des API, qui doit être respectée, et l'autonomie de gestion en matière administrative et financière, qui doit être encadrée : certaines de ces autorités indépendantes sont qualifiées d'OVNI juridiques : de fait, il y a matière à questionnement et à contrôle.

Le Gouvernement, par la voix du ministre chargé de la fonction publique, m'a fait savoir que le problème du cumul entre la pension de retraite et les indemnités perçues allait être réglé car il allait très prochainement, dans les heures ou les jours à venir, publier un décret. Mais je conteste cette proposition : le décret, par nature, dépend du bon vouloir de la haute administration et des ministres ; ce n'est pas le Parlement – notamment les députés – qui va fixer les conditions. Le décret pourra par ailleurs retenir des règles dérogatoires du droit commun. Ma proposition de loi, que vous avez été 160 à cosigner, vise quant à elle à soumettre tous les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes au droit commun. Or celui-ci permet tout à fait de cumuler, dans une certaine mesure, retraite et rémunération. En effet, l'article L. 85 du code des pensions civiles et militaires de retraite dispose que le montant brut des revenus d'activité perçus « ne peut, par année civile, excéder le tiers du montant brut de la pension pour l'année considérée », auquel s'ajoute un montant forfaitaire égal à la moitié du minimum garanti. Il existe donc un cadre bien précis, notamment pour les retraités des fonctions publiques, qui leur permet de cumuler retraite et indemnités. Ce cadre doit s'appliquer à tous les fonctionnaires, quelle que soit leur catégorie, y compris aux hauts fonctionnaires.

Ma proposition de loi, enfin, correspond tout à fait aux objectifs affichés par le Président de la République, le Gouvernement et la majorité présidentielle, à savoir l'équité, la transparence et la justice. Je salue notamment la décision du Président de la République de ne pas faire valoir ses droits à retraite spécifiques à la fin de son mandat – soit parce qu'il n'en solliciterait pas un nouveau, soit parce qu'il ne serait plus président en 2022. J'indique également que plusieurs d'entre nous ont demandé que le régime de retraite des députés soit aligné sur le régime général, ce qui relève d'une décision du bureau de l'Assemblée nationale. Pour ma part, j'avais écrit dès 2010 un courrier en ce sens au président de l'Assemblée nationale de l'époque, Bernard Accoyer. Ce courrier, que je tiens à votre disposition, cosigné par Charles de Courson et Philippe Vigier, s'est vu opposer une fin de non-recevoir. J'ai écrit une nouvelle fois, au cours de mon deuxième mandat, au président Claude Bartolone pour lui demander l'alignement du régime de retraite des députés sur le régime général.

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