Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, rapporteure :

Vous vous souvenez peut-être de l'histoire d'Alizée Agier, championne du monde de karaté déclarée inapte physiquement à devenir gardienne de la paix du fait de son diabète de type 1, après avoir passé avec succès toutes les épreuves du concours. Des histoires comme la sienne, mais moins médiatisées, il y en a beaucoup. Je tiens d'ailleurs à rendre un hommage appuyé à Hakaroa Vallée, jeune diabétique de 15 ans qui a traversé toute la France en vélo tout-terrain et en courant. Il a rencontré de nombreux élus, afin de les sensibiliser, et se bat pour pouvoir exercer le métier de ses rêves.

Dans la France de 2020, une personne atteinte de diabète peut devenir championne du monde de karaté, mais elle ne peut toujours pas devenir militaire, policier, pilote de ligne, contrôleur aérien, sapeur-pompier, steward, capitaine de navire ou marin dans la marine marchande, pour ne citer que quelques exemples. Ceux qui exercent déjà ces professions peuvent être déclarés inaptes ou « placardisés », lorsque leur affection est découverte en cours de carrière.

Pourquoi une discrimination aussi absurde ? De nombreux textes réglementant l'accès à ces professions les interdisent a priori aux personnes diabétiques, sans évaluation au cas par cas de l'état de santé du candidat. Ces textes, souvent anciens, n'ont malheureusement pas évolué aussi vite que la médecine. Aujourd'hui, grâce à des traitements médicamenteux de plus en plus performants, aux pompes à insuline ou aux holters glycémiques, des diabétiques peuvent tout à fait exercer ces professions normalement.

Je ne crois pas qu'il faille ouvrir à toutes les personnes diabétiques tous ces métiers quel que soit leur état de santé : ce serait mettre en danger leur sécurité ou celle des autres. Ce que je crois fermement, c'est que l'exclusion, a priori et générale, des personnes diabétiques ou victimes d'autres maladies chroniques, sans aucun examen au cas par cas de la stabilité ou de l'impact concret de la maladie, ni considération des fonctions auquel le candidat est réellement destiné, constitue une discrimination inacceptable. C'est également l'avis de l'Ordre des médecins ou celui du Défenseur des droits, que j'ai interrogés.

Le Royaume-Uni, le Canada, l'Irlande, les États-Unis acceptent désormais les pilotes de ligne diabétiques, à condition qu'ils respectent certains critères et certaines procédures. Au Canada, c'est le cas depuis 1995 ! Aux États-Unis, les malades atteints de diabète peuvent également entrer dans la police, sous certaines conditions, et notamment en l'absence de risque d'hypoglycémie ou d'hyperglycémie graves.

La France peut-elle se satisfaire d'un tel retard ? Peut-elle se satisfaire de maintenir en vigueur des textes obsolètes conduisant de manière arbitraire à l'exclusion de certaines personnes du marché du travail en raison de leur pathologie ? Peut-elle se satisfaire d'interdire à toutes les personnes diabétiques de devenir hôtesse de l'air ou ingénieur dans l'armement ? Bien sûr que non !

Le constat est partagé sur nos bancs, j'en veux pour preuve le caractère transpartisan de cette proposition de loi, cosignée par des membres de six groupes parlementaires différents, de la majorité comme de l'opposition, de droite comme de gauche, et le dépôt en octobre 2019 d'une proposition de résolution de nos collègues du groupe Les Républicains sur le même sujet.

Le Gouvernement semble du même avis. Dès janvier 2017, Marisol Touraine s'était engagée à réviser ces textes. Plus de deux ans plus tard, en mars 2019, alors que rien ne s'était passé, Agnès Buzyn avait annoncé en réponse à une question au Gouvernement le lancement d'une mission conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale de l'administration, qui devait aboutir à un réexamen de ces dispositions. En mai 2019, lors de la discussion parlementaire sur le projet de loi de transformation de la fonction publique, le Gouvernement avait pris l'engagement de faire évoluer le référentiel d'aptitude utilisé dans l'armée et dans plusieurs métiers de la fonction publique, le SIGYCOP, avant la fin de l'année.

Depuis, rien : aucune mission n'a été lancée, et le référentiel d'aptitude n'a pas été modifié. Ce que j'avais conçu comme une proposition de loi d'appel lors de son dépôt est donc devenu une nécessité. Lors des auditions, il m'est également apparu indispensable d'élargir notre réflexion à toutes les maladies chroniques, pour des raisons de justice et d'équité, évidemment, mais aussi par pragmatisme, car les textes restreignant l'accès aux professions concernées pour les diabétiques prévoient en général également des restrictions pour d'autres pathologies chroniques. Dans un rapport de Bastien Lachaud et Christophe Lejeune sur la lutte contre les discriminations au sein des forces armées, nos collègues de la commission de la défense avaient déjà ouvert la voie l'année dernière, en remettant en cause la discrimination des personnes séropositives par le SIGYCOP. Mais la question se pose pour beaucoup d'autres pathologies chroniques ! Elle se pose avec d'autant plus d'acuité que la part des malades chroniques au sein de la population ne cesse d'augmenter : une personne sur vingt est concernée par le diabète. Dès lors, comment continuer à mettre ce sujet sous le tapis, comme c'est le cas depuis des années ? L'élargissement aux maladies chroniques est l'objet de plusieurs amendements, que je vous présenterai.

Ma proposition de loi vise à en finir avec une réglementation discriminatoire. Son article 1er prévoit la création d'un comité d'évaluation des textes obsolètes interdisant l'accès à certaines formations et professions du fait de problèmes de santé. Sa mission principale sera de réaliser une évaluation globale de la réglementation. Des progrès ont déjà été faits il y a quelques années – on a supprimé les dispositions interdisant à ces malades d'entrer à l'École polytechnique ou à l'École nationale de la magistrature (ENM). Des travaux sont en cours à la direction générale de l'aviation civile.

Mais nous devons en finir avec la réflexion métier par métier, et ministère par ministère, qui prévaut et risque d'aboutir à des incohérences ! Les métiers concernés dépendent principalement des ministères des armées, de l'intérieur et des transports. Ceux-ci, ainsi que le ministère de la fonction publique, doivent donc se mettre autour de la table. Ce comité aura vocation à agir de manière collégiale et concertée et sera composé de représentants des administrations mais aussi des associations de patients, d'experts médicaux et scientifiques et de parlementaires.

L'article 2 interdit à terme l'exclusion a priori des malades chroniques de l'accès à certaines professions et formations. Elle est remplacée par un système d'évaluation au cas par cas de l'aptitude et de l'état de santé de chaque candidat. La décision d'aptitude devra par ailleurs être prise au regard des fonctions auquel le candidat prétend. Cet article permet de s'assurer que les travaux du comité d'évaluation auront bien lieu et qu'ils ne resteront pas lettre morte, et afin que les promesses faites aux malades depuis des années deviennent enfin des actes ! Je le sais, ces malades suivent attentivement nos travaux.

L'article 3 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport faisant état des progrès réalisés par le comité d'évaluation prévu à l'article 1er.

L'article 4 vise à mettre en place une campagne de communication publique sur le diabète et l'inclusion sur le marché du travail des personnes diabétiques.

Le caractère absurde et discriminatoire de textes qui n'ont pas évolué en même temps que les progrès médicaux, ainsi que la méthode que je vous propose, fondée sur la concertation, le dialogue et l'expertise, devraient conduire, en toute logique, à l'adoption de cette proposition de loi par notre commission. Elle est raisonnable et juste : elle vise simplement à permettre à chacun de s'insérer sur le marché du travail sans être stigmatisé en raison de son état de santé.

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