Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du jeudi 30 janvier 2020 à 9h00
Inscription d'office sur la liste électorale spéciale à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

La proposition de loi organique que nous examinons ce matin s'inscrit dans un contexte bien particulier, qui a été rappelé : celui de l'histoire institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et du processus d'autodétermination dans lequel elle est engagée depuis plus de trois décennies.

Au moment d'aborder la question sensible et cruciale du corps électoral pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, nous devons garder à l'esprit le chemin accompli, les acquis, parties intégrantes de l'histoire calédonienne récente.

Comme l'a rappelé le rapporteur, la Nouvelle-Calédonie telle que nous la connaissons est l'aboutissement d'un long processus. À la suite des événements des années 1980, qui ont entraîné la mort de plus de soixante-dix personnes, les accords de Matignon signés par Jacques Lafleur et par Jean-Marie Tjibaou – à qui ils coûteront la vie – ont permis aux Calédoniens de commencer à tisser les fils du dialogue pour refonder ensemble une paix durable en Nouvelle-Calédonie.

Dix ans plus tard, par la signature de l'accord de Nouméa, les Calédoniens ouvraient une nouvelle phase du processus de décolonisation et d'émancipation engagé au sein de la République. Cette étape a tracé la perspective d'une communauté de destin choisie, qui s'est traduite – c'est essentiel – par la création d'une et d'une seule citoyenneté calédonienne, fondant les restrictions apportées au corps électoral pour la consultation.

Aux termes de cet accord et conformément à l'article 77 de la Constitution, une consultation sur « l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté » devait être organisée au plus tard six mois avant la fin du mandat du congrès de la Nouvelle-Calédonie entamé en 2014. C'est ainsi que le 4 novembre 2018, le peuple calédonien, peuple souverain, maître de son destin, se prononçait par 78 734 voix – et seulement à 18 000 voix près – contre l'indépendance et pour le maintien au sein de la République française.

Ce résultat montre combien la question du corps électoral est primordiale et sensible pour l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, et doit donc être traitée avec la plus grande prudence. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie se singularise par un droit à l'autodétermination, unique au sein de notre République, et par la coexistence de trois corps électoraux : la liste électorale générale ; la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province ; et la liste électorale spéciale concernant la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté.

Au fil du temps, la population appelée à « déterminer librement le statut politique » du pays a évolué ; elle a été progressivement élargie par consensus. Alors qu'en droit commun, l'inscription sur les listes électorales relève d'une démarche volontaire de chaque citoyen, le contexte propre à la Nouvelle-Calédonie et l'enjeu que représente la consultation ont justifié l'inscription d'office – par consensus, j'insiste sur ce point – de certaines catégories d'électeurs sur la liste électorale générale et sur la liste électorale spéciale à la consultation.

En 2015, la liste électorale spéciale à la consultation a été essentiellement constituée par l'inscription d'office de tous les Calédoniens figurant sur la liste électorale pour les élections provinciales. Trois ans plus tard, l'inscription d'office de tous les natifs, qu'ils soient ou non de statut coutumier, résultait de l'accord du XVIe comité des signataires, réuni le 2 novembre 2017 à Matignon. Cet accord, je le répète, procédait d'un consensus entre les indépendantistes, qui réclamaient l'inscription d'office des Kanaks, et les non-indépendantistes, qui s'opposaient à toute discrimination fondée sur un critère ethnique. Encore une fois, il n'y a pas deux citoyennetés calédoniennes, selon que l'on est ou non kanak : il n'y en a qu'une seule.

Le respect de l'égalité de traitement entre tous les Calédoniens, qui a conduit à cette décision, n'est pas étranger à la réussite de l'organisation du référendum du 4 novembre 2018. Au lendemain de ce premier référendum, chacun a pu saluer les conditions démocratiques exemplaires dans lesquelles s'étaient déroulées les opérations électorales. Comme les partenaires s'y étaient engagés au comité des signataires, le problème de l'absence de Calédoniens relevant du corps référendaire sur la liste électorale pour la consultation a été réglé de manière à « garantir la légitimité et la sincérité du résultat du scrutin », autrement dit à le rendre incontestable. En Nouvelle-Calédonie, la contestation d'un scrutin pourrait en effet entraîner des désordres civils majeurs.

Dans quelques mois, le 6 septembre prochain, comme le permet la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les Calédoniens seront de nouveau consultés sur leur accession à la pleine souveraineté – entendez par là à l'indépendance. Lors du XIXe comité des signataires, réuni à Matignon le 10 octobre 2019, qui a fixé la date de ce deuxième référendum, le Premier ministre soulignait que cette consultation devait être « aussi irréprochable que la première ». On pouvait donc légitimement attendre que les modalités fixées assurent à l'ensemble du corps électoral la même égalité de traitement, pour permettre à chacun de s'exprimer sur l'avenir de l'archipel dans les mêmes conditions – sachant qu'il y a une citoyenneté calédonienne, pas deux.

Pourtant, quand le comité des signataires de 2017 avait, je le rappelle, débouché sur un consensus, celui de 2019 s'est conclu par un constat de désaccord sur ce point. L'inscription d'office n'a pas été reconduite, alors même que les partis non indépendantistes avaient jugé « inacceptable » cette inégalité de traitement.

La volonté de l'État de prévoir un « dispositif de détection exhaustive des éléments concernés, associé à une démarche incitative de l'État à leur endroit », dispositif que le Gouvernement supposait devoir « produire les mêmes effets que ceux impliquant une inscription d'office », était certes louable. Mais les chiffres cités par le rapporteur nous forcent à admettre que ce dispositif est loin d'avoir atteint son objectif. Je me permettrai même, madame la ministre, de dire que vos propres chiffres prouvent le contraire.

Comment peut-on accepter que certaines catégories d'électeurs ne puissent pas voter dans les mêmes conditions que les autres ? C'est prendre le risque d'orienter le résultat de ce référendum, et celui du référendum suivant, en modifiant structurellement la liste électorale alors même que l'écart est assez faible, comme on l'a vu lors du scrutin précédent. C'est prendre la responsabilité historique – je le dis avec la même gravité que vous, madame la ministre – que les résultats soient contestés cette fois-ci, ou lors du troisième référendum qui aura lieu en 2022, suscitant un risque réel pour la paix civile dans ce territoire qui a déjà connu beaucoup d'événements dramatiques.

Tout à l'heure, M. le rapporteur nous rappelait combien de gens d'origines diverses sont venus s'établir en Nouvelle-Calédonie. Les Calédoniens ne sont pas seulement les Kanaks et les Caldoches, ce sont également tous les autres. On ne peut pas distinguer deux catégories, ceux de droit coutumier, c'est-à-dire les Kanaks, et ceux qui ne le sont pas, à moins qu'on ne considère que les uns auraient plus d'importance ou plus de droits que les autres. C'est l'enjeu principal de la non-reconduction du dispositif prévu pour le premier référendum : l'inscription d'office sur les listes électorales.

Le deuxième enjeu pour l'Assemblée nationale – je m'adresse à l'ensemble de nos collègues – consiste à savoir si, après avoir reconnu dans la Constitution l'existence d'un peuple calédonien, dont l'histoire est particulière, nous allons préserver cette unicité calédonienne ou décider qu'il y aura désormais, dans notre droit électoral, une séparation de fait entre deux catégories de citoyens.

Si j'ai signé, si le groupe UDI, Agir et indépendants a signé et soutient cette proposition de loi organique défendue par Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, c'est parce qu'elle s'inscrit au sein du processus dans lequel les Calédoniens se sont engagés depuis trente ans, animés par la volonté de construire ensemble une identité collective et de trouver ensemble des solutions par consensus. Soutenir l'inscription d'office des Calédoniens, qu'ils soient ou non de statut coutumier, sur la liste électorale référendaire, c'est préserver les fragiles équilibres qui se sont construits au fil des années en Nouvelle-Calédonie.

Je constate d'ailleurs que ceux qui, sur ces bancs, apportent leur soutien à cette proposition de loi organique, c'est-à-dire le groupe Les Républicains et le groupe Socialistes et apparentés, sont aussi ceux qui ont accompagné le processus d'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie durant trente ans, à chaque étape, et toujours dans le respect de cet esprit de consensus, quelles que soient les forces politiques au pouvoir.

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