Intervention de Vincent Drezet

Séance en hémicycle du jeudi 6 février 2020 à 9h00
Débat sur les allégements de la fiscalité au profit du capital et des entreprises

Vincent Drezet :

Je vous remercie de m'avoir invité à cette table ronde consacrée à un thème qui occupe largement le débat public et économique, et qui produit des effets sociaux.

L'allégement de la fiscalité du capital au sens large, y compris des entreprises, est un marqueur des politiques fiscales actuelles, et traduit plus largement une tendance engagée il y a vingt ou trente ans. Je l'analyserai au travers de deux questions : concrètement, comment alléger la fiscalité des entreprises et du capital ? Quels en sont les effets ?

Pour alléger la fiscalité des entreprises et du capital, on peut prendre des mesures, mais on peut aussi ne pas en prendre. Le cas échéant, les mesures peuvent intervenir au niveau national comme au niveau international – dimension incontournable de nos économies ouvertes. Une forte concurrence fiscale et sociale s'exerce à l'échelle internationale, et s'est même probablement renforcée depuis la crise de 2008. Schématiquement, elle se traduit, dans la plupart des pays, par un transfert de fiscalité du capital vers le travail et une pression accrue sur le niveau des prélèvements obligatoires. Qu'on y voie une idéologie ou une nécessité, on ne peut nier qu'une telle tendance est à l'oeuvre. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater l'augmentation du poids de la TVA – taxe sur la valeur ajoutée – et des impôts indirects qui sévit au sein de l'Union européenne, tandis que l'impôt sur le revenu et les taux nominaux et effectifs de l'impôt sur les sociétés – IS – sont de moins en moins progressifs. C'est là une tendance lourde, documentée, qui s'inscrit dans un contexte international de concurrence fiscale et sociale.

À l'échelle nationale, les diverses mesures qui ont été prises reposent sur un triptyque constitué par la baisse de l'impôt sur les sociétés, la création d'un prélèvement forfaitaire unique et la suppression de la taxation des actifs financiers – qualifiée sommairement de suppression de l'impôt sur la fortune, l'ISF. Cette logique économique impulsée et assumée par le Gouvernement part du principe qu'il faut alléger les prélèvements sur les entreprises, cesser d'imposer au barème progressif les revenus dits financiers – dans lesquels je range les dividendes, les actions et les plus-values – et cesser de taxer ces mêmes actifs financiers au stade du stock. L'objectif est de dégager des marges financières qui puissent ruisseler ou être réinjectées dans l'économie.

Mais, pour alléger la fiscalité des entreprises et du capital, on peut aussi s'abstenir de prendre des mesures – il est important de le rappeler. C'est ainsi qu'à l'échelle internationale comme nationale, des projets susceptibles de renforcer la fiscalité des entreprises sont volontairement entravés, et que des dispositions sont délibérément écartées. Prenons l'exemple de la taxe appliquée aux géants du numérique, la fameuse taxe GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple. Je ne prétends pas qu'elle n'a produit aucun effet. Elle a certes donné une impulsion, mais elle est aujourd'hui remise en cause par des discussions politiques et géopolitiques internationales, notamment dans le cadre de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques. En France, l'impôt sur les sociétés est daté et n'a pas su s'adapter à la transformation de l'économie. Nous pouvons aussi regretter l'absence d'harmonisation fiscale – principalement en matière d'imposition des sociétés – au sein de l'Union européenne. Bien qu'un projet européen d'assiette commune consolidée de l'IS soit en discussion et près d'être finalisé, les États membres font obstacle à son entrée en vigueur. Un tel contexte, où prévaut de surcroît une liberté de circulation, une mobilité des capitaux et une internationalisation accrue, contribue à favoriser l'allégement de la fiscalité des entreprises et du capital, au bénéfice d'une poignée de grands acteurs économiques.

Parmi les dispositions que la France s'abstient d'engager, citons la révision du crédit d'impôt recherche – CIR – , dispositif particulièrement coûteux qui produit des effets discutables. Il est faiblement contrôlé par l'administration fiscale, et s'avère largement optimisé par les entreprises, voire détourné. Du reste, notre pays s'abstient de renforcer le contrôle fiscal, bien que ce soit une mission de la direction générale des finances publiques. Or, ne pas contrôler certains acteurs économiques, c'est leur laisser des marges de manoeuvre financières.

Quels sont les effets économiques et sociaux d'une telle politique ? D'un point de vue économique, l'allégement de la fiscalité des entreprises et du capital induit un manque à gagner budgétaire qui pénalise le financement de l'action publique. En outre, il n'est pas prouvé que de telles mesures d'allégement – je pense notamment au CICE et aux niches sociales – contribuent à la création d'emplois ; la Cour des comptes l'a d'ailleurs déploré dans son dernier rapport relatif à l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Cette politique produit de surcroît des déséquilibres internationaux. D'un point de vue social, elle induit une hausse des inégalités et un affaiblissement du consentement à l'impôt, dont on mesure aujourd'hui les conséquences.

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