Intervention de Henri Sterdyniak

Séance en hémicycle du jeudi 6 février 2020 à 9h00
Débat sur les allégements de la fiscalité au profit du capital et des entreprises

Henri Sterdyniak :

En matière de fiscalité des entreprises et du capital, deux points de vue s'opposent. Selon le point de vue libéral, chaque pays doit se rendre aussi attractif que possible pour les plus riches et les plus compétents, pour les marchés financiers et pour les entreprises multinationales. Il faudrait donc réduire la fiscalité qui frappe ces agents. Avantage supplémentaire, une telle politique aurait pour effet de diminuer le taux des prélèvements obligatoires, d'inciter les administrations à être plus efficaces et d'inviter chacun à contribuer à l'effort et à l'innovation. Dans cette optique libérale, la France n'aurait d'autre choix que de se conformer au modèle international.

Ce point de vue peut être contesté. À l'échelle mondiale en effet, une telle politique est in fine à somme négative : lorsque chaque pays réduit sa fiscalité pour attirer les grandes entreprises et les acteurs les plus riches, les efforts finissent par s'annuler. De plus, les pays qui réussissent à gagner des parts de marché au détriment de leurs partenaires s'exposent à un retour de bâton : il arrive un moment où ils doivent venir en aide aux pays perdants et doivent leur accorder des prêts – l'Allemagne en est un bel exemple. Pratiquer une telle politique fiscale, c'est aussi être à la merci des chocs économiques mondiaux. Une telle stratégie nuit de surcroît à la cohésion sociale et accroît les inégalités, tandis qu'elle profite aux marchés financiers. Enfin, elle est incompatible avec le nécessaire tournant écologique, qui impose de réfléchir aux grands choix de production et de consommation dans une optique sociale, plutôt que de s'en remettre aux entreprises. Quoi qu'il en soit, les ménages ne consentiront à l'effort écologique que dans le cadre d'une société plus égalitaire.

On ne peut pas en même temps diminuer l'ISF et augmenter la taxe carbone : nous avons vu à quelles contradictions cela aboutissait. L'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, a publié hier une étude montrant que la stratégie qui consiste à moins imposer les grandes fortunes, à baisser le PFU, le prélèvement forfaitaire unique, accompagnée de mesures restrictives concernant les allocations chômage et les allocations logement, a finalement, en moyenne, fait gagner 2 905 euros aux 5 % des ménages les plus riches et perdre 240 euros aux 5 % des ménages les plus pauvres : la courbe est en forme d'éléphant. L'effet se trouve certes favorable pour les couches moyennes, qui ont gagné en moyenne 840 euros, mais, malgré tout, le fait que les plus riches gagnent plus accroît les inégalités sociales.

La France est malheureusement engagée dans une stratégie de baisse de l'IS, afin de se rapprocher de la moyenne de 25 %. Le problème est que tous les pays diminuent leur taux pour s'en rapprocher, ce qui fait baisser la moyenne elle-même, si bien qu'un jour nous nous retrouverons tous au niveau de l'Irlande, à 12,5 % ! Or l'IS est indispensable : sans lui, qui permet de taxer les profits non distribués, les plus riches s'arrangeraient pour ne jamais distribuer de profits. Il est également indispensable parce que les grandes sociétés deviennent de plus en plus autonomes. Elles sont actuellement beaucoup plus riches que les États ; c'est la féodalité de demain. Nous avons besoin de prélever leurs profits afin de les orienter vers la production, vers le tournant écologique.

J'ajouterai deux mots au sujet du PFU. Celui-ci est bien sûr une catastrophe du point de vue de la fiscalité. Il n'y a aucune raison de dire que certains revenus doivent échapper à la progressivité de l'impôt. Nous aboutissons à un système où, lorsque l'on considère les tranches supérieures des cadres, les revenus du capital sont moins taxés que ceux du travail. Ce n'est pas normal, et cela ne répond à aucune logique. De plus, ce système incite à la redénomination, c'est-à-dire qu'au lieu de se distribuer des salaires, les gens se distribuent des dividendes, ce qui entraîne des pertes pour la sécurité sociale.

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