Intervention de Didier Migaud

Réunion du mardi 28 janvier 2020 à 12h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud :

En ce qui concerne la question extrêmement sensible de la publicité des agendas, la Haute autorité n'a pas vocation à contrôler l'activité quotidienne des parlementaires. À titre personnel, je ne crois donc pas nécessaire de rendre publics leurs agendas. En revanche, il me paraît utile que les échanges, les contacts, entre élus et représentants d'intérêts puissent l'être. Au reste, c'est, me semble-t-il, le sens de la législation que vous avez votée. Il faut donc réfléchir à la manière dont on peut progresser à ce sujet. Je peux comprendre les réticences, les résistances, que suscite la perspective d'une publicité totale des agendas, dont on sait qu'ils peuvent contenir des éléments privés. La transparence, une fois de plus, n'est pas une fin en soi ; c'est un moyen, pour les citoyens, de comprendre comment leurs élus travaillent. En tout cas, ce n'est pas du voyeurisme.

En ce qui concerne le registre des lobbys, il ne s'agit pas de lutter contre ces derniers : ce n'est pas le sens de la législation que vous avez votée. Les lobbys existent, ils font partie de la vie démocratique d'un pays. En revanche, il est important de connaître les actions qu'ils mènent pour influer sur la confection de la loi. C'est en cela que la transparence me paraît nécessaire. D'où ce registre des représentants d'intérêts : il est important que les contacts entre les uns et les autres puissent être connus, afin que le citoyen sache comment se fabrique effectivement la loi. Ce n'est pas parce qu'on entend quelqu'un qu'on épouse forcément son point de vue, mais il est important de rendre public qui l'on a pu rencontrer et que les représentants d'intérêts fassent connaître leurs actions.

J'entends ce qui a été dit sur les retours peut-être insuffisants des contrôles exercés par la HATVP. J'examinerai cette question avec le secrétariat général et le collège. La Haute autorité ne dispose pas de moyens considérables ; sous cette réserve, je crois utile pour elle d'informer les personnes concernées lorsque cela est nécessaire.

Par ailleurs, il convient de faire savoir ce qui fonctionne bien ; je partage ce point de vue. Cela a, du reste, toujours été une de mes préoccupations en tant que Premier président de la Cour des comptes. En effet, celle-ci fait état des dysfonctionnements, mais elle s'efforce parfois aussi de relever les bonnes pratiques. Cela a, certes, moins d'écho, car on s'intéresse toujours davantage aux trains qui n'arrivent pas à l'heure. Quoi qu'il en soit, il revient à la Haute autorité de « positiver » également ce qui se fait de bien.

La loi n'a pas prévu que nous animions des réseaux de déontologues. Cependant, il est, je crois, de bonne intelligence que la Haute autorité développe le conseil et la formation de ces derniers – je l'ai d'ailleurs évoqué dans mes réponses au questionnaire de votre rapporteur –, qu'elle contribue à l'animation des réseaux de déontologues et réponde aux questions spécifiques que peuvent se poser les différentes fonctions publiques ainsi que les élus. Il est essentiel qu'elle remplisse un rôle de conseil et d'accompagnement.

La proposition de Jean-Louis Nadal, et de nombreux parlementaires, de constitutionnaliser la Haute autorité est intéressante, car cette constitutionnalisation montrerait que la probité est une exigence. Cela dit, je sais combien il est difficile de modifier la Constitution. Peut-être des évolutions seront-elles nécessaires dans le cadre de lois organiques, avant même que cette constitutionnalisation intervienne.

En ce qui concerne l'exemplarité, je ne peux pas porter de jugement sur les personnes ou les catégories de personnes citées par M. Benoit. J'ai constaté que le législateur avait décidé de plafonner les rémunérations ainsi que la possibilité de cumuler une pension de retraite avec un traitement ou des indemnités. Cela va, me semble-t-il, dans le bon sens. Un décret doit être publié à cette fin, qui, en l'espèce, ne devrait pas affaiblir la volonté du législateur. Il est vrai que certaines situations peuvent interpeller, même si le cumul emploi-retraite est possible. Pour ma part, j'ai estimé, compte tenu de la rémunération qui m'est versée en tant que Premier président de la Cour des comptes, que je n'avais pas besoin d'y ajouter une pension de retraite, pour laquelle j'ai néanmoins cotisé. La loi, me semble-t-il, permet de régler ce type de situation. La Cour des comptes avait en effet souligné que l'on pouvait, une fois à la retraite, percevoir une rémunération plus importante que lorsqu'on était en activité, même en exerçant les mêmes fonctions, ce qui peut paraître effectivement anormal.

En ce qui concerne les faits évoqués dans le livre de Vincent Jauvert, je tiens à rappeler que la très grande majorité des fonctionnaires sont honnêtes et attentifs aux questions déontologiques. Quelques situations sont actuellement permises par la loi, qui devraient être limitées à l'avenir par les dispositions que vous avez prises. Il faut, là aussi, être très attentif au respect des questions déontologiques dans la haute fonction publique. S'agissant du respect des textes, les exigences de la Haute autorité doivent être les mêmes pour les élus et pour les hauts fonctionnaires. Je ne doute pas que telle sera sa philosophie.

Les moyens de la Haute autorité sont-ils adaptés à l'ensemble de ses missions ? Il m'est difficile de vous répondre dès lors que je ne suis pas en fonction – je n'oublie pas que, aujourd'hui encore, je suis Premier président de la Cour des comptes. Il faut vraisemblablement se focaliser sur les situations à risque, compte tenu des nouvelles missions qui ont été confiées à la Haute autorité. Cependant, j'ai pu constater que, pour le moment, il n'a été tenu aucun compte de la fusion de cette dernière avec la Commission de déontologie et qu'aucun moyen supplémentaire ne lui a été accordé en loi de finances. Ce n'est pas normal. Cette question sera donc l'une de mes priorités, si vous approuvez la proposition de nomination du Président de la République. Je compte bien évidemment l'évoquer avec le ministre des comptes publics, car il me paraît normal que les moyens qui étaient ceux de la Commission de déontologie soient affectés, au moins pour partie, à la Haute autorité.

Si nous pouvons contribuer à développer la culture de la déontologie au niveau européen, si la France peut apparaître comme un fer de lance en la matière, ce sera, je crois, à porter au crédit de notre pays. J'observe que celui-ci a reculé dans le classement de Transparency International. Il faut essayer de comprendre pourquoi, dès lors que le Parlement a voté, ces dernières années, de nombreuses mesures législatives qui contribuent précisément à développer la culture de l'intégrité et de la déontologie.

Quant aux zones d'ombre, il faut bien évidemment faire en sorte qu'elles soient le moins nombreuses possible. Jean-Louis Nadal a annoncé, dans le cadre de son bilan, que la Haute autorité avait travaillé à l'élaboration d'une doctrine en matière de conflits d'intérêts, mais il n'a pas eu le temps de publier ces travaux. Je ferais en sorte qu'ils le soient le plus rapidement possible pour que la jurisprudence de la Haute autorité soit la plus claire possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.