Intervention de Frédéric Sève

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Frédéric Sève, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) :

Nous venons d'être interrogés sur la gouvernance du système. Par rapport au rapport Delevoye du mois de juillet, le texte constitue un progrès, puisque, pour aller vite, il inverse la séquence des décisions entre les partenaires sociaux et le Parlement. Celui-ci conserve un rôle d'encadrement, en particulier dans la détermination de la trajectoire financière, validée ensuite par décret, et c'est normal : notre volonté n'est pas que le système de retraite devienne une république indépendante au sein de la République. C'est un schéma que nous connaissons bien à l'AGIRC-ARRCO : pour les retraites complémentaires, le résultat de la négociation ne prend valeur obligatoire qu'après la publication d'un arrêté d'agrément.

Cela étant, un schéma, quel qu'il soit, ne garantira rien en soi, si l'on ne s'est pas accordé sur le partage des rôles et l'esprit dans lequel s'organise la gouvernance. Il me semble donc absurde de renvoyer dos à dos la démocratie politique et la démocratie sociale en se disputant le pilotage d'un système de retraite, d'autant que, croyez-m'en, ce n'est pas une tâche de tout repos ! Au contraire, il nous faut nous partager cette charge et la responsabilité du pilotage. Les dispositions concernant la gouvernance que propose le texte dans sa version actuelle nous donnent des moyens pour le faire, ce qui n'était pas si évident à l'origine.

J'ajoute que c'est tout l'intérêt du politique que de s'associer le concours d'autres forces pour porter la responsabilité de ce que l'on pourrait qualifier, sinon de monstre, du moins de gros paquebot – nous parlons ici d'un système de retraite universel à 320 milliards d'euros. La gouvernance sera d'autant plus légitime que le partage du pouvoir réel.

Je tiens néanmoins à m'arrêter ici sur un point particulier. Le système aura son conseil d'administration mais également, je suppose, son directeur général, puisqu'il s'agira d'un établissement public. Cette administration étant appelée à devenir à terme le premier producteur d'informations en matière de retraites, nous nous inquiétons du mode de nomination de son directeur général : si celui-ci ne doit sa nomination qu'à son ministre de tutelle, il y a fort à parier qu'il ne se sente pas forcément redevable envers son conseil d'administration. À titre d'exemple, sachez que, quand nous, partenaires sociaux, qui sommes représentés au conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), demandons à ladite caisse de nous fournir certaines informations, elle nous répond – et ce faisant, elle est parfaitement dans son rôle – qu'il lui faut l'autorisation de son ministre de tutelle. Si l'on reproduit ce mode de fonctionnement, on aura beaucoup de mal à fonctionner efficacement.

De très nombreuses questions portaient sur la pénibilité. En premier lieu, nous sommes favorables au principe du pollueur-payeur, que nous avions défendu lors de la mise en place du C3P. Cela étant, ne nous illusionnons pas trop sur l'efficacité des incitations par les prix ou, en l'occurrence, les variations de cotisations. Compte tenu du niveau des cotisations sur la pénibilité, bon nombre d'employeurs préfèrent payer une surcotisation plutôt que de mettre en oeuvre des politiques de prévention. Rien ne remplacera donc un effort de conviction, voire la pratique de la contrainte pour que soit mieux prise en compte, à terme, la pénibilité.

De ce point de vue, l'étape la plus décisive, la plus fondamentale, celle qui peut en tout cas, sinon entraîner les autres du moins mettre fin aux blocages, c'est la reconnaissance de la pénibilité : il faut, une bonne fois pour toutes, reconnaître dans ce pays qu'il y a des métiers qui sont pénibles, ce qui ne signifie pas qu'on ne les aime pas : beaucoup de gens aiment ces métiers, tout en sachant que l'on ne peut pas les exercer dans la durée sans en subir les conséquences sur sa santé. Une fois qu'on aura admis cette réalité, on pourra la traiter correctement mais aussi travailler plus globalement sur la prévention, ce qui reste le premier objectif de la CFDT : notre but n'est pas que tous les salariés aient un compte pénibilité bien rempli mais de faire en sorte que, à terme, plus personne n'ait de compte pénibilité car il n'y aura plus de métiers pénibles.

Nous préconisons également une révision régulière, selon une récurrence à déterminer, des facteurs de pénibilité, car ces facteurs sont évolutifs. Nous sommes disposés à accepter que la pénibilité se mesure à l'aune du collectif et non plus individuellement mais, dans ce cas, il faut être très attentif à l'évolution des métiers et à l'apparition de nouveaux métiers ; la mise en place d'une nomenclature doit impérativement être assortie d'une réévaluation périodique des facteurs de pénibilité et de leur grille d'évaluation.

Serions-nous disposés par ailleurs à troquer, en quelque sorte, le nombre de facteurs de pénibilité contre des points de pénibilité ? À ce stade, la réponse est non. D'une part parce que nous voulons d'abord voir le bébé, mais également parce qu'il est primordial à nos yeux d'assurer l'équité entre les facteurs de pénibilité. Aujourd'hui, certaines formes de pénibilité sont reconnues mais pas d'autres. Si on n'arrive pas à les mettre d'équerre, on aura un problème social majeur : il n'est pas entendable qu'un pilote de ligne puisse – à juste titre – bénéficier de la pénibilité, du fait de ses horaires décalés, du travail de nuit et de l'environnement hyperbare où il travaille, quand un maçon qui construit des bâtiments ne le peut pas. Seule une reconnaissance pleine, entière et équitable de la pénibilité peut être à la base du dispositif, celui-ci étant, en tout état de cause, voué à évoluer avec cette pénibilité.

En ce qui concerne les 3 PASS, je me référerai volontiers à Thomas Piketty et à Antoine Bozio dont l'ouvrage, paru il y a une dizaine d'années, nous avait fort inspirés. Il ne nous paraît pas de la responsabilité du système de retraite d'assurer un taux de remplacement aux 10 001e euro de rémunération, aux 11 000e, aux 12 000e ou aux 25 000e si l'on va jusqu'au plafond de l'AGIRC-ARRCO. Cela posé, peu importe ensuite qu'on s'arrête à trois plafonds, deux et demi ou trois et demi, comme le proposait Thomas Piketty. En revanche, sortir de ce dispositif suppose des précautions, car cela va induire une baisse du coût du travail ; il est prévu qu'elle soit lissée sur quinze ans mais elle n'en sera pas moins réelle. Nous aurons à en discuter lors de la conférence sur le financement.

En ce qui concerne le bloc de règles d'or, à titre personnel, je n'aime pas beaucoup les règles d'or – ni les lois d'airain d'ailleurs, et pas davantage les mains de fer... A priori, les règles d'or ne sont pas forcément de bonnes règles de gestion, mais, dans la phase de construction d'un système, il est sans doute utile au début et pour quelque temps au moins, de se fixer quelques invariants. Il me semble donc nécessaire de prendre l'engagement – je préfère de loin ce terme – d'indexer la valeur du point. Cela étant, ne trompons pas les gens : un système dont on bloque certaines variables en invente d'autres pour s'ajuster – c'est ce qui s'est passé avec l'AGIRC-ARRCO, lorsqu'il a fallu retrouver une certaine souplesse. Il faut donc être clair sur ce qu'on fige et pourquoi, mais également sur ce qui servira de variable d'ajustement.

Beaucoup d'entre vous s'interrogent sur l'équilibre glissant. Cela ne se pratique pas à l'AGIRC-ARRCO, où nous avons plutôt opté pour la fixation d'un objectif de réserve. Cela étant, un équilibre glissant peut avoir du sens. Nous partageons néanmoins l'idée suggérée par Boris Vallaud : se fixer un horizon de cinq ans est sans doute dangereux dans la mesure où cela risque d'être procyclique... Les fluctuations économiques épousant généralement des durées supérieures à cinq ans, vouloir s'équilibrer sur cinq ans peut conduire à des décisions d'ajustement à contretemps. Sans doute quelqu'un de plus compétent en économie pourrait-il vous en dire plus sur le sujet.

J'en terminerai avec la conférence sur le financement. Au risque de vous décevoir, je ne vous dirai pas quelles sont les propositions que la CFDT y défendra, et je me bornerai à vous fournir quelques éléments.

Nous avons proposé cette conférence pour obtenir le retrait de l'âge d'équilibre. Nous pensons en effet que la réflexion sur le financement doit suivre la réflexion sur la justice sociale. Il est grand temps que l'on cesse dans ce pays de vouloir d'abord financer les choses avant de se poser la question de la justice. Ce n'est plus possible. Il est d'autant plus facile de trouver un accord de financement que le système est juste ; il est d'autant plus difficile de le faire que le système est injuste. À nos yeux, la première marche à gravir est celle de la justice sociale. Si, en particulier, on ne trouve pas d'ouvertures sur des sujets comme la pénibilité ou le minimum de pension, c'est n'est pas la peine d'espérer enclencher une discussion sereine, efficace et consensuelle sur le financement. Nous aurions ainsi préféré que la conférence sur le financement soit un peu plus déportée dans le temps, mais il faut savoir faire des compromis.

Ensuite, il faut redire ce sur quoi tout le monde s'accorde, y compris le COR : il n'y a pas de dérive des dépenses de notre système de retraite ; tout au plus constate-t-on, avec le projet de loi, une baisse des recettes liée au fait que, si l'on applique le même taux de cotisation à tous les employeurs, il y aura mécaniquement une baisse des cotisations des employeurs publics. La question que cela pose ensuite n'est pas celle de la source de financement nécessaire pour compenser cette baisse, car l'argent dédié aux retraites est de toute façon sinon de l'argent public stricto sensu, du moins l'argent de la collectivité. On peut en revanche réfléchir au niveau de financement souhaité, mais le débat doit bien être posé en ces termes. Je rappelle au passage que le seul paramètre qui bouge actuellement – et qui augmente –, c'est l'âge de la retraite, du fait de la « loi Touraine » de 2014. Les salariés sont donc les premiers à avoir « mis au pot ».

Enfin, en matière de financement des retraites, il nous paraît absurde de vouloir tout miser sur un seul facteur, que ce soit l'âge ou les cotisations. Toute mesure de financement des retraites a des effets pervers, et plus la mesure est ample et rapide, plus les effets pervers sont forts. Ces mesures ne pesant par nature que sur une partie de la population, n'en retenir qu'une seule, c'est la pénaliser directement. Un financement pérenne doit donc être assis sur un cocktail de mesures : plus il y a de mesures de faible ampleur, mieux c'est.

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