Intervention de Philippe Wahl

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste :

C'est un honneur pour moi de solliciter votre confiance dans ce processus de nomination.

Avant d'aborder un bilan que j'espère totalement factuel et lucide de l'action menée, je commencerai par rappeler le contexte général dans lequel notre groupe s'est développé au cours des cinq dernières années. Les conditions ont été très difficiles. Bien sûr, le courrier a baissé fortement, ce que nous avions anticipé. Je veux quand même vous donner la mesure de l'incidence de cette baisse du volume du courrier : 3,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires de moins. Se sont ajoutées à ce choc la baisse des taux d'intérêt – et même, depuis 2019, des taux d'intérêt négatifs – ; la pression sur le colis, qui se développe bien mais à marge beaucoup plus faible à cause de la pression exercée sur les prix par Amazon et les e-commerçants et de la montée des coûts ; la baisse, comme pour tous les commerces physiques, de la fréquentation des bureaux de poste. Au total, notre groupe est sans doute l'entreprise française la plus chahutée et la plus touchée par la révolution numérique.

C'est à la lumière de ce contexte général qu'il faut apprécier le bilan que je m'efforcerai de vous présenter de manière factuelle – ce sera à vous de le qualifier – avec quatre indicateurs.

Le premier est économique et financier. Au cours de ces années, notre groupe a fait progresser son chiffre d'affaires de 22 à 26 milliards d'euros et son résultat d'exploitation de 790 à 890 millions d'euros, même s'il y a eu une inflexion en fin de période. Nous avons pu accroître nos investissements, car ceux-ci sont la clé de la transformation d'une entreprise. Et même, si nous n'avons pas atteint tous les objectifs économiques et financiers fixés par nos deux actionnaires, l'État et la Caisse des dépôts et consignations, nous n'avons pas cessé, pendant cette période, de leur verser un dividende. Voilà ce qu'il en est des indicateurs économiques et financiers.

Le deuxième indicateur que je vous propose est celui de la diversification, qui a été mentionnée par M. le rapporteur. Il est simple, c'est la part du courrier traditionnel, c'est-à-dire de la lettre, dans le chiffre d'affaires de La Poste : 70 % de notre chiffre d'affaires relevait de la lettre en 1990, cette part est passée à 40 % en 2010 et à 28 % à la fin de l'année 2018. Notre objectif est qu'à la fin de l'année 2020, la lettre représente moins de 20 % de notre chiffre d'affaires. C'est ce que nous appelons la diversification et la transformation de notre groupe. Nous sommes bien avancés pour atteindre cet objectif.

Le troisième indicateur que je vous propose est celui de la qualité des missions de service public que vous nous avez confiées et des relations avec nos clients. S'agissant des missions de service public, je note qu'au cours de toutes ces années, nos objectifs de qualité de service fixés par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l'ARCEP, ont chaque fois été, compte tenu des effets exogènes contrôlés par l'ARCEP, remplis dans tous les secteurs. Par ailleurs, nous avons investi plus de 2 milliards d'euros dans la modernisation de nos bureaux de poste et de nos points de contact postaux. Enfin, la Banque postale s'est bien révélée la banque des clients en situation de fragilité et des exclus.

Au-delà de ces missions, La Poste a rayonné d'autres manières. La Banque postale, par exemple, a lancé une initiative extrêmement importante avec les Assises de la banque citoyenne. Elle a développé une plateforme d'appel pour les clients les plus fragiles financièrement, L'Appui. Elle a, enfin, lancé une fondation d'éducation des jeunes, L'Envol. Et puis, souvenez-vous en, entre 2011 et 2013, lors de la crise de trésorerie et de financement des collectivités locales, la Banque postale a construit à partir de rien la première banque des collectivités locales. De même, en matière d'engagement écologique, notre groupe a été très précurseur. En juin dernier, lors d'un séminaire de l'industrie postale à Bonn, celle-ci s'est engagée à ce que toutes les postes soient neutres en carbone en 2040. La poste française est neutre en carbone depuis 2012.

Le dernier indicateur que je voudrais vous présenter est l'élément social, le « pacte social » de La Poste. D'abord, nous avons signé des milliers d'accords sociaux – ce qui est assez facile quand on a 250 000 salariés. Je voudrais insister plus particulièrement sur quatre d'entre eux, fondateurs : l'accord majoritaire social qui accompagnement le plan stratégique de La Poste ; « Un avenir pour chaque postier » ; l'accord sur les bureaux à priorité sociétale dans les zones urbaines sensibles ; et l'accord sur la modernisation des métiers bancaires. Tous ces accords sont majoritaires. Notre méthode est simple, elle repose sur le dialogue stratégique et social dans le groupe. Nous avons d'ailleurs signé, en 2017, un accord stratégique pour redéfinir la journée du facteur. Il s'agit de l'accord « Facteurs 2017 », qui prévoit 30 000 promotions à la suite de la formation de nos factrices et de nos facteurs. En matière sociale également, je voudrais mettre en exergue deux autres éléments. D'une part, la baisse très sensible des accidents du travail : sur la période, nous aurons « gagné », si j'ose dire, 1 000 accidents du travail par an. Ce sont autant de souffrances et de difficultés en moins pour nos postiers. D'autre part, nous aurons consenti des efforts considérables en matière de formation. Nous consacrons plus de 4,1 % – j'ai bien dit 4,1 % – de la masse salariale à la formation des postières et des postiers. Ainsi, 80 % des postiers sont formés chaque année et 100 % reçoivent une formation sur une période de deux ans.

Voilà donc le bilan factuel de ce qui a été réalisé. Rien de ce qui l'a été n'aurait été possible sans l'engagement, le courage et la résilience face aux difficultés que nous rencontrons du corps social, des postières et des postiers. Je veux devant vous, devant la Représentation nationale, leur rendre un immense hommage.

C'est, bien sûr, avec eux que nous allons maintenant construire le plan de La Poste pour 2030. Nous avons, en effet, intitulé notre nouveau plan stratégique « La Poste 2030 ». C'est ce plan que je m'efforcerai de réaliser dans son premier jalon, d'ici 2025, si vous me faites l'honneur de me donner votre confiance.

Le contexte général restera aussi mauvais que celui que nous avons vécu. Je ne peux pas vous annoncer autre chose. Maintenant, les taux d'intérêt ne sont plus simplement bas, ils sont négatifs. Cette situation perdurera sans doute. C'est une menace à la fois pour la banque et pour CNP Assurances qui vient de rejoindre notre groupe. En matière de courrier, nous sommes à 9 milliards de lettres aujourd'hui et, en 2025, il n'en restera plus que 5 milliards – ce qui se traduira par la perte de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires supplémentaires. Le contexte est posé. Passons avec sérénité à la suite !

La suite, c'est comme d'habitude un plan de conquête et d'innovation. Si nous avons choisi l'horizon 2030, c'est parce que nous estimons qu'il nous faut, avec vous Mesdames et Messieurs les députés, avec les postiers, avec leurs représentants syndicaux et avec toute la société, réfléchir à ce que sera La Poste pour notre pays à cette échéance. Il ne s'agit pas donc pas simplement d'une projection économique et financière, que nous ferons, mais de la projection de notre rôle – dont vous avez parlé, Monsieur le rapporteur – dans la société française de 2030. Ce rôle, nous le voyons comme celui d'une Poste consciente de ses responsabilités sociétales, qui met la puissance de sa proximité et de sa confiance au service de millions de personnes pour leur offrir les services et les produits qui leur permettent de répondre aux grands défis de notre temps : le défi écologique, le défi démographique, le défi territorial et le défi digital. Voilà le coeur de notre plan stratégique et de ce que nous allons travailler ensemble.

Cela signifie que la priorité des priorités consistera à réussir la transformation de La Poste. Car, je vous le dis sans fausse modestie, nous ne sommes pas parvenus, pour l'instant, à réussir cette transformation – même si elle a été, le bilan le montre, très substantiellement engagée. Réussir la transformation, cela veut dire poursuivre la diversification de notre groupe, en France et à l'international. Cela veut dire fondamentalement, car il n'y a pas de transformation de l'entreprise sans investissement, continuer à investir massivement dans les technologies, notre outil de production, les usines de colis, les drones, l'intelligence artificielle ; investir avec notre propre profit mais aussi les augmentations de capital de nos principaux actionnaires. Nous en aurons besoin dans les cinq années à venir. Réussir la transformation, cela veut dire aussi réussir à faire pivoter notre modèle stratégique de poste multi-activités. Cela signifie que La Poste, par ses profits, devra parvenir à dégager une capacité d'investissement lui permettant d'assurer elle-même la pérennité de son développement. Nous avons bien avancé, mais nous n'y sommes pas encore. Ce sera la priorité absolue des cinq ans à venir.

Pour transformer le modèle, il faut transformer celui de chacune de nos activités. Aujourd'hui, il existe deux grands secteurs d'activité dans La Poste : la logistique et les services financiers. En matière logistique – et vous m'y avez encouragé, Monsieur le rapporteur – nous poursuivrons notre développement international. Nous sommes déjà, dans l'Union européenne, le leader de la distribution des colis devant Deutsche Post, DHL, UPS et Fedex. Grâce à l'acquisition il y a trois semaines de la majorité dans le leader italien du colis, l'entreprise familiale BRT, c'est la poste française qui est le leader européen. Ce modèle du dernier kilomètre doit maintenant être projeté à l'international : en Inde, où nous sommes présents ; en Asie du Sud-Est ; en Amérique latine où nous avons une position forte au Brésil ; en Afrique. Voilà les grandes lignes de notre développement international.

Il s'agit également et principalement de réussir ce que nous appelons la révolution de la logistique urbaine. Celle-ci offre la possibilité de décarboner la totalité, j'ai bien dit la totalité, du transport de marchandises dans les métropoles françaises. Nous avons déjà conclu 19 accords avec les 22 métropoles françaises. Nous poursuivrons notre travail, après les élections municipales, avec les nouveaux exécutifs municipaux. C'est un enjeu majeur. La Poste a vocation, stratégiquement, à devenir le leader de la décarbonation du transport de marchandises dans toutes les villes de France. Ensuite, nous irons vers les moyennes villes, les petites villes et vers la logistique rurale. C'est une révolution de la logistique, dont nous essayons de prendre le leadership.

Concernant les services financiers, vous le savez, CNP Assurances entrera dans le groupe La Poste. Nous devons réussir cette articulation entre la banque citoyenne et CNP Assurances, par de nouveaux produits mais aussi, c'est ce qui fait notre différence, par une exemplarité de la Banque postale et de CNP Assurances à la fois dans les services à la cohésion sociale, en étant une banque assurance citoyenne, mais aussi en étant une banque assurance durable, qui participe à la lutte contre le réchauffement climatique.

Logistique et services financiers, ces deux moteurs existent déjà. En 2030, notre devoir nous semble être de construire deux nouveaux moteurs de croissance pour La Poste, qui répondent à deux immenses défis de notre temps : le vieillissement de la population et la digitalisation de la société.

Face au vieillissement de la population, notre réponse est celle des services de proximité humaine. Lorsque nous avons lancé ce nouveau métier en 2013, il représentait zéro euro de chiffre d'affaires. En 2019 et en année pleine, il représentera 494 millions. Ce sont de vrais succès. Le passage du code de la route dans les bureaux de poste est, lui aussi, un très grand succès : 3 millions de jeunes sont passés dans nos bureaux et ont ainsi hâté leur accès à l'emploi. Je peux aussi citer la livraison des repas et la visite aux personnes âgées. Nous avons donc à la fois opéré des acquisitions et développé notre présence. Mais finalement, les vraies références viennent de l'extérieur du monde postal, lorsque nous sommes choisis par d'autres parties prenantes. C'est le cas du département des Landes, qui nous a associés, dans une société d'économie mixte, au développement de son Village Alzheimer. C'est le cas de M. le professeur Bruno Vellas qui, dans le cadre de la stratégie de Mme Buzyn pour la prévention de la dépendance, a décidé d'associer les facteurs à un programme de l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé. C'est le cas des professeurs de médecine de l'Institut de recherche contre les cancers de l'appareil digestif, l'IRCAD, à Strasbourg, qui nous confient leurs données de santé – car ils pensent qu'elles sont plus en sécurité à La Poste.

L'autre grand défi de la société auquel nous voulons répondre est la digitalisation. Nous pensons que La Poste, en 2030, pourra avoir un moteur de croissance lié à son rôle de tiers de confiance numérique : être un acteur neutre et universel des relations et des échanges. Sachez que nous sommes déjà le premier hébergeur de données de santé. Je ne suis pas sûr que ce soit connu. La Poste ne fait pas seulement de la lettre ! Elle est, avec le dossier pharmaceutique personnel, le premier hébergeur de données de santé. Nous sommes, bien sûr, impliqués dans la protection de l'identité numérique – raison pour laquelle, la semaine dernière, l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information, l'ANSSI, a décidé de nous accorder, pour la première fois, son certificat pour une identité substantielle pour des millions de Français. C'est un très grand sujet technologique pour la France. Nous sommes aussi protecteurs de l'intimité numérique, de votre intimité numérique. C'est le rôle de notre boîte aux lettres électronique, Digiposte, qui compte déjà 4,2 millions d'usagers. Enfin, nous nous fixons un nouvel objectif en matière de services digitaux, celui de lutter contre l'exclusion numérique. La Poste deviendra un acteur majeur de l'inclusion numérique d'ici 2030.

Grâce à d'anciens moteurs de croissance et à de nouveaux moteurs de croissance, La Poste doit fondamentalement être utile à la société tout entière. Et ce, de deux manières. D'abord – vous m'y avez encouragé, Monsieur le rapporteur – en modernisant et en confortant les missions de service public que vous nous accordez. Le service universel postal, il faut en être conscient, est déficitaire depuis 2018. C'est l'ARCEP qui l'indique. Il nous faut rétablir l'équilibre. Ma priorité, dans l'ensemble de ce processus de rétablissement de l'équilibre avec l'ARCEP, visera à préserver – j'ai bien dit préserver – la fréquence de six jours sur sept qui nous permet de servir tous les points du territoire tous les jours. Mais nous devons nous atteler à l'équilibre du service universel postal.

Pour ce qui est de l'aménagement du territoire, auquel vous êtes très sensibles, notre priorité absolue est de maintenir les 17 000 points de contact dans une société qui se digitalise. Ce sera de plus en plus difficile. De notre point de vue, la voie est dans la mutualisation de l'effort postal avec celui des collectivités locales. J'identifie deux moyens pour le faire. D'abord, l'accord tripartite et triennal sur la présence postale territoriale, que nous devons signer avec Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires, et M. François Baroin, président de l'Association des maires de France, la semaine prochaine. Ensuite, notre participation au dispositif France Service lancé par l'État et les collectivités locales.

En matière de banque, nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour cinq années supplémentaires de mission d'accessibilité bancaire.

Au-delà des missions de service public, je nous fixerai deux grands objectifs. Le premier consistera à devenir un leader de la décarbonation. En 2020, nous distribuerons 2 milliards de colis. Notre politique n'est pas d'accumuler les colis, mais de croître dans ce secteur et de diminuer les émissions à effet de serre. En matière bancaire, la Banque postale sera la seule banque avec une gestion d'actifs intégralement issus d'investissements socialement responsables. Nous le mettrons en avant.

Enfin, cette transformation se fera par et pour les postiers. Ce sont eux qui sont La Poste. Ils sont l'image humaine et physique de La Poste tous les jours dans nos territoires. C'est sur eux que nous comptons pour réussir notre transformation, laquelle doit leur bénéficier par un effort encore accru de transformation. Je voudrais citer l'exemple d'une factrice prénommée Angélique, qui a suivi le cours Simplon de codage informatique. Grâce à cette formation, elle a participé au concours des meilleurs développeurs informatiques de France. La formation donne confiance aux postières et aux postiers.

Et, un jour peut-être, dans les cinq ans qui viennent, nous évoquerons la possibilité que la loi a ouverte aux postiers d'accéder au capital de La Poste.

Voilà donc les projets qui nous guident pour les cinq et les dix ans à venir, avec une vision, être utile à la société tout entière, et une volonté, réussir la transformation avec un pacte social et des engagements sociétaux.

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