Intervention de Bertrand Sorre

Réunion du mercredi 5 février 2020 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Sorre :

Depuis plusieurs années, nous constatons que sur les plateformes numériques ouvertes, les chaînes et les vidéos mettant en scène des enfants se multiplient. Ces contenus peuvent générer d'importants revenus pour les parents et les plateformes. Certaines vidéos et chaînes ont une audience très forte pouvant atteindre jusqu'à plusieurs millions d'abonnés, et totalisant des milliards de vues.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à offrir un encadrement juridique protecteur pour les enfants concernés par ces vidéos familiales de plus en plus nombreuses sur internet.

Ce phénomène d'ampleur mondiale nous pousse à réagir en tant que législateur afin de combler le vide juridique actuel du droit français. Ce texte ne vise en aucun cas à autoriser le travail des mineurs, qui est strictement interdit et le restera ; il tend à élargir aux enfants youtubeurs le régime dérogatoire en vigueur pour les enfants du spectacle.

Ces activités peuvent en effet s'avérer extrêmement rentables. Certains parents cesseraient même de travailler pour se consacrer pleinement au développement de la chaîne de leur enfant ou au tournage de vidéos. Des parents s'improvisent scénaristes, et peuvent demander à leurs enfants de recommencer une prise de vue plusieurs fois pour obtenir la vidéo parfaite et la diffuser, ce qui caractérise en droit une relation de travail.

En outre, les gains financiers générés, que ce soit par le placement de produits d'entreprises ou du fait de l'audience obtenue, ne sont pas encadrés, et rien ne permet de garantir que l'enfant les percevra à sa majorité.

C'est donc la double peine : les enfants ne bénéficient pas de la protection juridique offerte par le droit du travail et ne touchent pas les revenus dont ils sont pourtant à l'origine.

Bien souvent, les vidéos montrent simplement un moment quotidien passé en famille, un petit-déjeuner ou une promenade au parc. Parfois, sous couvert de divertir un large public au moyen de défis tels que le cheese challenge, qui consiste à envoyer des tranches de fromage au visage d'un jeune enfant, les vidéos diffusées sont clairement dégradantes. Aux États-Unis, des situations ubuesques filmées et diffusées ont d'ailleurs permis d'identifier des cas de maltraitance infantile. Ces abus sont très inquiétants, et la diffusion sur internet de ces moments immortalisés soulève de nombreuses questions au regard de l'intérêt de l'enfant.

Nous n'avons aujourd'hui aucun recul sur les effets psychologiques de l'exposition médiatique sur les enfants, ou sur l'augmentation du risque de cyber-harcèlement et de pédopornographie consécutive à une telle exposition.

La présente proposition de loi est pionnière en matière de protection des droits de l'enfant sur internet : aucun État au monde n'a encore légiféré sur le sujet. Elle s'inscrit dans une action plus large déjà engagée par notre majorité avec le vote de textes visant à lutter contre les fausses informations ou contre la haine sur internet.

Les dispositions du texte doivent encore faire l'objet d'un contrôle juridique – le droit européen, en vertu notamment du principe de territorialité, ne permet pas actuellement de contraindre les plateformes qui ne joueraient pas le jeu.

Protéger les enfants n'en demeure pas moins un souci primordial, et c'est bien le but premier de cette proposition de loi. C'est pourquoi le groupe La République en marche votera ce texte avec beaucoup de conviction.

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