Intervention de Franck Riester

Séance en hémicycle du mercredi 12 février 2020 à 15h00
Encadrement de l'image des enfants sur les plateformes en ligne — Présentation

Franck Riester, ministre de la culture :

Le numérique apporte son lot de nouvelles possibilités, mais aussi son lot de risques ; ce n'est pas la première fois que je les évoque devant vous. Face à ces risques, nous avons une responsabilité : celle de faire respecter les règles par tous, de les adapter s'il le faut, et de combler les vides juridiques, avec pragmatisme et ambition, sans renoncer à nos principes et sans nous résigner. En effet, ce n'est pas parce que les géants du numérique sont des géants qu'ils doivent échapper à toute régulation. Non, l'internet n'est pas un espace de non-droit.

C'est cet état d'esprit qui inspirait hier la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, dont le président Bruno Studer était déjà rapporteur, la proposition de loi, présentée par Laetitia Avia, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, ainsi que la directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique, dont vous avez déjà permis la transposition des dispositions relatives au droit voisin au profit des éditeurs de presse, le reste devant être transposé par le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, qui sera bientôt inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée.

C'est ce même état d'esprit qui préside au texte que vous examinez aujourd'hui. Celui-ci étend à l'univers numérique une protection qui existe déjà pour les enfants du secteur du spectacle et les enfants mannequins. Il s'inscrit dans la lignée du discours que le Président de la République a prononcé à l'UNESCO le 20 novembre dernier, dans lequel il rappelait que le Gouvernement tout entier était mobilisé en faveur de la protection de l'enfance aux côtés du secrétaire d'État chargé de ce sujet, Adrien Taquet. Ce texte en est une preuve de plus : la protection des enfants dans l'espace numérique est une priorité du Gouvernement, de la majorité et de l'Assemblée.

Précisément, nous renforçons cette protection. Nous voulons notamment mieux protéger les mineurs contre la pornographie en ligne. La directive « Services de médias audiovisuels », qui sera transposée par le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, y contribue. Elle impose aux plateformes de partage de vidéos de prendre des mesures afin d'empêcher l'accès des mineurs aux contenus qui leur sont particulièrement préjudiciables, parmi lesquels figurent, bien entendu, les contenus pornographiques.

La proposition de loi de Laetitia Avia vise elle aussi les contenus pornographiques, en prévoyant une obligation de retrait lorsqu'ils sont accessibles sans contrôle aux mineurs. Quant à la proposition de loi de Bérangère Couillard, elle précise dans le code pénal que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l'accès à la pornographie par les mineurs. Il s'agit d'un engagement du Président de la République, que le Gouvernement a soutenu et dont il a permis l'introduction dans la loi.

Enfin, un comité de suivi a été mis en place, afin d'encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux informatiques. Il est soumis à une obligation de résultat dans un délai de six mois. Réunissant les acteurs concernés et les associations, il fait partie des travaux menés en commun par le CSA et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l'ARCEP, travaux qui ont vocation à se multiplier, ce dont je me félicite. Je salue l'engagement pris par Roch-Olivier Maistre et par Sébastien Soriano de mener cette coopération de la meilleure façon possible.

En un sens, cette coopération entre régulateurs constitue un rappel : si nous voulons protéger efficacement les enfants contre les dangers du numérique, nous n'y parviendrons pas seuls. Pour protéger, il faut s'unir.

Cette ambition, nous devons la nourrir au niveau européen, car l'Europe est notre meilleure protection. Face aux géants du numérique, elle est même notre seule protection efficace et crédible. Nous ferons le poids si et seulement si nous faisons front commun. Tel est le cas s'agissant de la protection de l'enfance ; tel était déjà le cas s'agissant du droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

La Commission européenne prépare en ce moment même sa stratégie numérique. C'est l'occasion pour nous de promouvoir la vision française sur cette question, en prenant des initiatives ambitieuses. Je suis pleinement mobilisé à cet effet, avec mon collègue Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique.

En la matière, la régulation européenne devra être à la fois souple et exigeante. Elle devra être souple, d'abord, parce que le monde numérique change rapidement ; la régulation doit être en mesure de changer aussi rapidement. Il faut donc fixer des objectifs, mais laisser les acteurs concernés choisir les meilleures solutions, qui leur sembleront les plus adaptées.

Elle devra être exigeante, ensuite. Ce degré d'exigence, nous l'atteindrons en dotant le régulateur de moyens lui permettant de contrôler les efforts des plateformes, ainsi que les résultats qu'elles obtiennent, et de sanctionner les éventuels manquements à leurs obligations.

Si la question de l'accès aux contenus est une préoccupation essentielle, elle ne saurait être la seule. Le texte de loi que vous examinez aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, traite précisément d'une situation distincte. Il ne vise pas à protéger les enfants spectateurs des contenus vidéo, il vise à protéger ceux qui en sont les acteurs. Il ne vise pas à protéger les publics, il vise à protéger les créateurs. Or, depuis quelques années, le nombre de créateurs de vidéos a augmenté de façon exponentielle – et c'est tant mieux ! – , sur YouTube principalement, ainsi que sur TikTok et Twitch, ou Vine hier.

Les plateformes de partage de vidéos sont le plus souvent une chance. Ce sont des espaces de liberté, où se déploie une créativité extraordinaire. Des talents formidables – talent de raconter des histoires, talent artistique, musical ou comique – s'y expriment, s'y révèlent et trouvent un public, sans intermédiaire.

Ces vidéos sont aussi une source de revenus pour leurs créateurs. Avec la monétisation des contenus, certains en ont même fait leur activité professionnelle ; ils sont parfois qualifiés d'« influenceurs ».

À l'heure actuelle, de plus en plus de vidéos, de plus en plus de chaînes sont consacrées à l'exposition d'enfants. Les enfants sont mis en scène en train de jouer, de manger ou de cuisiner. Or en coulisses, à la manette pour ainsi dire, se trouvent souvent les parents. Ce sont eux qui mettent en scène leurs enfants, réalisent les vidéos et peuvent imposer un rythme de tournage, ainsi que l'utilisation de certains types de contenus ou de certains produits vendus dans le commerce ; et ce sont eux qui, à la fin, récupèrent la rémunération afférente. Le risque pour les enfants est évident.

Avec le présent texte de loi, nous voulons mieux protéger ces enfants « influenceurs ».

Pour protéger, il faut encadrer, ce qui suppose de soumettre cette activité aux règles de droit commun prévues par le code du travail pour le cas où l'activité des mineurs est assimilable au travail salarié. Tel est d'ores et déjà le cas pour les enfants qui jouent dans une pièce de théâtre ou dans un film, ou qui se produisent au cirque. Je salue l'engagement de ma collègue Muriel Pénicaud en ce sens.

Cela suppose également de créer un régime de déclaration administrative pour le cas où, même s'il ne s'agit pas de salariat, le nombre et la durée des contenus, ou le montant des revenus issus de la diffusion des vidéos, justifient pleinement d'exercer une vigilance particulière et de mener une action pédagogique en direction des parents.

Pour protéger, il faut s'unir, ce qui suppose d'associer les plateformes numériques à ce combat. Il faut les responsabiliser, tant en matière d'information des parents sur la réglementation que de lutte contre les situations d'abus.

Pour protéger, il faut enfin garantir le droit à l'oubli. Tel est le cas de la présente proposition de loi pour les mineurs apparaissant dans des vidéos mises en ligne sur les plateformes numériques. Il importe particulièrement que le mineur n'ait pas besoin de demander l'autorisation de ses parents pour faire valoir ce droit. Mme la garde des sceaux est pleinement mobilisée dans ce combat.

Monsieur le président de la commission, cher Bruno Studer, je vous remercie d'avoir déposé cette proposition de loi, au demeurant adoptée à l'unanimité par la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Elle est nécessaire.

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