Intervention de Muriel Ressiguier

Séance en hémicycle du mercredi 12 février 2020 à 15h00
Encadrement de l'image des enfants sur les plateformes en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMuriel Ressiguier :

Internet est en perpétuelle évolution. L'avènement du web 2. 0 a permis l'apparition de nouveaux médias et de nouvelles plateformes, permettant à chaque internaute de publier du contenu et de le promouvoir à travers le monde. Les jeunes générations, très friandes de ces nouvelles technologies, sont particulièrement exposées. Votre proposition de loi, qui vise à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, vient donc combler un vide juridique et poursuivre les réflexions et les travaux législatifs déjà menés dans ce domaine.

Tout l'enjeu de cette proposition de loi réside dans sa capacité à pallier les potentielles dérives de cette nouvelle organisation du travail et des conditions dans lesquelles elle s'exerce. Pour cela, vous proposez d'appliquer la législation en vigueur pour les enfants du spectacle à ceux dont l'image est commercialement exploitée dans les vidéos en ligne. Si cela constitue une avancée, toute la complexité de la situation doit être prise en considération.

Le phénomène d'enfants mis en avant sur internet s'étend à de nombreuses plateformes, comme Instagram, Snapchat, TikTok ou YouTube, avec des formats très variés, tels que la vidéo – qui nous occupe ici – la photo, ou les stories. À partir de comptes créés à l'initiative des parents ou des adolescents, il est possible de diffuser des contenus divers, lesquels peuvent être culturels, scientifiques, journalistiques et plus ou moins personnels, surtout lorsqu'il s'agit de montrer son quotidien en vidéo. La frontière entre le simple partage en ligne, la recherche de popularité ou la démarche commerciale n'est pas toujours clairement affichée, tandis que la notion de travail n'est pas toujours évidente.

Certains influenceurs parviennent à obtenir une grande visibilité auprès de communautés d'internautes. Cette notoriété en ligne peut être lucrative et convoitée par des sociétés ou des agences de communication qui proposent une rémunération directe ou indirecte en échange de contenus promotionnels. Au-delà de la démarche commerciale, la collecte de données personnelles engendrées par le visionnage de vidéos est une source de profits significative pour les plateformes. Cette problématique, qui n'est pas abordée dans votre texte, le sera dans le futur projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique ; nous prendrons toute notre place dans ce débat.

Par ailleurs, les enfants de moins de 16 ans qui réalisent des vidéos avec leurs parents sont soumis aux mêmes dérives comportementales que celles observées sur les réseaux sociaux : cyberaddiction, hypernarcissisme, compétition exacerbée, harcèlement, risque d'isolement. De plus, le sentiment d'être potentiellement toujours observé et jugé suscite la modification des comportements et le rétrécissement de la sphère de l'intime. En quête d'identité et de reconnaissance, les enfants et adolescents y sont particulièrement vulnérables. En l'état, votre proposition de loi ne prend pas ces risques en considération.

Enfin, la responsabilité des plateformes doit être renforcée. En effet, les entreprises du secteur des nouvelles technologies investissent beaucoup dans la recherche et le développement, afin d'être toujours plus compétitives et rentables, mais rechignent à rémunérer des modérateurs pour contrôler les contenus car une telle dépense ne rapporte pas d'argent. Or ce rôle ne peut être exclusivement dévolu aux algorithmes.

La protection des mineurs est essentielle et les plateformes ont le devoir d'y contribuer activement. Hélas, dans la nouvelle version du texte, les articles 3 et 4, qui visent justement à responsabiliser les plateformes s'agissant du contrôle des contenus en ligne impliquant des personnes mineures, ont été assouplis. Les articles coercitifs initiaux ont été remplacés par une charte ou par des recommandations, ce que nous regrettons. À l'heure où le dialogue avec les plateformes est encore difficile – mais nécessaire – , l'incitation seule ne peut constituer un moyen de régulation efficace.

Ne soyons pas naïfs : face au monopole de certaines d'entre elles et à leurs puissants lobbies, il convient de ne pas baisser la tête, mais d'afficher notre détermination politique à faire respecter certaines règles. Si les plateformes sont guidées par la recherche du profit, nous devons l'être par l'intérêt général. Et nous pouvons le faire dès à présent – c'est d'ailleurs notre rôle – , quitte à préciser ou adapter le droit européen en vigueur, qui n'est pas immuable.

Vous le savez, le groupe de La France insoumise était favorable à la version initiale du texte. Compte tenu des modifications apportées, nous nous laisserons le temps du débat pour décider de la nature de notre vote.

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