Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 9h00
Gel des matchs de football le 5 mai — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Mardi 5 mai 1992. Cette date devait résonner comme un souvenir heureux. Je me souviens l'insouciance des rues de Bastia et de la Corse, à quelques heures d'une demi-finale de Coupe de France de prestige face à l'Olympique de Marseille. Je me souviens de la ferveur bleue, des chants, des coups de klaxon, de la perspective de s'ouvrir l'accès à une nouvelle finale. L'heure était à la fête.

Dans les jours qui précédaient l'événement, je me souviens d'avoir longtemps hésité : devais-je emmener mon fils au stade ? J'ai pris son billet le jour même du match. En arrivant au stade Armand-Cesari de Furiani, j'ai vu cet édifice impressionnant, la tribune Nord construite à la hâte, qui faisait presque doubler la capacité du stade.

D'en haut, le panorama était magnifique : une immense plage de sable qui, vers le nord, court jusqu'à Bastia. Je me souviens de l'ambiance extraordinaire. Je me souviens aussi, ce qui est infiniment plus triste, des grincements de la tribune Nord, qui branlait. J'ai demandé à mon fils de descendre et de rester plus bas avec moi. Bien d'autres n'ont pas eu cette chance.

Le match allait bientôt commencer. Mardi 5 mai 1992, vingt heures vingt-trois, j'entends ce bruit terrible, tel un train qui passe juste derrière moi. Dans mon dos, un vide tragique. Nous étions dans le drame, au milieu de l'horreur : 19 morts, 2 357 victimes dénombrées. Dix-neuf noms inscrits sur une stèle : Antoine Angelini, Guy Brunei, Marie-Pierre Campana née Clément, André Casta, Alexandra Drillaud, Jean-Baptiste Dumas, Jean Ferrara, Antoine Geronimi, Thierry Giampietri, Dominique Giannoni, Santa Grimaldi, Pierre-Jean Guidicelli, Cédric Lalliat, Lucien Marsicano, Christian Mattéi, Michel Mottier, Marie-Laure Ottaviani née Guerrieri, Patrick Rao, Michel Vivarelli.

Dix-neuf noms inscrits sur une stèle ; tant de blessures physiques aussi, et plus encore de meurtrissures morales. Le désarroi est énorme. L'ampleur de la catastrophe est nationale et même européenne. La finale de la Coupe de France 1991-1992 n'aura jamais lieu. L'émotion dépasse le cadre sportif. Le Président de la République, François Mitterrand, promet qu'aucun match de football ne se tiendra plus jamais à cette date.

Et puis le drame s'éloigne. L'émotion collective d'un soir se dissout peu à peu avec le temps. Alors que l'on cherche les responsables, que chaque partie impliquée dans cette construction à la hâte essaie de se dédouaner, la douleur, elle, reste présente. Mais les victimes, progressivement, sont oubliées.

C'est ainsi que se crée le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, dont je salue l'action. Depuis vingt-sept ans, ils luttent contre l'oubli et pour la dignité. Jusqu'à présent, ils ont récolté beaucoup de déceptions : le procès de la catastrophe de Furiani ; la promesse, toujours non honorée, du président Mitterrand ; les hésitations de la Ligue de football professionnel ; la finale de Coupe de la Ligue, jouée le 5 mai 2001 au Stade de France. On prend prétexte des contraintes du calendrier, alors même que, chaque année, des reports sont décidés en raison des conditions climatiques ou de mobilisations ponctuelles, comme cela a encore été le cas avec le mouvement des gilets jaunes. Chaque épisode est une souffrance de plus ; chaque semblant de victoire s'achève en déconvenue.

En 2015, un pas en avant est enfin effectué : la reconnaissance par l'État de la catastrophe de Furiani comme drame national. Une plaque commémorative est dévoilée, l'année suivante, au ministère des sports. L'accord du 22 juillet, signé entre les représentants du football français, le ministère et le collectif du 5 mai, prévoit qu'aucun match n'aura lieu lorsque le 5 mai est un samedi.

C'est une demi-mesure, quand on sait que le 5 mai 1992 était un mardi et, surtout, quand on sait que les familles pleurent les absents et pansent les blessés au quotidien, que cette douleur n'est pas fonction des jours de la semaine. Cette demi-mesure représente tout de même une avancée, une attitude plus respectueuse envers les victimes. Il aura fallu attendre plus de vingt-trois ans pour obtenir cette avancée. Il faut rendre hommage au secrétaire d'État chargé des sports, Thierry Braillard, qui l'a permise.

En mai 2017, le 5 mai est donc une journée blanche sur le calendrier. Au cours de la saison suivante pourtant, plusieurs rencontres de Ligue 1 ont lieu le dimanche 5 mai, à la surprise d'une bonne partie de la communauté footballistique : entraîneurs, joueurs, supporters – de nombreuses banderoles le prouveront.

En invoquant des contraintes de calendriers, et donc celles des diffuseurs, la Ligue de football professionnel nous renvoie finalement à ses propres hésitations et contradictions. Elle nous renvoie surtout à une question de fond : quelle est la part du sport, de l'éthique, de l'humain, et quelle est la part des intérêts purement économiques ? Que pèse la mémoire des événements passés face aux intérêts immédiats ?

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