Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 15h00
Justice sociale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

« Je suis paraplégique depuis trois ans maintenant et je n'ai pas le droit à l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés, car, dans son petit commerce, mon mari touche 1 500 euros par mois. Nous payons 990 euros de loyer pour un logement adapté à mon fauteuil roulant. Nous versons 150 euros à ma fille, en deuxième année de fac, pour sa chambre universitaire. Mon fils est en internat pour 150 euros par mois. Et je touche zéro euro de la caisse d'allocations familiales, car les revenus de mon mari débordent. Alors, je souhaite que M. Macron cesse de compter les revenus du conjoint dans l'AAH : avec ses calculs, il fait de nous des gens pauvres. »

C'est Karine qui m'écrit cela – mais je pourrais vous lire aussi le témoignage de Patricia au sujet de sa fille âgée de 27 ans, ou les témoignages de Myriam, de Nicolas, de Stéphanie… Vous avez dû recevoir les mêmes à votre permanence ou dans votre boîte aux lettres électronique, monsieur le rapporteur. Saisi de cette injustice, vous avez décidé de la réparer par cette proposition de loi.

Vous avez fait un rêve. Vous avez rêvé qu'un jour, sous la présidence d'Emmanuel Macron, dans cette assemblée de marcheurs, seraient adoptées – pour reprendre vos termes – « diverses mesures de justice sociale ».

J'allais ironiser sur votre naïveté. J'allais vous rappeler la baisse des aides personnalisées au logement, le gel des pensions agricoles, la suppression des emplois aidés et, pour les riches, la fin de l'impôt de solidarité sur la fortune, la flat tax, l'exit tax, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – bref, mille cadeaux. J'allais évoquer, bien sûr, la réforme en cours : la « baisse programmée des futures pensions », comme l'annonce AXA, le glissement d'une retraite méritée à une allocation de pauvreté. J'allais même citer de petits machins dans les coins, des reculs inaperçus : prenez les fonds sociaux des collèges, qui servent à payer des habits, des cartables, des consultations médicales, des voyages de classe aux enfants les plus pauvres ; eh bien, ces fonds sociaux vont diminuer de moitié. J'allais conclure que, pour moi, Macron et justice sociale relèvent de l'oxymore.

J'allais vous dire tout cela – mais après tout, ai-je songé, c'est beau, l'espoir. Ça fait vivre, il paraît. J'ai choisi de partager votre espérance. Je veux parier, avec vous, sur une conversion : une conversion sociale, une conversion de la majorité. Certes, notre collègue communiste Marie-George Buffet avait déjà plaidé la même cause à cette tribune, l'an dernier. Les élus du groupe La République en marche avaient alors rejeté sa proposition de loi, seuls contre tous : seuls contre les communistes, contre les insoumis, contre les socialistes, contre les républicains ; seuls contre la droite et contre la gauche. Qu'importe, mes biens chers frères, mes bien chères soeurs ! Nous devons continuer d'espérer, nous devons maintenir notre foi en l'homme.

Que vous a répondu la majorité en commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur ? Que votre volonté est louable, que l'on ne peut qu'être d'accord avec les objectifs annoncés, que vous posez les bonnes questions, mais… Il y a forcément un « mais » ! C'est ce qu'a dit la porte-parole du groupe La République en marche : « Cette proposition de loi pose les bonnes questions, mais pas au bon moment ». Texto !

Pas au bon moment pour qui ? Pas au bon moment pour les premiers concernés ? Pas au bon moment pour les personnes handicapées ? Pas au bon moment pour Karine, Myriam, Nicolas, Stéphanie ? Non : pas au bon moment pour le Gouvernement, pas au bon moment pour la majorité. Je continue à citer la porte-parole du groupe La République en marche : « Les mesures proposées dans le cadre de cette proposition de loi arrivent de manière un peu anticipée ». Et pourquoi donc arriveraient-elles de manière anticipée ? Parce que des réflexions sont en cours, parce que « ces questions, complexes et exigeantes, doivent être traitées lors de futures grandes réformes que nous discuterons dans les deux prochaines années ». Texto !

En conséquence, il faudrait attendre : attendre l'adoption du projet de loi instituant un système universel de retraite – ça, ce sera rapide ;

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