Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 15h00
Fonds de garantie des victimes du terrorisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

La proposition de loi qui nous est soumise illustre parfaitement la double mission des parlementaires : d'une part, être à l'écoute des citoyens ; d'autre part, légiférer.

Être à l'écoute, c'est entendre les souffrances de nos concitoyens, les comprendre et faire en sorte d'y mettre un terme, afin que demain elles ne fassent pas de nouvelles victimes.

Légiférer, nous avons été élus pour cela. Pourtant, nous ne sommes pas les seuls à dire le droit : le juge a lui aussi son mot à dire lorsque les textes que nous votons sont imprécis et laissent trop de place à l'interprétation.

La loi est trop fréquemment bavarde ; on nous en fait régulièrement le reproche, souvent avec raison. Lorsqu'en revanche elle est imprécise, c'est au juge de trancher, quelles que soient les conséquences. Mais les députés ont également le devoir d'agir quand ils constatent qu'un texte manque de clarté. C'est ce qu'a compris notre collègue Jeanine Dubié, qui est à l'origine du présent texte.

Jeanine Dubié fait partie de ces élus qui sont à l'écoute de chacun, qui entendent les joies, mais aussi les peines et les souffrances de leurs concitoyens. C'est à la suite de l'un de ces accidents de la vie qui vous meurtrissent profondément, irrémédiablement, qu'a émergé la proposition de loi.

Je souhaite remercier Matthieu de Vallois pour son implication d'un bout à l'autre de la chaîne d'élaboration de ce texte, qui vise à clarifier la rédaction de l'article 706-5 du code de procédure pénale au bénéfice des victimes des actes de terrorisme.

Je remercie également la rapporteure : elle s'est battue pour que le texte soit examiné dans l'hémicycle parce qu'elle a une conscience aiguë de la nécessité de préciser la loi afin que nous n'ajoutions pas de la souffrance à la souffrance.

Mes chers collègues, qu'est-ce qu'une victime ? La réponse peut sembler évidente, mais elle ne l'est pas. Si ce terme était rarement employé avant la fin du XVe siècle, il définit aujourd'hui toute personne qui subit un préjudice ou un dommage. D'ailleurs, dans notre droit interne comme dans le droit international, les différentes désignations juridiques d'une victime la qualifient à partir de la notion de dommage.

Une victime, c'est pourtant bien plus que cela. C'est d'abord un être humain doté d'une liberté de choix et d'une autonomie qui lui permettent de trouver sa place dans la société. Ne pas lui offrir la possibilité de se reconstruire dans les meilleures conditions possibles, ne pas la laisser tourner la page du dommage qu'elle a subi, c'est ainsi lui dénier son statut de sujet moral et social, c'est l'empêcher de se débarrasser de l'étiquette de victime que lui a apposée l'auteur des faits.

Le législateur a depuis quelques années adopté des dispositions qui visent à faciliter la reconstruction des victimes. La dimension indemnitaire est ainsi venue compléter les autres aspects de la reconstruction, ceux qui relèvent des champs médical, psychologique ou social.

S'il ne faut pas réduire la reconstruction d'une victime à sa seule dimension indemnitaire, nous avons cependant le devoir de tout faire pour alléger, simplifier, fluidifier, humaniser son parcours judiciaire. Malheureusement, la jurisprudence de la Cour de cassation a fait de la loi du 15 juin 2000 une application contraire à l'intérêt des victimes en réduisant le délai dans lequel elles pouvaient saisir la CIVI.

Cette interprétation des juges suprêmes est contraire à l'esprit de la loi du 15 juin 2000 : elle est contraire à l'objectif de protection de la présomption d'innocence, puisque, si l'octroi de dommages et intérêts est tenu à un délai qui prend fin avant une décision de justice définitive constatant ou non une culpabilité, l'auteur présumé est de facto perçu coupable en cas d'octroi de dommages et intérêts.

Elle est également discriminatoire envers les personnes à qui une juridiction a reconnu un statut de victime mais qui doivent respecter, pour saisir la CIVI, un délai plus court que les personnes ne bénéficiant pas de ce statut.

Vous le voyez, mes chers collègues, il est primordial de réécrire l'article 706-5 du code de procédure pénale afin qu'il contribue véritablement à renforcer la politique d'aide à la reconstruction des victimes que nos prédécesseurs ont voulu mettre en oeuvre et que les justiciables sont en droit d'attendre.

Lors de l'examen en commission, vous avez unanimement reconnu l'utilité du texte que ma collègue Jeanine Dubié nous propose d'adopter ; notre groupe vous en remercie. Vous avez ainsi mesuré combien la réparation du préjudice de la victime doit être un élément structurant de sa reconstruction, mais aussi de la peine et de son exécution. Cette conscience unanime que nous avons de la nécessité de corriger le dispositif en vigueur est à l'honneur de notre assemblée. Par la précision rédactionnelle et procédurale que nous apporterons à la loi du 15 juin 2000, l'institution judiciaire et le réseau associatif d'aide aux victimes, qui fait un travail remarquable, pourront oeuvrer ensemble efficacement à la reconstruction des victimes.

La proposition de loi clarifiera et complétera la rédaction de l'article 706-5 du code de procédure pénale au bénéfice des victimes : elle crée un délai unique d'un an après la décision de justice qui a statué définitivement sur l'action publique et sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive pour présenter une demande d'indemnité ; elle maintient l'obligation que l'article 706-15 du code de procédure pénale fait à la juridiction d'informer la victime à qui est reconnu le bénéfice de dommages et intérêts de sa possibilité de saisir la CIVI ; elle crée un cas permettant de relever automatiquement la forclusion lorsque l'information n'a pas été donnée.

Je vous invite donc à voter en faveur de ce texte qui constitue une réponse claire à l'interprétation de la Cour de cassation et qui apporte davantage de sécurité juridique aux victimes, mais aussi aux personnes présumées avoir commis les faits incriminés.

Notre système juridique doit assurer la bonne administration de toutes les situations, réagir avec humanité aux tragédies et condamner les coupables en dehors de l'arbitraire de la subjectivité et selon des règles de droit claires et précises : c'est à cette condition que les justiciables retrouveront confiance en la justice.

À l'heure où la défiance à l'égard du personnel politique s'accentue parce que le peuple souverain a le sentiment de ne plus être maître de son destin, à l'heure où nos concitoyens ont de moins en moins confiance en une justice qui leur paraît déshumanisée parce qu'éloignée de leurs réalités quotidiennes et de leurs difficultés, nous avons la responsabilité d'apporter des remèdes justes aux maux qui gangrènent notre démocratie. À son niveau, cette proposition de loi y contribue.

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