Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 15h00
Protection patrimoniale et promotion des langues régionales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

En tant qu'orateur du groupe Libertés et territoires, je m'enorgueillis de pouvoir défendre la diversité de nos régions, en particulier leur diversité linguistique. Cet impératif figure d'ailleurs en bonne place dans la charte de notre groupe et personne n'aurait compris que ses membres ne le défendent pas. Aussi l'inscription de cette proposition de loi de notre collègue Paul Molac à l'ordre du jour de la niche parlementaire qui nous est réservée confirme-t-elle, une fois de plus, la réalité de notre attachement à cette richesse.

J'y vois d'abord un impératif humaniste car, trop longtemps, notre République a considéré que sa quête d'universalité reposait sur une langue unique qui s'imposerait à tous. L'édification de l'État s'est ainsi reflétée dans le développement de l'usage du français. La culture française devait donner accès à la civilisation et cet accès supposait donc l'apprentissage de la langue française. Or donner une visée politique à une langue est une erreur fondamentale encore trop souvent reproduite. Notre collègue citait le député Barère qui terminait ainsi son intervention : « Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous. » Si les principes de la République sont universels, ceux-ci doivent pourtant pouvoir s'exprimer dans toutes les langues du monde et a fortiori les langues de France. Au nom de quel principe supérieur, en effet, les notions de liberté, d'égalité et de fraternité à la française ne pourraient-elles pas être transcrites en corse, en occitan ou même en futunien ? Si le français est bien notre langue commune, elle ne doit pourtant pas être exclusive des autres langues de la France métropolitaine et d'outre-mer. La citoyenneté française peut s'exprimer pleinement dans une identité qui ne se vit pas exclusivement dans une langue unique, comme elle ne se vit d'ailleurs pas dans une religion ou une identité culturelle unique.

Pourquoi ces personnes aux langues, aux origines et aux croyances diverses seraient-elles dès lors constamment mises en demeure de choisir l'une ou l'autre de leurs identités ? Sans doute, comme l'a magnifiquement écrit Amin Maalouf, de l'Académie française, dans Les identités meurtrières, « à cause de ces habitudes de pensée et d'expression si ancrées en nous tous, à cause de cette conception étroite, exclusive, bigote, simpliste qui réduit l'identité entière à une seule appartenance ». Or, poursuit-il, « l'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence. » En somme, elle ne peut se segmenter de façon binaire, il s'agit d'un tout. D'ailleurs, analyse-t-il, « rien n'est plus dangereux que de chercher à rompre le cordon maternel qui relie un homme à sa langue. Lorsqu'il est rompu, ou gravement perturbé, cela se répercute désastreusement sur l'ensemble de la personnalité. »

Aussi convient-il d'assumer le fait que les langues régionales font partie du patrimoine commun de tous les Français. Qu'ils maîtrisent ou non une langue régionale, elles font partie de l'histoire du pays et continuent à en forger le quotidien. Or un patrimoine qui nous a été transmis de génération en génération, cela se protège. La diversité culturelle, la diversité linguistique sont des trésors de l'humanité dont la disparition serait irréparable. C'est là où je vois, avec l'impératif humaniste, un second impératif pour sauver les langues régionales : l'impératif environnementaliste, consistant à défendre la diversité du vivant.

On estime que 5 % des quelque 7 000 langues actuelles sont parlées par 95 % de la population mondiale. Toutes les autres, c'est-à-dire 95 % d'entre elles, sont parlées par seulement 5 % des humains. Or il n'y a pas de petites ou de grandes langues, certaines dignes d'être sauvées et d'autres non. Si toutes constituent une parcelle inestimable du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, elles ont une dangereuse tendance à fondre comme neige au soleil. La moitié des 6 000 langues du monde est menacée de disparition et une langue meurt en moyenne toutes les deux semaines ! En France, vingt-six langues sont en voie de disparition car classées comme « sérieusement en danger » par l'UNESCO. Il y a urgence à les sauver car les langues « poussent » encore plus lentement que les arbres : les langues d'aujourd'hui sont vieilles, pour la plupart, de plusieurs milliers d'années. Comme les expressions culinaires ou musicales, les langues sont des phénomènes culturels vivants. Elles offrent une vision et une connaissance du monde souvent unique et précieuse. La diversité linguistique est une richesse certes, mais une richesse menacée, menacée d'ailleurs par des maux similaires à ceux qui touchent notre environnement naturel.

La mondialisation des échanges, l'impérialisme des cultures dominantes, l'urbanisation accélérée, tout cela contribue à la mise en danger des langues. Ainsi, s'il est largement reconnu que la dégradation de l'environnement naturel entraîne une perte de la diversité culturelle et linguistique, symétriquement, de nouvelles études suggèrent que la disparition des langues a, elle aussi, un impact négatif sur la conservation de la biodiversité. Les communautés locales ont élaboré des systèmes de classification complexes pour le monde naturel qui reflètent une profonde compréhension de leur environnement local. Cette connaissance de l'environnement est intégrée dans les noms vernaculaires, traditions orales et taxinomies, et peut disparaître lorsqu'une communauté commence à parler une autre langue.

La France est pourtant riche, tellement riche de sa diversité linguistique qu'elle est le pays d'Europe occidentale comptant le plus de langues. Nous devons considérer cette diversité comme un véritable patrimoine et utiliser tous les moyens appropriés pour sa protection. C'est le sens premier de la proposition de loi de notre collègue Paul Molac – à qui l'on peut reconnaître la constance dans son combat. Rappelons qu'aujourd'hui encore la France est l'un des seuls pays d'Europe où les langues régionales ne bénéficient pas de véritables mesures de protection et de promotion assurant leur pérennité. Elle est l'un des derniers États à ne pas avoir ratifié la charte européenne des langues régionales. Pourquoi donc, …

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