Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout dans ce projet de loi de finances rectificative est leçon de choses : ses causes, l'appartenance sociale de ceux qui en sont les responsables, la méthode qui nous est proposée pour y remédier, ses conséquences pour la Nation résument très exactement ce dont nous ne voulons plus et, au fond, ce que nous dénonçons dans votre budget pour les hyperriches. S'il était adopté, ce texte deviendrait la chronique d'un scandale annoncé.

Commençons par les causes. La directive européenne du Conseil, en date du 30 novembre 2011, dite directive mère-fille, a pour objet notamment d'exonérer de retenue à la source les dividendes et autres bénéfices distribués par des filiales à leur société mère, et d'éliminer la double imposition de ces revenus au niveau de la société mère.

Je traduis : si vous êtes une filiale en France d'un groupe domicilié au Luxembourg, en Irlande ou ailleurs, vous ne pouvez pas voir taxer vos profits à la source – donc les dividendes – , générés par votre activité en France, au prétexte qu'ils le seront ensuite dans le pays de la société mère. On voit bien là tout l'avantage si la société mère se situe dans un pays qui offre une fiscalité avantageuse pour les profits du capital.

C'est même le but recherché : la directive a en effet été conçue pour abaisser au maximum la taxation du capital, au nom de la concurrence libre et non faussée. Elle fait partie de ces mécanismes sur lesquels s'appuient les grands groupes pour faire de l'optimisation fiscale au sein de l'Union européenne.

On se souvient du récent exemple de Google que, sur la foi de ces diverses astuces légales, un tribunal administratif a dispensé de payer 1,115 milliard d'arriérés d'impôt réclamé par le fisc.

Au moment où les Paradise papers sont révélés, il faut rappeler que la triche légale qu'est l'optimisation fiscale coûte au bas mot 20 milliards à la France, lesquels s'ajoutent aux 80 milliards de l'évasion proprement dite, contre laquelle vous ne tentez rien, pas même de faire sauter le verrou de Bercy. C'est d'ailleurs l'un des trous noirs que le capital fait peser sur la Nation.

Revenons à la directive. Au fond, elle est à la fiscalité du capital ce que la directive des travailleurs détachés est à l'exploitation du travail. Dans le cas des travailleurs détachés, ce sont les cotisations sociales du pays d'origine qui sont appliquées ; dans le cas de la directive mère-fille, c'est la fiscalité sur les profits du pays d'origine. Dans les deux cas, ce sont les mêmes qui profitent de ce dumping interne.

Doit-on rappeler que cette directive découle directement du traité de Lisbonne, qui n'est autre que le traité constitutionnel européen refusé majoritairement par le peuple français et de nouveau introduit par la fenêtre du Congrès que Nicolas Sarkozy a réuni à Versailles en 2007 ?

C'est là, mes chers collègues, la première leçon de choses : non seulement l'harmonisation fiscale dans l'Union européenne n'est pas à l'ordre du jour, mais les traités européens conduisent exactement à l'inverse. La prime est à un moins-disant fiscal tout à l'avantage des actionnaires et au détriment des recettes des États. Ceux qui affirment l'inverse sont soit des naïfs, soit des hypocrites lucides, certains de ce qu'ils font. C'est ainsi – pour répondre à votre introduction, monsieur le ministre – qu'ils organisent l'impuissance des États.

Restons sur le rapport entre l'Union européenne et les peuples. Pensez-vous que beaucoup de nos concitoyens savaient qu'une règle empêchait de taxer à la source le capital sur des filiales oeuvrant sur notre sol ? Nous touchons là un principe de base de l'actuelle construction européenne : son opacité.

On l'a vu pour les négociations sur le TAFTA – Transatlantic Free Trade agreement – ou le CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement : ce ne sont jamais nos gouvernements ni a fortiori la Commission qui proposent, qui défendent, qui expliquent les mauvais coups préparés dans l'ombre, mais bien des associations, des syndicats, des citoyens, parfois des parlementaires, qui en révèlent la nocivité.

L'opacité est la règle d'or de la Commission européenne et plus largement de toutes ses institutions. Des traités sont adoptés sans l'accord du peuple – celui de Lisbonne, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, plus récemment le CETA – et parfois contre son avis. Les directives et règlements qui en découlent se décident dans le secret de l'administration bruxelloise, avec la complicité parfaite et l'hypocrisie de ceux qui nous gouvernent depuis des années. Certains de ces complices gouvernent encore le pays. Nous y reviendrons. Certains, qui ont participé aux décisions, sont assis sur les bancs de l'Assemblée.

Tous ces mécanismes font partie intégrante du droit communautaire, qui, en réalité, prime désormais sur celui des États, au point que les parlementaires français sont non seulement contraints de respecter la règle d'or pour échafauder le budget de la Nation, mais se retrouvent à voter en urgence un plan de loi de finances rectificative de 10 milliards au nom d'une directive dont aucun de leurs électeurs ne connaissait l'existence avant cette heure.

Rappelons l'article 55 de notre Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Voilà ce qui a amené le Conseil constitutionnel à juger que la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution.

Il y a donc une deuxième leçon de choses à tirer de cette affaire : comment admettre que les traités européens, cadre d'un droit communautaire supérieur au droit national, puissent être adoptés sans véritable débat et sans le consentement direct des peuples par référendum ? Voilà encore une démonstration du funeste contournement de la souveraineté des peuples. Cette affaire le prouve : les traités sont devenus un carcan constitutionnel sans que personne ne s'en soit vraiment vanté.

C'est pour cette raison – autre réponse que je tenais à vous apporter, monsieur le ministre – qu'aucune construction européenne ne pourra se bâtir sans qu'on revienne sur cette primauté et qu'on sorte de ces traités.

Passons à une dernière leçon sur les causes. En dernière instance, c'est le Conseil constitutionnel qui a tranché pour annuler l'ensemble de la taxe de 3 %. Interrogée par le Conseil d'État, la Cour de justice européenne n'a en effet retoqué la taxe que sur les dividendes reçus d'une filiale établie dans l'Union européenne. Mais, bien évidemment, d'autres types de dividendes, dont ceux provenant de filiales établies en France ou dans des États hors Union européenne y étaient toujours assujettis.

Le Conseil constitutionnel a estimé que cette différence de situation méconnaissait les « principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques » et était « contraire à la Constitution ». Estimant en conséquence que toutes les filiales n'étaient pas sur un pied d'égalité face à l'impôt à partir du moment où seules celles appartenant à une société mère domiciliée dans l'Union européenne étaient exonérées, il a jugé cette taxe contraire à la Constitution et a donc censuré le reste de la taxe.

Voici donc la troisième leçon de choses : ici, l'égalité invoquée s'applique par le bas. La logique de ce dumping fiscal dans l'Union européenne entraîne en effet un nivellement par le bas dans chaque pays membre. Là encore, le capital est le grand gagnant.

La leçon annexe à tirer de tout cela, c'est que, au nom de cette égalité devant l'impôt, il sera compliqué pour le Conseil constitutionnel, quand nous l'interpellerons, de ne pas annuler la disparition de fait de l'ISF pour les biens mobiliers, puisque sa conservation pour les seuls biens immobiliers entraîne de facto une rupture d'égalité entre les plus riches.

Venons-en maintenant aux responsables. L'Association des entreprises privées et dix-sept sociétés ont porté plainte contre le ministère. Ils ont préféré l'intérêt de leurs actionnaires à l'intérêt général, car, si le projet de loi de finances rectificative est adopté, ces 10 milliards pèseront en grande partie sur la Nation.

Après tout, ils avaient le choix de porter plainte ou de ne pas le faire. Une fois la taxe annulée, ils avaient aussi celui de demander ou non son remboursement, voire – pourquoi pas – de négocier avec l'État. N'ont-ils pas reçu en effet de nous tous, de la Nation, des milliards d'euros au titre du CICE entre 2013 et 2016 ?

Veut-on quelques chiffres ? Axa a reçu 60 millions d'euros, Safran 150 millions, Orange 380 millions, Total 110 millions, Sanofi 50 millions. En 2016, les entreprises du CAC 40 n'ont-elles pas distribué 55,7 milliards d'euros sous forme de dividendes et de rachat d'actions ? À eux seuls, les dix-sept groupes qui portent aujourd'hui réclamation face à l'État français représentent plus de 50 % des dividendes versés.

Ne vont-ils pas recevoir aussi grâce à vous, monsieur le ministre, et au Gouvernement, une bonne part des 9 milliards au moins que vous vous apprêtez à enlever des recettes de l'État pour les donner aux plus riches de nos actionnaires, par le biais de la suppression de l'ISF ou l'instauration de la flat tax ? Et voilà que vous nous demandez de rembourser séance tenante 10 milliards de plus !

Telle est la quatrième leçon de choses. Le moteur du capitalisme financiarisé n'obéit ni à une morale, ni à l'intérêt général de la patrie, ni même à un intérêt entrepreneurial. Il a le nez collé sur le court-termisme des marchés financiers et ne cherche que la meilleure façon de nourrir une rente devenue insatiable.

Ce qui est en train de se passer révèle là encore le jeu de dupes dans lequel votre politique entraîne le pays. Dans votre projet de loi de finances pour 2018, vous vous apprêtez à donner 9 milliards aux mêmes pour qu'ils transforment ce capital épargné en investissement productif – sans aucune condition ni contrainte, faut-il le rappeler ?

Les voilà qui vous donnent leur réponse avant même que vous n'ayez signé ce chèque en blanc. C'est « Touche pas au grisbi, amène plus de fric » ! En effet, que n'ont-ils négocié, proposant par exemple que ces 10 milliards soient directement versés à des PME ou à la Banque publique d'investissement ? Cela leur aurait offert une occasion de se rattraper, eux qui avaient promis de créer 1 million d'emplois en échange du CICE.

Mais, au lieu de saisir cette possibilité de prouver que les cadeaux financiers qu'ils ont reçus alimenteraient bien l'économie réelle, M. Thibault Lanxade, vice-président du MEDEF, s'oppose déjà à la partie que vous entendez faire payer aux plus grosses entreprises par une augmentation passagère de leur impôt sur les sociétés. Sans doute verrait-il d'un meilleur oeil qu'on aille chercher ces 5 milliards en abaissant l'APL – l'aide personnalisée au logement – de 80 euros par locataire.

Tout cela prouve que nous n'aurons que nos yeux pour pleurer – au mieux – votre naïveté ou – au pire – votre complicité, quand vous aurez ainsi dilapidé à leur profit ces 9 milliards de cadeaux fiscaux supplémentaires.

Notons au reste que cette taxe se sera révélée un excellent placement. Non seulement le cumul des sommes versées se monte à 8,7 milliards, mais il faut ajouter des intérêts au taux légal de 0,4 % par mois – soit le taux d'intérêt auquel la France emprunte sur les marchés en un an – pour aboutir au taux rondelet de 4,8 % par an. La loi fixe en effet ce taux d'intérêt moratoire en cas de contentieux amenant un remboursement. Là encore, pourquoi une telle décision venant de qui, votée par qui ? Les plaignants n'ont pas à se plaindre. Dans cette affaire, ils gagneront 1 milliard d'euros.

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