Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Or cette pratique est contraire à l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances, qui dispose : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. » Vous avez donc, en procédant de la sorte, commis une première faute au regard de la loi organique. Aussi le Haut Conseil a-t-il refusé de donner son avis – ce qui ne s'était jamais vu depuis qu'il existe – , estimant, à juste raison, que : « Cette absence d'actualisation ne met pas le Haut Conseil en situation de porter une appréciation d'ensemble sur le cadre macroéconomique et la prévision de finances publiques associées à ce PLFR. »

On peut donc se demander non seulement si la procédure utilisée n'est pas contraire à l'esprit du règlement de l'Assemblée nationale s'agissant du respect des délais de dépôt des amendements, mais encore si la non-actualisation des recettes et des crédits budgétaires à la date de dépôt du projet de loi ne constitue pas une violation de l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances.

Ensuite, le projet de loi qui nous est proposé pose de redoutables problèmes juridiques.

En premier lieu, au regard du droit budgétaire. Lors de la discussion générale sur le projet de loi de finances pour 2018, le groupe Les Constructifs avait salué l'effort de sincérité de ce projet mais en assortissant ce commentaire de deux réserves de taille : la première concernait les dotations pour les opérations extérieures, sous-évaluées d'environ 500 millions d'euros ; la seconde portait sur l'annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe de 3 % sur les dividendes. Alors même que le coût de cette annulation est estimé aujourd'hui à 10 milliards d'euros, seule une provision de 300 millions figurait dans le projet de budget pour 2018, 1,8 milliard étant par ailleurs prévu pour chacune des années 2019, 2020 et 2021. J'avais appelé votre attention sur ce point, monsieur le ministre, notamment lors des questions au Gouvernement. Il m'avait alors été répondu que les entreprises concernées mettraient beaucoup de temps à demander le remboursement. Aujourd'hui, vous dites l'inverse.

À cet égard, les auteurs du texte dont nous sommes saisis estiment, sans donner aucune explication, que la somme de 10 milliards sera répartie pour moitié sur 2017 et 2018. Cette répartition n'est pas conforme à la réalité : comment expliquer aux 318 entreprises frappées par les deux nouvelles taxes qu'elles devront les payer, pour l'essentiel, le 20 décembre 2017, sous la forme d'un acompte de 80 % du montant de ces deux impôts, et que celles d'entre elles qui ont payé la taxe de 3 % sur les dividendes seront remboursées sur deux exercices ? Vous avouerez que c'est un peu surprenant. Ainsi, le principe de sincérité pourrait ne pas avoir été respecté dans la présentation de ce PLFR pour 2017.

Un second problème concerne le risque de condamnation pour concussion des fonctionnaires des services fiscaux qui ont recouvré en 2017, postérieurement à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 17 mai 2017 et à celle du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017, une partie des 2 milliards que cet impôt a produits en 2016. Dans les rapports annexés au PLFR et en commission, le Gouvernement a indiqué qu'il s'agissait d'une somme d'environ 200 millions d'euros, mais nous ne savons pas très bien quelle partie de la somme a été recouvrée postérieurement à ces dates – il s'agit probablement de la majeure partie. Des recours contentieux ont été déposés par des entreprises. Or, monsieur le ministre, aucune disposition qui tendrait à protéger les fonctionnaires concernés ne figure dans votre projet de loi.

Plus grave encore : ce PLFR, qui vise à créer deux nouveaux impôts, la contribution exceptionnelle et la contribution additionnelle, pour une recette de 5,4 milliards d'euros – 4,8 milliards en 2017 et 600 millions en 2018 – , paraît contraire à trois principes constitutionnels.

Le texte proposé par le Gouvernement est d'abord contraire au principe d'égalité. En créant deux taxes majorant chacune de 15 % l'impôt sur les sociétés des 318 entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros et des 110 entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 3 milliards, il crée une rupture d'égalité entre ces deux catégories d'entreprises, car le montant du bénéfice, indicateur pertinent des facultés contributives des entreprises, n'est pas lié au montant de leur chiffre d'affaires.

D'autre part, la notion retenue pour le chiffre d'affaires n'est pas le chiffre d'affaires consolidé pour les groupes consolidés fiscalement, alors que c'est la société mère qui sera chargée de payer ces taxes. À l'inverse, pour les groupes étrangers, ce sont les filiales implantées en France qui régleront ces taxes.

Il existe une autre rupture d'égalité, manifeste : si une entreprise qui n'a pas distribué de dividendes entre 2013 et 2016 et n'a donc pas payé la taxe de 3 % est bénéficiaire en 2017, elle devra payer ces nouvelles taxes ; a contrario, une entreprise qui a beaucoup distribué de dividendes entre 2013 et 2016 mais est déficitaire en 2017 se verra rembourser le montant des taxes réglées sur les dividendes versés tout en étant exonérée des nouvelles taxes.

La rupture d'égalité est également manifeste pour les mutuelles d'assurance : ne pouvant pas, statutairement, distribuer de dividendes, elles n'ont pas payé la taxe de 3 %, mais elles paieront ce nouvel impôt.

On pourrait aussi citer le cas des sociétés d'investissement immobilier cotées, qui étaient exonérées de la taxe de 3 % mais seront imposables à ces deux nouvelles taxes, et celui des réseaux bancaires mutualistes, qui, souvent, ne distribuent pas de dividendes ou fort peu, et seront eux aussi frappées par lesdites taxes.

Ce PLFR violerait un deuxième principe constitutionnel : le principe de non-rétroactivité. En effet, il crée deux taxes manifestement rétroactives. Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère que la rétroactivité en matière fiscale est constitutionnelle sous deux réserves : le respect de la non-rétroactivité des sanctions fiscales plus sévères ; l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général. S'il n'y a pas de problème, en l'espèce, au regard de la première réserve, il y en a un au regard de la seconde, car le Conseil constitutionnel n'admet pas qu'un motif purement financier puisse justifier l'atteinte à des situations légalement acquises. Or tel semble être le cas, puisque, d'après l'exposé général des motifs, la création de ces deux nouvelles taxes a pour objectif d' « assurer le retour du déficit public sous le seuil de 3 % du PIB ».

Si le Conseil constitutionnel venait à considérer que l'article 1er du PLFR pour 2017 constitue en fait une loi de validation partielle, dans la mesure où il fait payer les nouvelles taxes, pour un produit de 5,4 milliards d'euros, à une partie des contribuables qui avaient déjà réglé la taxe de 3 % sur les dividendes entre 2013 et 2017, pour un montant de 10 milliards, les risques d'annulation seraient encore plus élevés. Or la présentation de cette mesure, qui aggrave les charges nettes des remboursements pour 223 entreprises et l'allège pour 95 autres, tend à montrer qu'il peut s'agir d'une loi de validation partielle.

Le texte pose un problème au regard d'un troisième principe constitutionnel : le droit de propriété. En effet, on peut se demander si l'article 1er n'aboutit pas à une pression fiscale dépassant le plafond constitutionnel de 70 à 75 % des revenus. Prenons le cas d'une société industrielle. Après application de l'impôt sur les sociétés majoré, il ne restera que 55,6 % du bénéfice avant impôt. Puis l'actionnaire paiera ensuite la CSG à 15,5 % et l'impôt sur le revenu, le cas échéant au taux maximal de 45 %. L'ensemble de ces impôts représentera alors 78,3 % du bénéfice avant impôt.

Enfin, ce PLFR pose un problème au regard du droit européen. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, on peut s'interroger sur la compatibilité des deux taxes qu'il crée avec les principes de libre circulation des capitaux et de non-discrimination entre les entreprises au sein de l'Union européenne. En effet, les groupes français fiscalement intégrés pourront compenser les déficits de leurs filiales avec les bénéfices de leurs autres filiales situées en France ou dans d'autres pays, puisque les deux taxes s'appliqueront sur un bénéfice consolidé, alors que les groupes dont la société mère est implantée dans un autre pays européen ne pourront pas imputer sur les bénéfices de leurs filiales françaises les déficits de leurs filiales situées dans un pays tiers.

J'en viens à mon avant-dernier point : …

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