Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du lundi 17 février 2020 à 16h00
Système universel de retraite — Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Après la procédure accélérée, la procédure tronquée : vendredi dernier encore, on nous annonçait quarante-six nouveaux amendements gouvernementaux de dernière minute, dont deux relatifs aux ordonnances – un projet de loi additionnel soumis en douce. Nous sommes dans une procédure d'exception qui sert un coup de force. Flagrant délit de précipitation !

Finalement, la Constitution aura été bafouée dans ses articles 34 et 39, dans son exigence de clarté, de sincérité et de sécurité juridique et financière et de respect des droits du Parlement. La fragilisation, voire la remise en cause des droits acquis qu'implique le projet de loi met à mal la conception constitutionnelle du principe d'égalité ainsi que les principes concernant les garanties dues aux travailleurs et travailleuses, énoncés au préambule. Flagrant délit d'inconstitutionnalité !

Aujourd'hui, le système offre des droits garantis pour lesquels on s'assure des ressources nécessaires. Si certaines pensions sont aujourd'hui insuffisantes et certains parcours mal pris en compte, le projet de loi veut passer à un système où les droits servent de variable d'ajustement au service d'une double règle d'or : baisser les dépenses tout en maintenant l'équilibre financier – un système où chacun compte ses points. L'âge de départ à taux plein est programmé pour reculer génération après génération, ce qui alimentera mécaniquement une baisse des pensions. La pension sera calculée sur toute la carrière, alors tout accident de parcours se paiera par un malus sur la retraite. L'objectif affiché est de voir plus de seniors plus longtemps dans l'emploi, les privant ainsi de leurs meilleures années de retraite ; quant aux autres, il faudrait qu'ils coûtent moins cher dès lors qu'un départ dans les conditions actuelles caractériserait, selon certains, une génération dorée, celle des nantis. C'est tout l'inverse de ce que défendait Jaurès en vantant « la magnifique idée d'assurance sociale, qui crée pour tous les salariés un droit certain », qu'il appelait à corriger et à perfectionner. Flagrant délit d'insécurité sociale !

Il s'agit donc bien d'une réforme d'austérité financière qui se grime. Aujourd'hui, on ne devrait pas modifier un critère comme vous l'avez fait : la réforme autorise un ajustement permanent des paramètres. Celles et ceux qui en auront les moyens sont ainsi encouragés à des démarches individuelles, jusqu'à la capitalisation, afin de nourrir les appétits destructeurs de la finance qui rôde, surtout depuis la loi PACTE. C'est tout l'inverse du cours de l'histoire qui a permis de réduire et de partager le temps de travail dans la journée, la semaine, la vie ; entre les femmes, les hommes, les générations. C'est tout l'inverse d'une dynamique visant à changer le travail et à en attaquer la pénibilité – que certains préfèrent ne pas voir – , plutôt que de le précariser et de le dégrader. Flagrant délit de régression sociale !

Meilleur pour les femmes ? C'est faux. Meilleur pour les précaires ? C'est faux. Meilleur pour les carrières plates ? C'est faux. Les seuls points positifs résident dans des corrections apportées au nouveau système pour en limiter les dégâts, mais celles-ci auraient pu être introduites dans le cadre actuel. C'est le cas, par exemple, pour les agriculteurs – mais la réforme laisse de côté les retraités actuels – ou pour la pension minimum que finalement le projet ne traite pas avec beaucoup d'ambition. Le régime général sera celui de l'exception individuelle, avec des inégalités sans justification, entre générations comme en leur sein. Ce système ne sera ni plus universel, ni plus juste, ni plus égalitaire, ni plus solidaire, ni plus lisible, ni plus sûr. Il sera plus économe – plus économe avec nos vies. Flagrant défaut de République !

On ne saurait agir avec autant de légèreté sur un sujet aussi sensible. On ne saurait légiférer sur nos retraites à la hâte, à la hussarde, à l'aveuglette – à moins de risquer le fiasco. On ne saurait voir bafouées autant d'institutions et de règles démocratiques. Enfin, on ne saurait décider contre le peuple au nom duquel nous sommes rassemblés. Depuis deux mois et demi, un mouvement clame avec détermination le refus d'une réforme dont chacun a compris la portée pour toute la vie. Cette réforme n'a pas de majorité populaire.

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