Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 31 octobre 2017 à 17h15
Commission élargie : finances - affaires économiques - développement durable - affaires étrangères

élisabeth Borne, ministre chargée des transports :

Je répondrai à M. Bothorel que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, il n'a pas été possible de dégager les 19 millions d'euros prévus pour 2017 mais non dépensés, faute de retour de la part de la Commission européenne. Nous ne pourrions y procéder que par le biais d'un abondement budgétaire. Cette question, dont je comprends qu'elle tienne à coeur à nombre d'entre vous, devra être réexaminée dans le cadre du comité interministériel de la mer.

Pour ce qui est de votre question, madame Bonnivard, sur la section transfrontalière de la ligne Lyon-Turin, traditionnellement, le Parlement ne vote pas le budget de l'AFITF. Je tiens donc à vous rassurer sur la poursuite des travaux en cours et, même si le budget de l'AFITF ne présente pas le détail des engagements, ces derniers seront bien tenus en 2018. Du reste, une mission conjointe de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) doit veiller à la réalisation de tous les engagements pris. Nous sommes en train de réfléchir, avec nos partenaires italiens, aux modalités de financement du projet et, ainsi que l'a évoqué Bertrand Pancher, à la façon dont nous allons répondre à nos engagements internationaux. Nous n'allons certes pas entamer ici un débat sur la ligne Lyon-Turin, mais je relèverai simplement que ce projet coûte très cher, comme a dû coûter très cher la construction du tunnel du Mont-Cenis. Si l'on peut s'interroger sur l'intérêt d'un tunnel de base, on peut aussi observer que deux tunnels de ce type ont été construits entre la Suisse et l'Italie, et un entre l'Autriche et l'Italie, et que le trafic a été divisé par trois sur ces axes au cours des dernières années. Il s'agit donc d'un investissement de très long terme ; aussi les modalités de financement devront-elles également obéir à une logique de long terme. C'est dans cet esprit que nous entendons, j'y insiste, respecter les traités internationaux. Je tiens également à vous rassurer sur le calendrier d'engagements des financements de l'Union européenne, calendrier que la commissaire aux transports Violeta Bulc m'a confirmé. Et cela vaut aussi pour le canal Seine-Nord : il y aura comme pour chaque programmation financière de l'Europe des délais supplémentaires et les dépenses pourront donc être payées jusqu'en 2023.

Comme vous le constatez, monsieur Pancher, nous menons des réflexions avec nos voisins sur la ligne Lyon-Turin, et par ailleurs, en lien avec les collectivités de la région Hauts-de-France, nous tâchons d'élaborer des montages pour financer le canal Seine-Nord, tout en veillant à ce que cela n'empêche pas la réalisation de tout autre projet.

En outre, compte tenu de la masse des projets prévus, il nous faut réfléchir autrement. En effet, l'impasse actuelle tient peut-être au fait que, par le passé, nous avons apporté des réponses trop systématiques : quand, par exemple, telle route nationale ne paraissait plus adaptée, plutôt que de réfléchir à son éventuel élargissement, nous avons construit une autoroute. Or j'ai pu mesurer, dans de précédentes fonctions, ce qu'on pouvait faire en modernisant des infrastructures. Si l'on veut éviter de désespérer tout le monde, il va falloir réfléchir autrement, et en particulier réfléchir aux améliorations rapides. C'est aussi ce que nos concitoyens attendent de nous : non pas que nous leur promettions un avenir radieux dans quinze ans, mais que nous soyons capables de nous remettre en question concernant les modes d'exploitation, la modernisation des infrastructures existantes. Nous parviendrons ainsi à améliorer la situation de tous les territoires, plutôt que de concentrer l'argent sur un très grand projet au détriment de tous les autres.

Dans le cadre des Assises de la mobilité, nous devrons définir le financement de solutions alternatives. Nous devrons raisonner en dehors des schémas traditionnels de la politique des transports. Je note que le covoiturage avec BlaBlaCar peut être soutenu au moyen de certificats d'économie d'énergie. Nous devrons par conséquent ouvrir en grand les fenêtres et chercher des financements innovants, non seulement pour les infrastructures mais aussi pour les services. J'espère que nous développerons des offres globales grâce auxquelles les Français – qui dépensent en moyenne, je le rappelle, quelque 3 000 euros par an pour leur voiture, tout en trouvant très cher un ticket de métro à 1,90 euro ou un abonnement mensuel à 73 euros… – pourront faire l'économie d'une voiture ou, tout au moins, d'une seconde voiture. Si nous pouvons faire en sorte que les Français réalisent des économies sur la possession d'une, voire de plusieurs voitures, ils pourront dégager des marges de financement pour les nouvelles mobilités. Les assises de la mobilité permettront d'approfondir notre réflexion en la matière.

Je tiens à rassurer Laurent Saint-Martin quant à la rénovation des réseaux franciliens. L'Ile-de-France, ce sont 15 millions de voyages par jour, donnée qui montre l'ampleur du défi à relever et qui explique que, lorsque la ligne A du RER est arrêtée, comme aujourd'hui, ce sont chaque jour 1,2 million de voyageurs que l'on ne parvient pas à « écouler ». Non seulement le projet du Grand Paris doit permettre un aménagement équilibré de l'agglomération parisienne, mais le contrat de plan État-région prévoit 7,5 milliards d'euros pour la modernisation des lignes de tramway et de métro, pour leur prolongement, pour les changements de matériels, en lien avec Ile-de-France Mobilités – sans oublier le milliard d'euros versé chaque année à SNCF Réseau et à la RATP pour la modernisation des réseaux existants. Les besoins sont en effet considérables en Ile-de-France, et les financements mobilisés visent bien à y répondre.

Pour ce qui est du dragage, j'ai eu l'occasion de le souligner lors de ma visite au Havre, nos ports doivent avoir pour objectif de jouer à armes égales avec les autres ports européens. Le code des transports prévoit que les missions régaliennes doivent être financées par l'État. Le projet de loi de finances prévoit donc l'engagement de 70 millions d'euros pour les dragages. Mais, là encore, à l'heure de la transition énergétique, il va falloir réfléchir au nouveau modèle économique de nos ports, dont les recettes ont jusqu'à présent été largement assises sur les hydrocarbures, voire sur les centrales à charbon. Dans cette perspective, l'État devra, j'y insiste, assumer ses responsabilités.

Monsieur Sermier, j'ai dû mal m'exprimer. Nous devons nous interroger sur la croissance continue de l'endettement de SNCF Réseau : 45 milliards d'euros, ce n'est pas rien – une dette qui augmente de 3 milliards d'euros par an ! Nous pourrions avoir la tentation d'augmenter les péages TGV : 70 % des dessertes sont déficitaires, alors même que nos concitoyens ont tendance à trouver les billets chers ; or en tant que ministre des transports, je souhaite que le TGV reste accessible à tous. J'ajoute que, lorsqu'on dépense des milliards d'euros pour construire des lignes à grande vitesse, on doit mettre en place une tarification des infrastructures de manière qu'elles soient utilisées au maximum de leurs capacités. On ne comprendrait pas une politique visant à étendre toujours plus le réseau à grande vitesse, avec toujours moins de TGV y circulant. Il faut en finir avec les injonctions contradictoires qu'on pourrait être amené à donner à l'une ou à l'autre de nos grandes entreprises publiques, et garder à l'esprit le choix fait depuis le début, qui consistait à ce que les TGV assurent la desserte non seulement des grandes métropoles, mais aussi des villes petites et moyennes. Or ce choix a un coût, et l'on ne peut raisonner en comparant notre situation avec celle des autres pays qui ont procédé à d'autres choix. Il est important d'avoir une approche globale qui tienne compte des dessertes, de la dette, des performances économiques – tout cela est lié. C'est le sens de la mission confiée à Jean-Cyril Spinetta, car il s'agit de prendre des décisions cohérentes.

Vous m'avez également interrogée sur le choix, pour l'ouverture à la concurrence, entre le modèle de la franchise et celui de l'open access. Nous devons nous montrer capables de rassurer quant au maintien d'un modèle de dessertes fines, ce qui suppose que soit traitée la question des 70 % de dessertes déficitaires, dans le cadre d'un système de péages qui gagnerait sans doute à être affiné. Toutefois, nous devons être conscients qu'aucun de nos voisins n'a fait le choix d'ouvrir son réseau à la concurrence sous forme de franchises – à l'exception du Royaume-Uni. Ce serait un mode beaucoup plus brutal que l'accès libre, surtout au moment où l'on ouvre les TER à la concurrence. J'ajoute que l'autorité britannique dispose d'environ 250 fonctionnaires, qui connaissent par coeur les franchises et sont capables de faire des propositions pertinentes sur les dessertes, ce qui n'est pas le cas de notre ministère des transports – et ce qui, du reste, n'est pas d'une importance primordiale.

Monsieur Saulignac, le dossier du contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise sera examiné lors des Assises de la mobilité et pris en compte par conseil d'orientation des infrastructures. Un grand débat va s'ouvrir sur le noeud ferroviaire lyonnais ; ce peut être l'occasion de réfléchir sur les hypothèses et les perspectives de trafic, bref : de repenser le système dans son ensemble.

Vous avez parfaitement raison, monsieur Zulesi : l'innovation est un enjeu de première importance. Nous sommes en effet en train de vivre une troisième révolution des transports après celle du chemin de fer au XIXe siècle et celle de l'automobile au XXe siècle. La présente révolution est sous-tendue par l'innovation technologique dans le domaine du numérique, grâce à laquelle nous pouvons nourrir l'ambition de mobilités plus propres, plus autonomes, plus connectées et plus partagées. La recherche et l'innovation ont fait l'objet de plusieurs programmes – je rappelle que les programmes d'investissements d'avenir (PIA) 1 et 2 prévoyaient qu'un milliard d'euros serait consacré au programme « Véhicule du futur ». Je confirme par ailleurs que le grand plan d'investissement prévoit 150 millions d'euros pour l'innovation : il s'agit de passer de la conception de dispositifs innovants au sein des instituts de recherche technologique (IRT) à leur industrialisation.

Il est important, je le répète, d'avoir une appréhension globale de la question : il ne faut pas penser les transports terrestres un jour, les transports maritimes le lendemain et le transport aérien le troisième jour. Des synergies restent à imaginer entre ces trois domaines : à côté du drone aérien – secteur dans lequel la France a bien progressé –, il y aura demain des drones marins. Il ne faut donc pas raisonner en « silo », et le cas de l'aéronautique est exemplaire : dans le programme 190, les 135 millions d'euros de crédits sont rétablis pour l'année 2018, avec un effet de levier considérable pour la filière.

Je retiens trois axes prioritaires.

Le premier est la mobilité propre. Nous devrons soutenir le développement des filières en France et accompagner nos industriels afin que, demain, ils produisent les bus, les poids lourds électriques ou roulant au bio-GNV. Il conviendra d'aborder ce point dans le cadre des assises de la mobilité mais aussi dans celui de la réflexion sur la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et sur la stratégie nationale bas-carbone.

Nous avons également proposé une stratégie nationale sur le véhicule autonome, mode de transport qui pourrait constituer une réponse pour les territoires où aucune autre solution n'existe que la propriété de la voiture individuelle.

Le troisième axe concerne l'impact du numérique sur les transports publics et, à condition de poursuivre la logique de mise à disposition de toutes les données liées au transport – et pas seulement les données concernant les transports publics –, la possibilité pour chacun de se déplacer sur le territoire en programmant son voyage en un seul clic et en payant le tout également en un seul clic. Nous disposons d'opérateurs de transport de premier plan et il est impératif, si nous ne voulons pas être rétrogradés au plan mondial, que la France défende l'innovation en matière de nouvelles mobilités.

Le bilan du TGV est satisfaisant lorsqu'on le compare à celui de la voiture ou de l'avion. J'observe toutefois que ce bilan ne prend pas en compte le coût de la construction de la ligne ; je considère par ailleurs que le bilan carbone mériterait d'y être intégré, car l'amortissement ne peut se réaliser que sur de longues années afin que la charge supportée par chaque voyageur ne soit pas excessive.

Je ne répondrai pas sur le Grand Paris Seine-Ouest (GPSO), car je mesure la sensibilité de ce sujet, dont nous aurons l'occasion de rediscuter avec l'ensemble des acteurs concernés. Pour répondre à la question de Valérie Rabault, je confirme qu'il est possible de réfléchir à des montages équivalents à celui retenu pour la Société du Grand Paris (SGP),pour le canal Seine-Nord ou la liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Nous cherchons ainsi tous les modes de financement innovant, sans pour autant perdre de vue les besoins des territoires. Toutefois, il ne faut pas investir toutes les ressources dans les lignes à grande vitesse au détriment du désengorgement des gares de TER, du désenclavement de certaines zones ou de la mobilité dans des territoires où des Français sont quasiment assignés à résidence.

À M. Aubert, je répondrai que je considère que tous les territoires ont droit à un service de transport placé sous l'autorité d'une collectivité publique ; pour autant, je ne suis pas sûre que la réponse doive être partout celle du service public ferroviaire. Si nous voulons gérer au mieux les ressources de l'État, ou des collectivités locales lorsque tel est leur choix –car c'est aux autorités organisatrices que sont les régions de choisir si elles souhaitent maintenir des dessertes ferroviaires ou routières, sujet sur lequel je me garderai bien de donner des conseils —, il faut conserver à l'esprit que nos concitoyens attendent un service. Aussi, en fonction des besoins en trafic, il peut être beaucoup plus intéressant de disposer de cinq minibus que d'un train peu rempli.

Je partage le point de vue de M. Simian : nous devons réfléchir dès à présent à la fin des concessions. La situation de la France est atypique puisqu'elle dispose de 8 000 kilomètres de réseau routier à péage, le reste étant concédé gratuitement, et que nos voisins ignorent une telle dualité. Je confirme que, dans le cadre des travaux du Conseil d'orientation des infrastructures, une réflexion devra porter sur la façon de faire converger ces deux modes d'exploitation, sans toutefois que les recettes provenant du réseau concédé soient perdues.

Au demeurant, la loi française ne sera pas la seule, demain, à définir le taux de péage assis sur les autoroutes amorties, car les autorités européennes pousseront nécessairement à sa baisse, même si le dispositif « Eurovignette » peut permettre la prise en compte de certaines externalités. Bien que l'arrivée à échéance des concessions ait été repoussée, la réflexion doit être menée dès à présent.

La question de M. Jean-Louis Bricout montre à quel point nous devons nous préoccuper de la modernisation et de l'entretien de notre réseau routier national. Je ne souhaite pas que se reproduise la situation du réseau ferré, pour la régénération duquel 3 milliards d'euros sont dépensés chaque année : parce nous l'avons laissé se dégrader, nous éprouvons de grandes difficultés à rattraper notre retard.

Je suis par ailleurs tout à fait favorable au développement du réseau fluvial en partenariat avec les collectivités territoriales ; les réseaux secondaires répondent davantage à une logique de biodiversité, de gestion hydraulique ou de développement touristique.

À Matthieu Orphelin, je confirme qu'un dispositif de soutien au vélo à assistance électrique est à l'étude ; l'aide précédemment mise en place a favorisé le décollage des ventes, et doit maintenant être réorientée en complémentarité avec l'action des collectivités locales. Le produit du système de bonus-malus assurera le financement de cette opération.

Les Assises nationales de la mobilité fourniront l'occasion de conduire une réflexion sur la politique du vélo, et la détermination de l'indemnité kilométrique pour ce mode de transport n'est pas simple. La réflexion doit encore porter sur les garages sécurisés, les pôles d'échange multimodaux et les voies réservées aux cyclistes.

Je confirme à Valérie Rabault que nous ne pouvons pas refuser à d'autres programmes le montage sous forme de société de projet que nous avons accepté pour le canal Seine-Nord.

S'agissant enfin des recettes de l'AFITF, elles sont inscrites dans la partie « recettes » du PLF pour un montant de 2,4 milliards d'euros.

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