Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mardi 31 octobre 2017 à 17h15
Commission élargie : finances - affaires économiques - développement durable - affaires étrangères

Sébastien Lecornu, secrétaire d'état auprès du ministre de la transition écologique et solidaire :

Malheureusement, monsieur Thiébaut, les questions climatiques se mesurent souvent – et parfois cruellement – à l'aune d'indicateurs concrets dont certains figurent dans l'Accord de Paris : ainsi la mesure du réchauffement climatique et la quantification des tonnes de CO2 évité pour mesurer la performance énergétique, par exemple. Mme Pompili vous dira que toutes les mesures de recensement de la biodiversité permettent d'établir des tendances de reproduction ou de disparition de telle ou telle espèce. Autrement dit, le volet scientifique est très important. S'il existe un domaine dans lequel l'établissement de statistiques est cartésien, c'est bien la production énergétique : dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, la répartition entre énergie électronucléaire, énergies fossiles et énergies renouvelables ne ment pas, non plus que le rapport entre les objectifs fixés et les objectifs atteints. Votre question pourrait susciter de longues et passionnantes digressions scientifiques, mais nous devons aller à l'essentiel. Je rappelle le green deal que le ministre d'État a proposé tout à l'heure devant l'Assemblée nationale, qui doit s'appuyer tout à la fois sur des objectifs ambitieux et sur des évaluations.

Je comprends votre impatience de découvrir ce budget, monsieur Sermier ; vous en semblez déçu, ce qui ne me surprend pas outre mesure… Je vous suggère de l'examiner sous le prisme le moins politicien qui soit – je vous en sais capable, car vous êtes un député chevronné, doté de surcroît de solides qualités humaines. Un examen technique approfondi vous révélera que la TGAP ne donne lieu à aucun tout de passe-passe. Lorsque l'ADEME ne peut pas déclencher le versement des subventions dès le mois de janvier ou février parce qu'elle ne perçoit le produit de la TGAP que plus tard dans l'année, que cela lui crée des problèmes de trésorerie énormes et qui retardent les projets d'autant, il n'y a aucun tour de passe-passe : nous réintégrons la subvention de l'ADEME dans le budget de l'État, lequel récupérera le produit de la TGAP. Cela permettra à l'ADEME de fonctionner dès le 1er janvier ; c'est une mesure technique, et non politique, sur laquelle nous devrions pouvoir nous rejoindre. Il n'y a de tour de passe-passe ni politicien ni budgétaire concernant l'ADEME, bien au contraire : ses crédits augmentent réellement entre autorisations d'engagement et crédits de paiement.

De même, parler de tour de passe-passe, ce n'est pas gentil pour le chèque-énergie… Cette mesure plutôt consensuelle touche tout de même quatre millions de Français ; c'est loin d'être négligeable ! En outre, elle apporte une réponse à la ruralité, car on sait bien que la misère énergétique se concentre en grande partie en milieu rural, parce que la politique de la ville a permis des aménagements dans les quartiers et que les grands opérateurs de l'État comme l'ANAH ont déployé leurs premières délégations d'aides à la pierre dans les grandes communautés d'agglomération plus que dans les communautés de communes rurales.

Autrement dit, toutes les mesures concernant le Grand plan d'investissement, le chèque-énergie mais aussi – j'en profite pour vendre mes bébés – les contrats de transition écologique, qui s'adresseront aussi au monde rural, sont des outils importants pour la ruralité. Vous savez, monsieur le député, combien je suis vigilant sur le sujet : nous n'oublions pas les territoires ruraux dans ce budget. Certains sont prompts à donner des mauvais points au chef de l'État en l'accusant de ne pas aimer la province, mais je vous sais lucide dans vos analyses : vous verrez dans ce budget tout l'effort que nous consentons.

Mme Borne a dû vous répondre, monsieur Millienne, sur la baisse des effectifs de Voies navigables de France ; je n'empiéterai pas sur ses prérogatives. La diminution des crédits de l'après-mines, en revanche, s'explique de manière très simple : le nombre des ayants droit commence à baisser, d'où la diminution qui apparaît dans le document budgétaire.

Quant au prélèvement de 200 millions d'euros sur les agences de l'eau, dont 30 millions sont destinés à l'Agence nationale de la biodiversité et à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, il laisse tout de même un morceau disponible de 1,9 milliard d'euros… La question qui se pose ensuite est celle des priorités des agences de l'eau, avec leur onzième programme d'investissements. Je ne dis pas qu'il ne faudra pas ouvrir dans les années qui viennent le débat sur la hiérarchisation de leurs priorités, par exemple autour des questions liées à la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI) ; j'y suis même très ouvert. Cela étant, les agences de l'eau ont une trésorerie disponible de 700 millions d'euros – et encore une fois, en tant qu'élu local, je suis très attaché à la gouvernance de l'eau telle qu'elle existe.

Je vous remercie, monsieur le député Pancher, pour votre concision et pour les différents points que vous avez abordés : la prime à la reconversion, le chèque-énergie et, surtout, la fiscalité carbone. Vous avez le courage de dire haut ce que tout le monde pense tout bas. Tous les candidats à l'élection présidentielle, sans exception, prévoyaient de faire payer le coût du carbone pour ce qu'il coûte vraiment. Certains, dans l'hémicycle ou dans les médias, critiquent l'augmentation du diesel malgré les 40 000 décès prématurés par an et, depuis l'action de M. Chirac et celle de M. Sarkozy, ceux qui appartiennent – ou appartenaient, dans mon cas, mais nous verrons – à une certaine famille politique ont toujours affirmé que l'on ne pouvait ni dire ni faire n'importe quoi ; je vous remercie donc pour votre honnêteté intellectuelle. La trajectoire carbone était quelque chose qui faisait consensus pendant la campagne électorale. Certes, les uns ne voulaient l'appliquer qu'aux transporteurs et les autres d'une manière différente, mais la décision de faire payer le carbone – qui est la seule méthode pour nous en sortir face au réchauffement climatique et préserver la santé de nos concitoyens – est malheureusement un mal par lequel il faut passer, et nous l'assumons pleinement.

Les faiblesses que vous indiquez ne sont pas fausses. Il faut en effet éviter les yo-yo fiscaux sur les crédits d'impôt. Vous me donnerez crédit d'essayer, en début de quinquennat, d'adapter courageusement ces dispositifs en privilégiant leur performance et leur efficacité. Sauf si une évaluation établissait qu'ils ne fonctionnent pas, auquel cas il ne faudrait pas s'entêter, il conviendra de les stabiliser, et j'invite le Parlement à nous y aider.

Il en va de même des agences de l'eau : nous devrons stabiliser la vision stratégique de ce qui est attendu d'elles et le fait de les faire financer l'ONCFS, l'AFB et les parcs naturels est précisément une source de stabilisation. J'en ai longuement discuté avec le président Sauvadet, dont chacun sait qu'il s'implique beaucoup sur ces questions.

Mon explication concernant le Fonds chaleur est peut-être un peu « techno », mais elle n'en est pas moins fondée sur la réalité : le Fonds chaleur est un fonds de compensation qui vise à rendre un investissement compétitif. Il ne faut pas regarder cette ligne budgétaire isolément car elle n'est pas absolue mais relative, dans la mesure où la trajectoire carbone modifie les paliers de déclenchement de compétitivité des investissements. Certes, en valeur absolue, l'augmentation n'est que de 5 millions d'euros, mais l'augmentation du nombre ou de la dimension des projets de l'ADEME concernant le Fonds chaleur sera autrement plus importante. C'est l'effet positif de la hausse de la fiscalité carbone. On peut jouer sur deux outils pour rendre les choses compétitives : la valeur de référence et la variation du niveau de déclenchement de la compétitivité. Sans trahir de secrets, le projet de loi de finances rectificative présentera un solde positif du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » non pas parce qu'il a été sous-consommé par rapport aux objectifs initiaux, mais parce que le prix de l'électricité est suffisamment élevé pour garantir une trajectoire positive. Je vois M. Coquerel se moquer de mes mouvements de mains, mais j'essaie de faire preuve d'autant de pédagogie que possible sur ces sujets très techniques…

Je suis navré d'avoir dû me passer de vos louanges, monsieur Bouillon, et je ne pourrai user de la prérogative qu'ont les membres du Gouvernement de parler sans limite pour vous les retourner de crainte de fâcher définitivement nos présidentes. Le débat sur les plafonds « mordants » a déjà eu lieu dans l'hémicycle il y a une dizaine de jours. Un choix a été fait et nous verrons comment il évolue au Sénat – à cet égard, j'invite les présidents de commissions des deux chambres à en parler ensemble. L'enjeu majeur est celui de la stabilisation.

L'appel à projets concernant les territoires à énergie positive (TEPOS) et les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV), auquel s'ajoutent quelques autres outils proposés aux collectivités territoriales, porte au total l'engagement de l'État à 700 millions d'euros environ. J'ai la faiblesse de penser que cet engagement est assis sur une base légale et, en tant qu'élu local, j'aime que l'État tienne parole. Je serais donc malhonnête en vous disant que je change d'avis. Cela étant, la ministre Ségolène Royal a visiblement – et même certainement – engagé plus de dépenses qu'elle n'avait argent ; c'est un fait, qui repose le problème de la sincérité budgétaire. L'écart est tout de même conséquent : il manque 350 millions d'euros – c'est une somme, même si cela n'a rien à voir avec les 10 milliards des taxes sur les dividendes. Comme nous sommes attachés au respect de la parole de l'État, il n'est pas question d'abandonner les collectivités territoriales en rase campagne ; je ne le souhaite pas davantage que Nicolas Hulot ou le Premier ministre. Nous avons donc interrogé les préfets par une circulaire du ministre d'État afin d'examiner le niveau d'avancement de l'ensemble des projets, non seulement pour des raisons d'annualité budgétaire, mais aussi – je le sais par mon expérience d'élu local – parce que tous les projets n'en sont pas au même stade d'avancement. Certains ont même été abandonnés – j'ai un ou deux exemples en tête en Normandie – parce que les appels à projets créent des effets d'aubaine et des appels d'air auxquels les élus locaux répondent parfois, mais aussi en raison de décisions budgétaires locales, de problèmes d'ingénierie territoriale, les collectivités étant ce qu'elles sont, ou de modifications des périmètres des intercommunalités. Ce problème n'a d'ailleurs pas été assez anticipé : certains projets engagés par des EPCI en maîtrise d'ouvrage propre ont été abandonnés ou mis de côté en raison des fusions résultant de la loi NOTRe. Pour l'heure, nous en sommes à faire un mapping, une photographie de la situation pour savoir où nous en sommes, et nous employons à trouver avec Bercy la solution la plus sincère possible. Je vous réponds avec beaucoup de spontanéité : l'État n'a aucune intention de manquer à sa parole, mais les projets doivent être réalisés avec de l'argent réel et, pour ce faire, ils doivent rencontrer les financements disponibles.

Monsieur le député Prud'homme, quand je parlais de « touiller », il y avait aucune intention irrespectueuse à l'adresse de M. Coquerel ; mais si vous l'avez mal pris, je m'en excuse. Cela étant, les autorisations d'engagement ne sont pas les crédits de paiement, c'est la base de la réalité budgétaire « lolfique ». Je ne peux pas vous laisser dire, même si vous m'êtes sympathique, que les budgets de l'ADEME ou du fonds chaleur diminuent, ni que les moyens sur la sûreté nucléaire diminuent : rien de tout cela n'est vrai.

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