Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du vendredi 3 novembre 2017 à 9h05
Commission élargie : finances - affaires culturelles

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale :

Je commencerai par la question de M. Testé sur la poursuite de la hausse du budget de l'éducation nationale au cours de ces prochaines années. Les précisions en la matière viendront en leur temps, mais je peux d'ores et déjà indiquer que nous avons établi un plan pluriannuel prévoyant une augmentation raisonnable. Elle sera en tout cas importante pour l'année 2019, puisque d'environ 777 millions d'euros – voilà qui donne une idée de l'évolution tendancielle que nous souhaitons.

Je prends très au sérieux la donnée que j'ai rappelée tout à l'heure : en France – quand on la compare aux pays qui lui sont comparables –, l'enseignement du premier degré souffre clairement d'un sous-investissement. C'est pourquoi les efforts budgétaires nouveaux se concentrent, malgré, évidemment, quelques exceptions, sur le premier degré qui du reste est une priorité en soi puisqu'il conditionne la réussite de l'élève dans le secondaire. Je note d'ailleurs que c'est là un sujet assez consensuel, même quand je l'évoque avec les acteurs du second degré, chacun comprenant bien que nous avons tous intérêt à ce que les élèves arrivent en sixième forts de savoirs consolidés. C'est donc, sur un plan budgétaire qualitatif, le sens de toute ma démarche : faire des efforts budgétaires, je le répète, raisonnables, c'est-à-dire conformes à ce que la situation budgétaire permet, ces efforts restant concentrés sur l'enseignement primaire.

M. Reiss a évoqué le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des personnels, rapport que j'ai examiné très attentivement. Nous allons évidemment renouveler notre politique en la matière. Vous avez d'ailleurs peut-être noté que nous avons un nouveau directeur de la gestion des ressources humaines au ministère. Nous allons bientôt entamer des séries de discussions avec les syndicats. Nous entendons nous montrer beaucoup plus humains, précisément – un peu dans l'esprit de ce qu'on vient de faire pour l'évolution de l'enseignement supérieur. La machine ne règle en effet pas tout, et cette humanisation des pratiques, très importante, doit être réalisée au plus près du terrain. Plus généralement, la relation homme-machine, au moment où nous constatons les progrès considérables de l'intelligence artificielle, devient la question clé de notre société. En effet, soit nous nous laissons enfermer dans des algorithmes que nous ne maîtrisons plus, soit nous introduisons de l'humanité dans la matière la plus humaine qui soit : l'éducation. Et les professeurs, tous les professeurs, ont soif de ce renouveau d'humanité dans la gestion des choses. C'est certes plus facile à dire qu'à faire, et j'en discuterai avec tous les partenaires pour y parvenir, mais voilà en tout cas l'esprit dans lequel nous allons travailler. Nous ne resterons pas inertes et, bien entendu, demeurerons attentifs aux analyses de la Cour des comptes.

Cette dernière, d'ailleurs – comme plusieurs députés –, a relevé la trop grande faiblesse de la formation continue. J'accepte tout à fait ce diagnostic. Cela suppose qu'on ait une vision de la quantité de formation continue, mais aussi de sa qualité. Je note, par exemple, que les académies confient très peu leur formation continue aux écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), ce qui confirme que nous devons faire évoluer ces dernières pour qu'elles inspirent davantage confiance. Et le jour où les académies confieront leur formation continue aux ESPE, nous aurons franchi un cap. Nous allons donc travailler dans un sens constructif afin de doter les ESPE d'un système de formation robuste qui permettra d'avoir une vision pluriannuelle du travail du professeur et de sa formation continue. Cela participera de la valorisation qui n'est pas seulement un problème salarial, mais aussi une question qualitative, celle, notamment, du bonheur au travail.

En ce qui concerne la filière professionnelle, vous avez raison, et si Mme Pénicaud y revient souvent, c'est bien le signe d'une coopération inédite entre le ministère du travail et celui de l'éducation nationale, coopération qui doit contribuer à l'évolution de nos diplômes, de façon qu'ils soient le mieux conçus pour l'insertion professionnelle des élèves qui suivent la voie professionnelle. Nous avons beaucoup travaillé sur l'attractivité de cette dernière. Il s'agit de lancer le message d'avenir le plus positif possible. En effet, en harmonie avec ce que nous allons faire pour l'apprentissage, l'idée est de proposer pour l'enseignement professionnel tout un choix de nouvelles thématiques qui fassent envie aux élèves et qui, d'autre part, correspondent à des besoins de la société et de l'économie. Je pense à la transition numérique, à la transition écologique, à l'entrepreneuriat, à l'artisanat, aux savoir-faire à la française, mais aussi aux métiers du sport – nous sommes en train d'y travailler… Tous ces sujets, j'y insiste, font envie, correspondent à des besoins, à des compétences qui évolueront considérablement cours des prochaines décennies. Il faut donc bâtir un socle pour les élèves.

Monsieur Garcia, vous m'avez interrogé sur l'évolution des recrutements. C'est bien sûr pour moi un sujet de préoccupation, mais comme cela l'est pour de nombreux pays qui, comme le nôtre, cherchent à se montrer capables d'attirer des étudiants de qualité dans les matières mathématiques et scientifiques. Il faut donc avoir une vision très volontariste et très « objectivante », si j'ose dire, de cette question qui revêt plusieurs dimensions.

Pour moi, le premier outil, mais non le seul, c'est le pré-recrutement. Nous devons prévoir des bourses pour des élèves qui ont une vocation pour le professorat, éventuellement dès le secondaire, et en tout cas au début du supérieur. Les assistants d'éducation, dont je parlais tout à l'heure, est déjà un important début de réponse, et je réponds ainsi à cet aspect de la question de Mme Faucillon.

Ce que nous devons viser, bien entendu, c'est la robustesse du système, sa qualité. Recruter des contractuels ne saurait être un but, même si l'on peut imaginer que l'accès à l'emploi se fasse par la voie contractuelle. C'est ce que nous allons faire, par exemple en Guyane, d'où je reviens et où nous avons besoin de procéder de cette façon-là pour être pragmatique et efficace.

Notre but, naturellement, est d'avoir une immense majorité de professeurs qui soient des titulaires bien recrutés, bien formés, heureux dans leur travail, avec des perspectives de carrière et de mobilité. Tout est lié : l'attractivité, la question salariale, celle de la formation continue, mais aussi celle des perspectives de carrière. C'est pourquoi la politique générale de ressources humaines prévoira des prises de responsabilité plus importantes qu'aujourd'hui, correspondant à des rémunérations supplémentaires, donc à des améliorations du pouvoir d'achat. Nous ouvrirons aussi les carrières, en prévoyant les formations nécessaires.

Il y a également la question des secondes carrières, qui est extrêmement importante, et ce dans les deux sens, qu'il s'agisse des professeurs qui veulent se réorienter vers une seconde carrière – ce que nous devons faciliter, car cela peut rendre attractif le métier de professeur – ou, inversement, des gens qui veulent, par exemple vers l'âge de quarante ans, rejoindre l'Education nationale. Ils – et elles – sont nombreux dans ce cas, et apportent une réelle valeur ajoutée : il y a, par exemple, des ingénieurs qui veulent devenir professeurs de mathématiques ou de sciences. C'est évidemment une très bonne chose, que des dispositifs viendront encourager.

L'apprentissage des langues est également une question très importante, qui fera l'objet de travaux prochainement. La future réforme du baccalauréat permettra des évolutions, car elle aura un impact en amont. Je pense que nous devons aussi nous diriger vers des logiques certificatives à l'intérieur du système, afin que nos élèves aient un niveau de langue « garanti », en quelque sorte, dans deux langues étrangères au moins. Nous allons en outre consolider ce qui est en vigueur pour l'apprentissage des langues dans l'enseignement primaire, notamment le recours à des locuteurs de langue maternelle.

Madame Descamps, je vous remercie pour ce que vous avez dit au début de votre propos. Je suis d'accord avec vous sur le fait que les auxiliaires de vie scolaire (AVS) sont en situation précaire, et le sens de la politique générale que nous menons est justement de réduire progressivement la part des emplois aidés dans ce domaine pour leur substituer progressivement des recrutements d'AESH, ce qui devrait plutôt faire consensus. Cela m'amène à la deuxième partie de ma réponse à votre question. Les AESH ont actuellement des contrats d'un an, renouvelables pendant six ans, et nous souhaitons aller vers la pérennisation de ces postes, éventuellement vers la titularisation pour ceux et celles d'entre eux qui le peuvent et le méritent. C'est une chose à laquelle la ministre en charge du handicap, Mme Cluzel et moi-même, sommes ouverts.

De façon plus générale, la formation, tant initiale que continue, des intervenants dans le domaine du handicap sera approfondie et élargie, en particulier s'agissant des enseignants. Nous avons la conviction que la formation que nous sommes susceptibles de donner pour l'accompagnement des élèves en situation de handicap est de toute façon utile pour un autre sujet que vous avez soulevé, à savoir la pédagogie personnalisée, quels que soient les élèves à qui elle est destinée. Nous allons donc beaucoup travailler dans cette direction.

C'est un sujet fortement interministériel, et le fait d'avoir, dans un gouvernement restreint, une ministre en charge du handicap est évidemment un atout pour son traitement, car elle en veille permanente sur cette question. Nous en parlons chaque semaine de manière approfondie, et nous allons progresser, notamment en prenant en compte les progrès scientifiques et technologiques, qui permettent beaucoup d'innovations efficaces.

Madame Pau-Langevin, je vous remercie à votre tour pour ce que vous avez dit au début à propos de l'augmentation du budget. Vous parlez cependant de « rupture » avec le quinquennat précédent. Peut-être est-ce le cas : il va de soi, en tout état de cause, qu'on ne peut pas prolonger les courbes à l'infini, et je ne crois pas que créer chaque année 10 000 ou 15 000 postes dans l'éducation nationale, quel que soit le jugement qu'on porte sur les politiques passées, soit la solution. Ce qui est important, c'est que nous restions néanmoins dans une perspective de croissance budgétaire, comme vous le voyez, et que, à l'intérieur de cette croissance budgétaire raisonnable, nous soyons concentrés sur les aspects qualitatifs de ce budget.

Si je n'ai jamais pensé que les créations de postes soient la solution miracle – il arrive même que ce ne soit pas du tout la solution –, il est en revanche évident à mes yeux que nous devons dépasser ce débat pour aborder celui de la formation, initiale et continue, et celui de la qualité du recrutement. Nous avons aujourd'hui plus de 850 000 professeurs, nombre comparable, voire légèrement supérieur, à ce que l'on peut observer ailleurs, à population scolaire égale. S'y ajoute un million de personnels de l'éducation nationale, le tout pour douze millions d'élèves. C'est un ratio qui est tout à fait raisonnable aujourd'hui, mais la répartition n'est pas forcément ce qu'elle devrait être, d'où les enjeux de la réorganisation.

Dans le second degré, les 2 600 emplois supprimés correspondent à des postes qui ne sont plus ouverts au concours. Il est donc tout à fait exact de relever que nous actons la crise du recrutement dans un certain nombre d'endroits, mais je préfère, au nom de la lucidité et du pragmatisme, acter cette crise du recrutement et éviter de recruter des gens qui vont rester professeurs de mathématiques pendant quarante ans en ayant eu une moyenne de six ou même de trois sur vingt au CAPES. Je souhaite rechercher une réponse structurelle au problème, plutôt que de continuer à ouvrir des postes qui, soit ne sont pas pourvus et sont donc source d'insincérité budgétaire, soit sont pourvus dans des conditions dégradées, ce qui n'est absolument pas souhaitable pour la qualité du système français.

C'est donc un choix à la fois rationnel et pratique qui est fait. Rationnel, parce que nous concentrons l'augmentation des moyens sur le premier degré, tout en actant le problème de recrutement dans le second degré et en essayant de le résoudre à la racine. Nous stabilisons ainsi le nombre d'enseignants dans le second degré, sans que cela se traduise concrètement par aucun enseignant en moins, mais plutôt par une politique renouvelée, je le reconnais bien volontiers, de recrutement et de gestion des ressources humaines.

Vous dites de la mesure de dédoublement des classes de CP en REP qu'elle se fait au détriment du dispositif « Plus de maîtres que de classes ». Ce n'est pas tout à fait exact ; le dispositif en question a été maintenu à près de 70 %. Nous lui laissons ainsi le moyen de prouver son efficacité, notamment à travers l'évaluation qui sera conduite à la fin de cette année scolaire et au cours des prochaines années.

Comme vous le savez, les différentes études internationales sur les dispositifs du type « Plus de maîtres que de classes » et sur ceux du type « dédoublement » montrent, à ce stade, l'incontestable supériorité des seconds, qui produisent des effets, tandis que les premiers, pour l'instant, n'en ont pas montré. Si j'avais une approche dogmatique, cela m'aurait conduit à supprimer le dispositif « Plus de maîtres que de classes ». Je pense qu'il faut au contraire l'évaluer et, en fonction de cette évaluation, aller de l'avant. Mais ce qui compte, encore une fois, c'est d'opter pour des dispositifs en fonction de leur efficacité démontrée. Pour l'instant, en tout cas, les deux dispositifs coexistent, et coexistent bien. Notre but, c'est de tenir l'objectif de réussite de 100 % des élèves au CP.

Sur la semaine de quatre jours, j'ai déjà répondu devant le Sénat la semaine dernière. Là encore, je vous renvoie aux études disponibles. Quand je suis arrivé, j'ai trouvé sur mon bureau une étude de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), commandée par ma prédécesseure, et qui montrait que le fait que la semaine soit de quatre jours ou de quatre jours et demi n'avait pas d'impact sur la performance des élèves.

Encore une fois, je demande que l'on dépasse des débats qui, au fond, n'ont pas un réel intérêt, car ce qui compte, ce n'est pas les tuyaux, mais ce qu'il y a dans les tuyaux. La situation que j'ai trouvée, permettez-moi de vous le dire, n'était absolument pas une situation d'égalité, ne serait-ce que parce que les rythmes choisis par les différentes communes de France à la suite du décret Hamon n'étaient pas les mêmes – beaucoup avaient d'ailleurs libéré non pas le mercredi, mais le vendredi après-midi. C'était même une situation profondément inégalitaire, avec des communes qui, quelle que soit leur taille – mais c'était surtout vrai pour les plus petites –, n'avaient pas été en situation de proposer une offre de qualité pour les enfants. Or, si l'on va au-delà des apparences et que l'on veut vraiment l'égalité entre les élèves, on doit être très attentif aux enjeux de qualité. Cela suppose que les acteurs, sur le terrain, soient satisfaits de l'organisation qu'ils ont, qu'ils la choisissent eux-mêmes, qu'ils prennent leurs responsabilités. C'est le sens de la mesure que nous avons prise.

Il n'y a aucune incitation à passer à quatre jours, puisque le fonds de soutien aux communes pour les activités périscolaires est maintenu pour les seules communes qui restent à quatre jours et demi. Il y a donc, au contraire, une incitation, pour celles qui réussissent, à se stabiliser. C'est une démarche pragmatique, qui souligne ce qui va bien – et il y a, bien entendu, des choses positives liées au passage à quatre jours et demi pour les communes et les collectivités éducatives qui l'ont bien réussi. Mais il y a aussi des choses négatives. Eh bien, nous gardons le positif et nous corrigeons le négatif. Il y aura un « plan mercredi », qui permettra d'observer, d'un point de vue qualitatif, ce qu'il se passe pour les uns et pour les autres le mercredi, afin qu'il y ait une bonne articulation du temps scolaire et du temps périscolaire.

Madame Rubin, vous m'avez demandé comment assurer les remplacements, et vous avez eu raison, car cette question est l'une des plus importantes. Actuellement, nous n'y répondons pas de façon suffisamment satisfaisante. Cela nous renvoie à un certain nombre de problèmes, y compris celui des causes de l'absentéisme et celui de notre réactivité par rapport à l'absentéisme. La vérité est que nous sommes plutôt bons sur le remplacement de longue durée, et assez mauvais sur le remplacement de courte durée. C'est donc sur ce point que nous devrons concentrer nos efforts.

Par ailleurs, notre politique ne vise pas du tout à développer le recours à des contractuels au détriment des titulaires. Simplement, il y aura toujours, dans notre système, un volant de contractuels pour assurer certaines missions qui doivent l'être.

Vous m'avez aussi interrogé sur notre politique de lien avec l'enseignement supérieur. Vous avez sans doute les annonces que Mme Vidal et moi avons faites cette semaine. Elles sont très importantes et correspondent à des moyens supplémentaires, qui relèvent pour une bonne partie du budget de l'enseignement supérieur : un milliard d'euros, comme vous l'avez vu.

Cette politique d'orientation a une dimension de court terme et une dimension de long terme. Les capacités ont été renforcées dès cette année en terminale, avec deux professeurs principaux au lieu d'un dès ce mois de novembre et des moyens supplémentaires à cette fin. Chaque professeur principal aura la même indemnité de suivi et d'orientation (ISO). Cela doit nous permettre une approche bien plus humaine et plus personnalisée de l'orientation. De même, la mobilisation des conseils de classe et des centres d'information et d'orientation (CIO) en terminale sera assurée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.