Intervention de Didier Quentin

Séance en hémicycle du mardi 7 novembre 2017 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons déjà été bien informés sur le budget que le Gouvernement propose pour nos armées en 2018. Je me contenterai donc de quelques observations qui vous apporteront l'éclairage d'un membre de la commission des affaires étrangères, tant les liens entre diplomatie et défense sont étroits, sans avoir à se référer à Clausewitz…

Je me réjouis que la trajectoire budgétaire soit enfin orientée résolument à la hausse. Le cheminement vers les 2 % du PIB, soit 50 milliards d'euros en 2025, constitue en effet un impératif de crédibilité en matière militaire, mais aussi pour notre action extérieure. L'effort annoncé devrait permettre de combler une usure et des lacunes parfois préoccupantes. Une augmentation des crédits de 1,7 milliard d'euros par an ne sera peut-être même pas suffisante, dans le contexte du renouvellement de la dissuasion nucléaire. À cet égard, il sera utile d'avoir une meilleure visibilité sur l'ampleur de cet effort de renouvellement au cours des prochaines années. Je souhaite que le débat sur la loi de programmation militaire nous permette d'avoir un échange ouvert à ce sujet.

Comme mon collègue François Cornut-Gentille, j'émets quelques réserves sur la réalité de l'effort affiché de 1,8 milliard d'euros pour 2018, compte tenu du report de charges considérable induit par les annulations de crédits opérées en 2017, dont il n'a pas toujours été possible d'obtenir un montant certain. J'espère que l'effort de sincérité budgétaire mis en avant par le Gouvernement avec la rebudgétisation progressive des surcoûts liés aux opérations extérieures ira de pair avec une grande rigueur dans l'exécution, afin que les crédits que nous voterons soient effectivement ceux dont disposeront nos armées.

J'en reviens à l'avis budgétaire que j'ai rédigé pour la commission des affaires étrangères, dont j'ai consacré la majeure partie aux enjeux de coopération militaire, qui sont aujourd'hui essentiels pour notre défense. Si la revue stratégique de défense et de sécurité nationale a réaffirmé l'ambition d'autonomie stratégique de la France, cela ne signifie pas que nous devions tout faire tout seuls. Ce n'est déjà plus possible aujourd'hui, et l'impératif de coopération sera encore plus fort à l'avenir, d'autant qu'en matière diplomatique, il est souhaitable que nous tissions des partenariats stratégiques engageants avec les pays qui partagent nos valeurs et nos intérêts.

La question est de savoir avec qui coopérer, comment et pourquoi. Le Parlement me semble devoir exercer un contrôle sur le contenu des partenariats militaires de la France, qui sont parfois très engageants sur des durées fort longues, notamment lorsque des coopérations d'armement sont en jeu. Dans cet esprit, permettez-moi de souligner quelques points qui me semblent requérir une vigilance particulière.

Tous les militaires se félicitent du partenariat avec les États-Unis en disant qu'il a atteint des niveaux de confiance inégalés, en particulier dans l'effort conjoint de lutte contre le terrorisme. Une trop grande dépendance à l'égard des États-Unis pourrait néanmoins être préoccupante, notamment pour le renseignement, alors que nos intérêts ne sont pas toujours convergents.

Nous devons donc concevoir comme une priorité le renforcement de notre autonomie dans ce domaine. Il y va de l'indépendance de notre diplomatie : souvenons-nous de Jacques Chirac et du brillant discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité des Nations unies.

Notre volonté de combler les lacunes capacitaires de l'Europe pour atténuer sa dépendance à l'égard des États-Unis ne doit cependant pas nous conduire à nous jeter à corps perdu dans des projets industriels conjoints dont notre défense risquerait de sortir perdante. À cet égard, je tiens à mettre en garde contre le risque de montages industriels inégalitaires avec l'Allemagne dans un contexte où nos capacités d'investissement vont diverger et où nos objectifs demeureront différents. J'appelle donc Mme la ministre à nous exposer la stratégie du Gouvernement sur ce point essentiel.

Sur la lancinante question de la défense de l'Europe, je prône une approche pragmatique : nous pouvons progresser sur le financement commun de recherches et de capacités militaires par l'intermédiaire du Fonds européen de défense qui vient d'être créé ; nous pouvons sans doute mieux coordonner et partager l'effort de gestion de crise, notamment dans le Sahel – toutes les avancées dans ce domaine seront les bienvenues – , mais, pour le reste, le principal enjeu des prochaines années, dans le contexte du Brexit, sera de parvenir à arrimer nos amis britanniques à la défense de l'Europe, car ils ont encore le premier budget de défense et sont actuellement nos partenaires les plus proches. Nous devons donc faire vivre ce partenariat par des initiatives concrètes.

Je terminerai ce bref tour d'horizon en évoquant nos partenaires du grand large, en particulier l'Inde, le Japon et l'Australie. Nous pourrions avoir tendance à négliger un peu ces partenariats, surtout si nous sommes concentrés sur la menace terroriste, mais j'insiste sur la nécessité urgente de renforcer notre présence sur les océans, étant donné que nous disposons d'une zone économique exclusive immense, en passe de devenir la première du monde avec plus de 13 millions de kilomètres carrés et dont nous sommes incapables d'assurer la protection.

Des enjeux essentiels se jouent sur et sous la mer. Ce n'est pas un hasard si la Chine modernise considérablement sa marine de guerre : en quatre ans, les Chinois ont construit autant de bateaux que n'en possède toute notre marine nationale. Il est donc indispensable de renforcer nos moyens et nos partenariats dans l'espace maritime Asie-Pacifique et au-delà, sur les trois grands océans, puisque nous sommes les seuls à être présents sur les trois mers.

Dans l'attente des débats, je considère, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, que ce budget va dans la bonne direction, mais les rapports d'étape seront indispensables.

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