Intervention de Damien Adam

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam, rapporteur :

Avant toute chose, je remercie chaleureusement tous nos collègues qui ont participé aux travaux de notre mission d'information, soit en étant physiquement présents à nos réunions – M. le président l'a rappelé : nous avons eu plus de cinquante heures d'auditions –, soit en déposant des contributions écrites, sans oublier les discussions informelles que nous avons eues entre les auditions. J'aimerais également souligner la qualité des échanges qui ont eu lieu dans le cadre de cette mission d'information – cela a été relevé à de nombreuses reprises. Le travail parlementaire a lieu également dans ce type d'instances, sur des sujets qui, certes, ne font pas l'objet de débats philosophiques ou idéologiques, mais témoignent de l'importance de l'Assemblée nationale quand il s'agit d'oeuvrer dans le sens de l'intérêt général. Ma présentation sera brève, de manière à ce que nous ayons ensuite des échanges – à la suite de quoi nous passerons au vote.

Le rapport comporte trois parties. La première analyse les circonstances de l'incendie ; la deuxième est consacrée aux conséquences qu'il faut en tirer et aux propositions qu'il est d'ores et déjà possible de faire ; la troisième aborde les sujets qui restent en suspens.

La première partie commence par une présentation des deux entités concernées. Il s'agit, d'une part, de Lubrizol, une entreprise très surveillée. Comme vous le savez, elle avait fait l'objet de trente-neuf contrôles depuis 2013. Et il s'agit, d'autre part, de Normandie Logistique, une entreprise de stockage et, comme son nom l'indique, spécialisée dans la logistique.

Nous revenons ensuite sur l'incendie en tant que tel, dont l'ampleur a été exceptionnelle. Il a été éteint en un temps quasiment record, selon le colonel Jean-Yves Lagalle, directeur du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de Seine-Maritime. Nous avons examiné, en outre, le choix de l'alerte, avec l'usage critiqué des sirènes en décalage par rapport à l'incendie, et les impacts immédiats pour la population : 2 000 déclarations de sinistre, sans oublier les nombreux établissements scolaires et exploitations agricoles impactés. Je fais aussi le point sur les interrogations qui sont du ressort de l'enquête judiciaire – laquelle est toujours en cours – et ne relevaient donc pas de notre mission d'information.

La deuxième partie du rapport est consacrée aux propositions, réparties selon quatre axes.

Le premier axe traite de la culture du risque – question essentielle, comme nous l'avons constaté à de nombreuses reprises au cours des auditions, et qui fait l'objet de larges débats. Un constat est partagé : la France a pris du retard en la matière. Il faut donc faire des propositions très fortes afin d'installer durablement la culture du risque dans notre pays. D'où l'idée de réaliser chaque année un exercice de grande ampleur afin de simuler des risques industriels ou naturels en impliquant la population. Cela permettrait à la fois d'inculquer les comportements à observer et d'informer les personnes concernées de l'existence de ce type de risques dans le territoire – car, comme vous le savez, les habitants de la Métropole de Rouen ont redécouvert qu'ils vivaient dans une zone industrielle au moment de l'incendie du 26 septembre.

Je propose également que la question du risque industriel soit abordée dans le cadre du Service national universel (SNU), destiné aux jeunes âgés de 16 ans – le dispositif va progressivement monter en charge et, en 2024, il concernera l'ensemble d'une classe d'âge. Il serait en effet utile que le SNU, qui sensibilisera aussi bien au risque terroriste qu'aux gestes de premier secours et, plus largement, au civisme, comporte un volet consacré au risque industriel. Ainsi, les jeunes générations seraient en mesure, en cas d'incident, d'accompagner le reste de la population sur tout le territoire et de contribuer à une meilleure maîtrise collective de la culture du risque.

Par ailleurs, le site internet georisques.gouv.fr, qui cartographie les différents risques industriels existant dans les territoires, doit être amélioré. Si vous avez récemment acheté ou vendu un bien immobilier, vous avez certainement paraphé des documents présentant l'état des risques et pollutions dans les environs. Ces informations sont également relayées par le site que j'évoquais. Or celui-ci est très difficile à utiliser pour les non-initiés : son interface doit être améliorée.

Le deuxième axe consiste à mieux lutter contre les risques industriels. Si le risque zéro n'existe pas en la matière, l'action des pouvoirs publics peut être améliorée afin de tendre vers cet objectif. Cela passe notamment par la mise en place d'un Bureau enquête accidents (BEA) spécialement compétent en matière de risques industriels – proposition qui a beaucoup animé nos échanges. Chaque incident, qu'il soit majeur ou mineur, donnerait lieu à un retour d'expérience, comme cela a été le cas de manière assez naturelle après les événements ayant touché AZF et postérieurement Lubrizol, au travers d'une enquête administrative indépendante, à l'image de ce qui existe dans le secteur des transports.

Une police des sites industriels, concernant plus précisément ceux relevant de la catégorie des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pourrait également être créée au sein des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) afin de s'assurer, d'une part, qu'ils respectent bien la réglementation et, d'autre part, qu'ils relèvent bien dans la bonne catégorie. Comme vous le savez, les sites SEVESO font l'objet de contrôles systématiques de la part des DREAL : tous les ans pour ceux qui sont classés dans la catégorie SEVESO « seuil haut », tous les trois ans pour ceux dits SEVESO « seuil bas ». Les autres sites classés ICPE sont quant à eux répartis en différentes catégories : il y a les sites soumis à autorisation, à enregistrement et à déclaration. Si les installations classées dans les deux premières catégories font l'objet, tous les sept ans, de contrôles de la part des DREAL, il n'y a pas d'obligation de contrôle dans un délai donné pour ceux qui appartiennent à la dernière catégorie, alors qu'elle regroupe près de 400 000 sites. J'ajoute, pour votre parfaite information, qu'il existe, pour les ICPE soumises à déclaration, une sous-catégorie : celle des installations soumises à déclaration avec contrôle périodique (DC), ce qui correspond à une situation intermédiaire entre le régime de la déclaration et celui de l'enregistrement. Elles sont soumises à des contrôles menés tous les cinq ans par des organismes privés agréés – celles qui sont certifiées conformes à la norme ISO 14001 ne sont contrôlées que tous les dix ans.

L'entreprise Normandie Logistique considérait qu'elle était soumise au régime de déclaration, et ne faisait donc pas l'objet de contrôles de la DREAL, alors que cet organisme a estimé, au terme d'un contrôle faisant suite à l'incendie, que l'entreprise relevait du régime de l'enregistrement. La force de police que je propose de créer permettra de procéder chaque année au contrôle d'un certain nombre d'installations soumises au régime de la déclaration, afin de vérifier qu'elles respectent la réglementation, de la même manière que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle les restaurants. Cela permettra également de s'assurer que chaque installation figure bien dans la bonne catégorie. Or, à l'heure actuelle, comme vous le savez, ce sont les exploitants eux-mêmes qui indiquent aux DREAL à quel niveau de la classification ils se situent.

Il faut également, pour mieux lutter contre le risque industriel, imposer aux exploitants des sites classés SEVESO de mettre à la disposition des inspecteurs des DREAL tous les documents émis par les assureurs. Comme la presse locale puis les médias nationaux s'en sont fait l'écho, l'assureur de Lubrizol avait bien réalisé un document relatif au risque incendie d'un bâtiment de stockage, mais l'exploitant n'avait aucune obligation de le communiquer à la DREAL.

Enfin, il faut, s'agissant des sites SEVESO, approfondir la notion de plateforme industrielle, afin de mieux prévenir les risques technologiques dans un ensemble industriel regroupé – cela concerne notamment les sites en interaction immédiate, dont la relation est matérialisée par des liens contractuels et des activités communes, par exemple les usines dont l'activité dégage une chaleur importante, récupérée in situ par un réseau de chaleur urbain. On pourrait étendre cette logique aux relations existant entre Normandie Logistique et Lubrizol, qui sont de nature contractuelle, la première assurant le stockage, à proximité immédiate des installations, de produits chimiques finis après fabrication par la seconde.

Le troisième axe de mes propositions concerne l'amélioration de l'information et de la communication à destination de la population lors de la survenance d'un accident créant une situation à risque. La France doit d'ailleurs transposer d'ici à 2022 la directive européenne établissant le code des communications électroniques européen.

Comme vous le savez, trois technologies différentes sont d'ores et déjà disponibles. La première consiste à envoyer des SMS géolocalisés. Les opérateurs identifient le lieu de vie de leurs clients à partir des données contractuelles, ce qui présente l'inconvénient de ne pas donner d'informations sur leur localisation réelle à un instant « t ». La deuxième passe par le téléchargement d'une application mobile permettant de recevoir des messages. La troisième technologie, qui est la plus onéreuse mais aussi la plus complète, porte le nom de Cell broadcast. Elle permet d'envoyer un message personnalisé dans une zone géographique donnée grâce aux antennes du réseau mobile.

C'est cette technologie que je recommande à l'État d'adopter, car elle me paraît la plus complète et la plus pertinente. En effet, on ne peut se contenter d'envoyer des messages aux personnes qui vivent dans un territoire et à celles qui ont accepté de recevoir des informations : il faut être en mesure de toucher également celles qui ne font que passer par là, ou encore qui y travaillent sans y vivre.

Je propose en outre d'analyser en direct le contenu des réseaux sociaux lors des situations de danger : il faut connaître les questions que les citoyens se posent et y répondre le plus rapidement possible, mais aussi identifier et déconstruire les fake news.

Enfin, je propose de créer une cellule de communication de crise au sein de l'État, pouvant être déployée en cas d'accident technologique afin d'accompagner le préfet. Cela permettrait de traduire la parole technique en un langage accessible à la population, ce qui rassurerait celle-ci, tout en lui donnant l'information la plus précise possible.

Le quatrième axe vise à relancer l'attractivité de Rouen, notamment en proposant un plan en faveur de la Seine-Maritime, à l'image de qui a déjà été fait pour d'autres départements tels que la Seine-Saint-Denis. Une campagne de communication d'envergure internationale pourrait également être organisée. À cet égard, le groupe Lubrizol s'était fortement engagé juste après l'incendie mais, depuis lors, nous n'en avons plus entendu parler ! La parole donnée doit être respectée et se traduire dans les faits : il faut donc maintenir la pression.

Je propose, enfin, de confirmer la vocation industrielle de la Métropole de Rouen en y développant un projet industriel du XXIe siècle.

J'en viens à la troisième partie de mon rapport, qui traite des sujets restant en suspens, sur lesquels la mission ne peut pleinement conclure. C'est le cas, évidemment, du suivi épidémiologique, qui comporte différentes étapes et plusieurs niveaux qui permettront de déterminer si les sols ont été pollués et si la population devra subir des conséquences à long terme. Il est beaucoup trop tôt pour émettre des conclusions à ce sujet, d'autant plus que, comme vous le savez, nous ne disposons pas de toutes les informations. En effet, le groupe Lubrizol devait faire réaliser des analyses dont la publication était prévue le 15 janvier. Or, en raison du très grand nombre d'échantillons et de tests et du fait que les laboratoires privés en charge de les mener à bien sont surchargés – Mme la ministre de la santé et des solidarités nous l'avait dit : ils sont littéralement « sous l'eau » –, il a fallu les décaler, et la date à laquelle tous ces résultats seront communiqués n'est pas encore connue.

L'indemnisation est une autre question extrêmement importante sur laquelle nous ne pouvons pas conclure de manière définitive. Lubrizol, accompagné par les pouvoirs publics, a mis en place deux fonds d'indemnisation, l'un destiné à compenser les pertes agricoles, l'autre pour les commerçants et les collectivités. Mon rapport évoque cet aspect et comporte quelques recommandations, mais il est évident qu'il doit continuer à faire l'objet d'un suivi par les parties prenantes, notamment la préfecture de la région Normandie.

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