Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du lundi 14 octobre 2019 à 15h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Effectivement, l'article 46 du PLFSS 2020 acte la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, qui permettra d'améliorer la procédure de reconnaissance, en la simplifiant pour les maladies professionnelles liées à ces produits et pour mieux prendre en charge les victimes aujourd'hui non couvertes. Cet article reprend ce travail commun, c'est une demande expresse du Parlement. C'est d'une part un texte qui trouve son origine dans une proposition de loi, auparavant présentée au Sénat par le groupe socialiste et Mme Nicole Bonnefoy, et que nous avons ensuite travaillé en lien étroit avec les députés dans le cadre de la discussion d'une autre proposition de loi qui devrait être discutée fin janvier pour trouver une solution de compromis. C'est le fruit de ce travail qui est proposé dans le cadre du PLFSS.

Concernant le chlordécone, le Président de la République s'est engagé lors de son déplacement aux Antilles à avancer dans le chemin de la réparation. Il s'agit d'aller vers une meilleure reconnaissance et réparation individuelle des maladies professionnelles liées à l'exposition au chlordécone. Cela rentre aujourd'hui parfaitement dans le périmètre du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Le fonds couvrira tous les pesticides tels que définis par le droit européen, c'est-à-dire à la fois les produits phytopharmaceutiques utilisés dans l'agriculture et les produits biocides à usage non agricole. Seront concernés tous les pesticides qui font ou ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché. Le chlordécone, qui était autorisé dans les exploitations agricoles antillaises jusqu'en 1993, fait partie des pesticides et donc de l'indemnisation de ce fonds pouvant donner lieu à une indemnisation.

Aujourd'hui, ce sont les professionnels de la banane qui sont a priori les personnes qui ont été les plus exposées directement au chlordécone. L'indemnisation nécessite l'identification des personnes exposées. Ce travail a été réalisé grâce aux travaux de la reconstitution de la cohorte des travailleurs, menés par l'Institut national de veille sanitaire, qui est depuis devenu Santé publique France, en lien avec l'INSERM et avec la contribution des caisses de sécurité sociale. Chez ces personnes, il convient maintenant d'identifier les pathologies, les maladies qui sont en lien avec l'exposition au chlordécone. Des travaux sont en cours, effectués par l'ANSES, qui est désormais chargée de l'expertise scientifique préalable à l'élaboration ou à la modification des tableaux de maladies professionnelles.

Cette nouvelle procédure qui fait intervenir une agence d'expertise sanitaire – l'ANSES – vise à mieux garantir l'indépendance scientifique de l'expertise. En effet, cette expertise de l'agence est indispensable pour établir un tableau de maladies professionnelles. C'est aussi cette expertise qui nous donnera des éléments sur les durées d'exposition, ou encore sur le délai de prise en charge des maladies identifiées comme étant en lien avec les pesticides.

En amont de tout cela, les ministères ont saisi l'INSERM le 24 avril 2018 pour une actualisation de leur expertise collective de 2013. Cette expertise collective sur les pesticides a été priorisée sur la question du chlordécone, à ma demande, en date du 28 septembre 2018. Nous devrions avoir les résultats assez rapidement. L'INSERM est donc chargé de se prononcer sur la qualification de l'association entre exposition professionnelle et pathologie, au vu des études épidémiologiques, complétées par des éléments issus d'une analyse sur l'état des connaissances en matière de toxicologie et de mécanismes d'action. L'ANSES a également été saisie le 26 novembre 2018 sur l'exposition aux pesticides, en priorisant le rendu de ses travaux sur la question spécifique du chlordécone. L'agence doit rendre un avis sur la création de tableaux et sur l'adoption éventuelle de recommandations pour des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles. Le rendu prévisible de cette expertise sur le chlordécone est annoncé pour juin ou juillet 2020. Notre idée est que sur les bases de ces deux analyses INSERM et ANSES, nous puissions aboutir à une révision des tableaux de maladies professionnelles, sur des arguments scientifiques robustes qui font un lien entre pathologie et chlordécone.

Aujourd'hui, il faut savoir que cette reconnaissance est possible, mais comme il n'y a pas un tableau qui reconnaît le lien, cela nécessite des actions très longues, au cas par cas, et complique donc la vie des travailleurs exposés. Si nous arrivons à inscrire dans le tableau des maladies professionnelles des maladies reconnues comme étant en lien avec des pesticides – en l'occurrence le chlordécone – cela facilitera énormément la vie des travailleurs exposés.

Nous voulons aussi améliorer l'information des professionnels de santé et de la population sur les modalités de demande de reconnaissance de maladie professionnelle. La direction de la sécurité sociale prévoit prochainement une communication spécifique avec des courriers vis-à-vis des médecins traitants aux Antilles, pour les sensibiliser au repérage des patients potentiellement éligibles, avec une campagne d'information par les caisses de sécurité sociale sur les procédures à suivre.

Enfin, il y a en préambule de la révision des tableaux de maladies professionnelles, un travail avec les partenaires sociaux, puisqu'aujourd'hui ce sont eux qui doivent acter d'une maladie professionnelle dans un tableau. Ils se sont réunis au sein de la commission spécialisée n° 4 du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) pour acter de cette évolution des tableaux. Pour les régimes agricoles, c'est la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP) qui est en charge de la révision des tableaux de maladies professionnelles.

Je crois que nous sommes très proactifs sur le champ pour apporter de vraies réponses opérationnelles aux travailleurs exposés dès 2020.

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