Intervention de Éric Ciotti

Réunion du mercredi 12 février 2020 à 17h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti, rapporteur :

Monsieur le ministre, je voudrais d'abord évoquer sous forme d'interrogation la transmission qui a été faite aux corapporteurs du deuxième rapport du Gouvernement relatif à la mise en oeuvre de la loi SILT.

En effet, la première version de ce rapport que nous avons reçue le 7 février vers 20 heures contenait un troisième chapitre comportant des pistes de réflexion sur les évolutions législatives. Ces pistes me paraissent d'ailleurs pertinentes et intéressantes.

J'imagine qu'il s'agit là d'une erreur de gestion du traitement de texte, dans la mesure où nous avons reçu plus tard un second rapport dans lequel ces propositions ne figuraient plus. Mais je souhaiterais pour ma part que vous puissiez les évoquer.

Au terme de cette troisième année d'application de la loi SILT nous aurons à décider de la poursuite de ses dispositions et des corrections éventuelles à y apporter, en tirant parti du retour d'expérience de son application. Les auditions auxquelles nous avons procédé avec Mme la présidente et M. Raphaël Gauvain – notamment celles du procureur national antiterroriste et celle du président du tribunal judiciaire de Paris – nous ont montré que des améliorations pouvaient être envisagées.

Sur le fond, je réitérerais les réserves exprimées par le groupe Les Républicains au moment du vote de la loi. Nous estimons en effet que cette loi, si elle a, certes, le mérite d'exister, constitue une sorte de moyen-terme ou de pis-aller puisqu'elle est une forme très dégradée des dispositions contenues dans l'état d'urgence. Pour notre part, nous considérions, à l'époque du vote de la loi et considérons toujours, que la menace demeure à un degré très élevé – même si le sentiment se propage, y compris dans le regard des médias, qu'elle serait désormais plus faible, plus diffuse, que le pire serait passé et que nous n'aurions plus à faire face à des attentats de masse. Ce n'est pas vous qui avez diffusé cette croyance, monsieur le ministre. Je ne vous ferai pas ce procès. Mais elle existe.

Nous nous inscrivons en faux contre cette idée. Le procureur national antiterroriste a d'ailleurs beaucoup insisté sur ce point lors de son audition. Il a souligné ainsi qu'à ses yeux la menace restait maximale et que notre degré de vigilance devait se placer à une même hauteur. C'est cet état d'esprit qui nous guide.

Nous avons donc contesté la sortie de l'état d'urgence. M. Guillaume Larrivé l'a d'ailleurs fait à plusieurs reprises lors des débats consacrés à ce sujet.

La loi SILT, quelle que soit la qualité de son application, que je souligne, et quel que soit l'intérêt des mesures qu'elle contient, n'est pas autre chose à nos yeux qu'une forme très dégradée des mesures contenues dans l'état d'urgence. Or notre niveau de protection s'est aussi dégradé.

Je citerai deux chiffres pour illustrer ce point, portant sur deux des volets principaux rappelés par M. le ministre. Du 13 novembre 2015, date ô combien tragique, au 30 octobre 2017, sous le régime de l'état d'urgence plusieurs fois renouvelé et systématiquement approuvé par notre groupe, près de 4 600 perquisitions administratives ont été effectuées. Elles ont débouché sur 430 gardes à vue, la saisie de plusieurs centaines d'armes et plus d'une trentaine de poursuites judiciaires. Sous le régime de la loi SILT, 193 requêtes tendant à obtenir une autorisation de visite domiciliaire ont été émises. Et environ 80 % d'entre elles ont été approuvées par le JLD. Nous voyons donc bien ici deux chiffres d'ampleur très différente, même si nous n'ignorons pas qu'à la suite des attentats du 13 novembre 2015 cette procédure avait été très largement utilisée et que sa mobilisation a été moins forte par la suite.

S'agissant des assignations à résidence d'hier et des MICAS d'aujourd'hui, le chiffre a été plus que divisé par deux. En effet, 750 assignations à résidence ont été décidées pendant l'état d'urgence. Le mot de « résidence » est porteur de sens. Aujourd'hui, les mesures de contrôle portent sur un périmètre beaucoup plus élargi, celui d'une ville. Et 232 MICAS ont été lancées sur les deux années écoulées. Nous voyons là aussi qu'un affaiblissement s'est produit.

J'en viens à présent à l'application de la loi.

Les périmètres de protection ont été largement utilisés. C'est une mesure utile, comparable à celle qui était en vigueur dans le cadre de l'état d'urgence, et qui a même été améliorée par la loi SILT. Nous nous en félicitons. Il s'agit d'un puissant moyen de sécurisation de manifestations et d'événements importants. En tant qu'élu niçois c'est évidemment un sujet auquel je suis particulièrement attaché.

Une grande frustration s'exprime en revanche concernant la fermeture des lieux de culte. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, seuls deux nouveaux lieux de culte – deux nouveaux lieux de culte ! – ont été fermés depuis le 1er novembre 2018. Il s'agit de la mosquée Al-Sunnah d'Hautmont et de la mosquée Al-Kwathar de Grenoble. Compte tenu de l'ampleur du prosélytisme et de la propagation de discours radicalisés, nous estimons que ce chiffre est ridiculement faible et ne traduit pas une réelle volonté de lutter contre la diffusion des propos haineux auxquels la loi SILT voulait précisément s'attaquer. Nous ne trouvons pas sur ce point une fermeté à la hauteur de la menace représentée par ces lieux de culte, pourtant identifiés par nos services de renseignement comme étant particulièrement à risque.

Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais souligner à ce stade concernant l'application de la loi SILT.

L'état d'urgence nous apparaît comme le degré de protection le plus abouti – bien qu'il n'existe pas, et qu'il n'existera jamais, de risque zéro en matière de terrorisme, que la menace demeure présente et durable dans le monde entier, et que nous soyons engagés, selon la formule d'un ancien patron de la DGSI, sur « un long chemin tragique et pour longtemps ». La loi SILT a le mérite d'exister, elle constitue un niveau intermédiaire entre l'état d'urgence et la situation qui précédait ce dernier, mais ce cadre n'en reste pas moins dégradé.

Nous estimons, naturellement, que les dispositions contenues dans cette loi doivent être pérennisées parce qu'elles sont utiles. Les conséquences de la visite domiciliaire conduite à Épinal, que vous avez rappelées, l'ont bien montré. Les perquisitions administratives avaient ainsi permis précédemment de déjouer plus d'une dizaine d'attentats.

Au-delà des ajustements évoqués dans la première version du rapport qui nous a été transmise, il est nécessaire selon nous de passer à un autre niveau. Cela impose peut-être, sans doute, une réforme constitutionnelle afin de pérenniser les dispositions contenues dans l'état d'urgence que nous jugeons indispensables.

Nous exprimons par ailleurs, monsieur le ministre, une grande inquiétude quant aux sorties de prison et au suivi des personnes condamnées pour terrorisme islamiste ou pour apologie du terrorisme – que ce soit dans le cadre d'une incrimination criminelle ou délictuelle pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, ou pour des faits délictuels d'apologie, ou qu'il s'agisse de détenus de droit commun radicalisés.

Dans les années à venir, plusieurs centaines de détenus sortiront de prison. À partir de 2022, cela risque de concerner des détenus lourdement condamnés après les attentats ayant frappé la France en 1995. Une très grande inquiétude s'exprime sur ce sujet. Vous le savez. Elle a été soulevée notamment dans des termes très forts par le procureur national antiterroriste. Il convient de gérer cette situation. Or, nous avons le sentiment, à ce stade, que rien n'est réellement anticipé en la matière. Et toutes les personnes que nous avons auditionnées dans le cadre du présent rapport, mais aussi toutes celles que j'ai eu l'occasion d'entendre dans le cadre de la commission d'enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris, soulignent cette menace qui est au coeur de leurs préoccupations.

Il y a donc ici un danger majeur, auquel la continuation de la loi SILT devra répondre. Mais, dans l'intervalle, nous avons besoin de mesures. Les MICAS pourraient par exemple être systématiquement mobilisées pour les sorties de prison, dans le cadre qui existe actuellement. C'est en tout cas une proposition que je formule. Le doute doit en effet profiter à la société, et le principe de précaution doit s'appliquer en la matière.

Je voulais donc vous faire part de notre immense inquiétude, au regard des éléments qui ont été portés à notre connaissance et de l'expression de cette inquiétude par les magistrats et les responsables des services de renseignement que nous avons auditionnés.

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