Intervention de Jacques Rosine

Réunion du lundi 1er juillet 2019 à 14h05
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Jacques Rosine, responsable de la délégation de Santé publique France aux Antilles :

La question de l'imprégnation – ou, dans notre jargon, de la chlordéconémie – est complexe. L'ARS de Guadeloupe conduit depuis le début de l'année des travaux en lien avec plusieurs partenaires – chercheurs, scientifiques, représentants des élus et des usagers – et a abouti à un certain consensus. Je peux dire ceci : d'un point de vue épidémiologique, il est difficile d'interpréter un dosage systématique dans la population générale. En effet, les personnes dépistées ne seraient pas forcément représentatives de la population générale, comme l'a montré l'enquête Kannari 1 : bien que le dépistage ait été proposé gratuitement et que des infirmières se soient rendues disponibles pour effectuer le test à domicile, une part non négligeable de l'échantillon a refusé les prélèvements. Autrement dit, les personnes qui acceptent le prélèvement se caractérisent sans doute par des différences d'ordre sociodémographique par rapport à la population générale et les résultats de telles analyses ne sauraient être extrapolés.

Sur le plan individuel, la difficulté tient au fait qu'il n'existe pas encore de valeur sanitaire de référence, malgré les travaux initiaux de l'ANSES sur ce sujet. En Martinique, des biologistes qui réalisent actuellement des dosages de chlordécone ne savent pas comment interpréter les résultats lorsqu'ils sont communiqués aux patients. La mesure de la chlordécone dans le sang, quelle qu'en soit la concentration, ne suffit pas à établir avec certitude qu'une maladie adviendra. En l'absence de valeur sanitaire de référence, les médecins eux-mêmes – et nous partageons ce point de vue – estiment qu'il n'est pas opportun de rendre des résultats établissant une concentration élevée de chlordécone sans message sanitaire ni indications, hormis les modifications alimentaires à apporter. En revanche, certaines populations sont potentiellement plus exposées au risque : c'est le cas des travailleurs agricoles, qui font l'objet, comme l'a indiqué Mme El Yamani, d'un travail spécifique en lien avec la médecine du travail. Autre problématique : les femmes enceintes et les femmes en âge de procréer. M. Multigner, que vous allez rencontrer, vous présentera les résultats de ses enquêtes, notamment sur la cohorte Timoun. Ces études peuvent avoir un intérêt s'agissant de certaines catégories ciblées. Un gynécologue de Guadeloupe nous a néanmoins alertés sur le fait que mesurer la chlordéconémie d'une femme enceinte pourrait entraîner des effets psychologiques assez forts jusqu'à aboutir à des extrémités non souhaitables.

Il faut donc procéder avec prudence. La demande sociale est forte et nous en sommes conscients. Les capacités techniques n'existent pas encore aux Antilles mais plusieurs laboratoires sont en mesure – même si leurs techniques n'ont pas encore toutes été validées – de mesurer la chlordécone. Reste à définir l'objectif : d'un point de vue épidémiologique, ce sont les études portant sur des échantillons tirés au sort selon une méthodologie adaptée qui, seules, sont représentatives à l'échelle du département. Le chiffre de 95 % que nous avons évoqué ne peut être obtenu que par cette méthode.

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