Intervention de Patrick Vincent

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 15h40
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Patrick Vincent, directeur général délégué de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) :

Je pense que l'on peut dire que, globalement, nous avons pu mener les campagnes de prélèvement sans difficulté particulière. Cela ne veut pas dire qu'un surcroît de financement n'aurait rien apporté mais, je le répète, ces campagnes ont pu être réalisées et ont fourni les éléments dont nous disposons.

En ce qui concerne les coûts associés, je vous donnerai deux chiffres qui permettent de s'en faire une idée. Outre les campagnes elles-mêmes, qui ont un coût – je pense en particulier aux navires –, il y a les analyses des prélèvements. Celles-ci sont réalisées au moyen de technologies innovantes – notamment des échantillonneurs passifs –, essentiellement par des laboratoires universitaires. Leur coût individuel est relativement élevé : environ 200 euros. Les analyses du biote, dont je vous parlais tout à l'heure, réalisées notamment sur les huîtres de palétuviers, sont faites par des laboratoires privés ; chacune d'entre elles coûte 80 euros. Lorsqu'on est amené à multiplier les points de prélèvement et les analyses parce qu'on veut un échantillonnage temporel serré, les coûts deviennent donc importants.

Vous m'avez également interrogé sur les techniques de dépollution de l'eau. On parle parfois de techniques utilisant le charbon actif. Malheureusement, ce domaine n'entre pas dans les compétences de l'IFREMER : je ne saurais donc vous en dire plus. Des essais de décontamination de la faune marine ont effectivement eu lieu, pour l'essentiel à l'université de Guadeloupe. Pour l'instant – mais je suis très prudent à cet égard –, on n'a obtenu un résultat extrêmement concluant qu'avec une seule espèce : l'ombrine. Une espèce qui présentait une contamination élevée a donc été en partie décontaminée. Cela veut dire que les études portant sur la décontamination peuvent se poursuivre, que c'est effectivement une voie envisageable pour les espèces marines, en particulier les langoustes.

En ce qui concerne les conséquences économiques de l'interdiction du chlordécone dans la filière pêche, il existe certes un impact ponctuel sur l'activité de certains pêcheurs, mais notre système d'information halieutique ne montre pas, globalement, une diminution significative des débarquements. Il est toujours difficile d'avoir une vision d'ensemble – qui est souvent celle à partir de laquelle on formule des recommandations pour la mise en oeuvre des règlements – tout en prenant en compte les cas individuels. Un autre aspect de la question économique concerne l'autonomie alimentaire des Antilles. Nous considérons que la pêche locale représente à peu près 10 % de la consommation de poisson en Martinique. De ce fait, l'impact de l'interdiction est peu élevé – en tout cas, c'est ainsi que nous le qualifions.

On peut se demander si la réglementation actuelle permet de garantir à 100 % l'absence de produits non conformes dans les zones où la pêche est autorisée. D'après les recherches que nous avons faites, la réponse est clairement non. Cela veut dire qu'il faut s'interroger sur les mesures à prendre pour limiter le nombre de produits non conformes. Nous avons essayé de travailler sur ce problème en évaluant les effets potentiels d'une évolution de la réglementation dans deux directions : l'extension des zones non autorisées et celle de la liste des espèces qu'il vaut mieux éviter de pêcher.

L'extension de la liste des espèces aurait des effets tout à fait mineurs. Ce n'est donc probablement pas le paramètre qu'il convient de favoriser. Quant à l'extension des zones, nos connaissances actuelles nous conduisent à penser que, si l'on veut réellement garantir à 100 % l'absence de contamination, il faudrait que le périmètre soit augmenté de manière extrêmement importante, ce qui supposerait une réglementation draconienne. Une telle mesure aurait des répercussions très fortes sur la pêche, bien plus importantes que celles que j'évoquais tout à l'heure. L'enjeu est donc de trouver un équilibre et de s'interroger sur l'acceptabilité de telles mesures. Cela ne relève pas uniquement de l'IFREMER : c'est à la puissance publique d'en décider, en fonction d'une préoccupation dont je n'ai pas parlé parce qu'elle n'est pas de la compétence de l'institut, à savoir les effets du chlordécone sur la santé humaine. Il importe de savoir jusqu'où on peut aller, s'agissant de l'évolution de la réglementation, pour faire en sorte que le taux de produits non conformes soit aussi réduit que possible.

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