Intervention de Roger Genet

Réunion du lundi 8 juillet 2019 à 11h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Nous vous remercions de nous avoir invités à venir nous exprimer devant la commission d'enquête sur une question qui mobilise l'Agence, comme elle a mobilisé les agences qui l'ont précédée. Nous nous faisons un devoir de vous exposer l'ensemble des travaux qui ont été menés dans ce cadre-là.

Créée en 2010, l'ANSES est issue de la fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET. C'est avant tout une agence d'expertise scientifique où travaillent 900 experts, la plupart indépendants et issus de la recherche publique française, le professeur Feidt ici présent, qui préside l'un de nos comités d'experts spécialisés sur les risques chimiques liés à l'alimentation, étant d'ailleurs enseignant à l'Université de Lorraine.

La principale mission de l'ANSES est d'évaluer tous les facteurs d'exposition aux risques chimiques, biologiques, physiques – par exemple, les champs magnétiques – qui nous environnent et auxquels nous sommes soumis dans notre vie quotidienne. Pour cela, nous menons trois types de missions.

Tout d'abord, des missions de recherches et de références auxquelles se consacre la moitié des 1 400 collaborateurs de l'Agence, lesquels travaillent dans des laboratoires de recherche en santé animale, en sécurité des aliments et en santé des végétaux. Ils référencent également l'ensemble des pathologies ou des facteurs de risques transmissibles à l'homme.

Ensuite, sa mission principale : l'expertise scientifique. À partir de l'ensemble des données disponibles sur le plan international, l'Agence doit répondre à toutes les questions qui lui sont posées. Nous avons ainsi répondu cette année à 130 saisines, à travers plus de 230 rapports et avons émis des recommandations s'adressant principalement aux décideurs publics, donc, aux pouvoirs publics, sur un champ très vaste qui va de la sécurité alimentaire – laquelle englobe la santé animale et celle des végétaux – à la santé environnementale et au travail.

Pour ce faire, nous coordonnons des dispositifs de vigilance. Nous répertorions et recensons un ensemble de signalements qui seront pris en compte dans le cadre de nos missions d'expertise. Nous cordonnons notamment les centres antipoison et de toxicovigilance sur le plan national mais, aussi, le réseau national hospitalier de vigilance sur les pathologies professionnelles et tout ce qui relève de la nutri-vigilance, dont la pharmacovigilance – pour le médicament vétérinaire – et, suite à la loi d'orientation agricole de 2013, de la phytopharmacovigilance, le dispositif étant financé par les entreprises sur la base d'une taxe sur leur chiffre d'affaires. 4 millions, sur un plafond d'un peu plus de 6 millions, sont ainsi affectés à des travaux de phytopharmacovigilance. Nous finançons des acteurs de terrain qui nous envoient des signalements quant à d'éventuels effets liés notamment à l'utilisation de produits phytosanitaires ou vétérinaires sur l'environnement et les organismes-cibles.

Ce sont ces éléments que nous prenons en compte dans notre troisième mission : la délivrance d'autorisations de mise sur le marché (AMM). L'évaluation des produits réglementés, l'autorisation ou le retrait d'autorisation de mise sur le marché concernent tout ce qui ne relève pas des médicaments pour l'homme et, plus précisément, trois classes de produits : les médicaments vétérinaires, les produits phytosanitaires – matières fertilisantes, supports de cultures – et les produits biocides, chacun relevant d'une réglementation européenne différente. Depuis 2015, l'Agence délivre les AMM pour les produits phytosanitaires et, depuis 2016, pour les produits biocides, qui relevaient précédemment du ministère de l'agriculture et de l'environnement.

Pour l'ensemble de ces missions, l'Agence a fondé son action sur deux mots-clés.

Tout d'abord, la transparence : tous les avis de nos experts indépendants sont directement communiqués en ligne.

Ensuite, le dialogue. Notre gouvernance est ouverte à l'ensemble des parties prenantes de la société : cinq collèges du Grenelle de l'environnement, organisations non gouvernementales (ONG) de protection de l'environnement ou des associations de consommateurs, interprofessions, élus de l'Association des maires de France et de l'Assemblée des départements de France, organisations syndicales nationales. Ces plateformes nous permettent de dialoguer, d'écouter toutes les attentes qui s'expriment et de répondre en menant nos expertises. Nous avons mis en place des comités de dialogue, notamment sur des questions sensibles comme les radiofréquences mais, également, depuis deux ans, sur les produits phytosanitaires, réunissant 52 parties prenantes différentes, ces comités étant présidés par des personnalités extérieures à l'Agence.

Bien avant le premier plan chlordécone, les travaux de l'ANSES ont permis de répondre à un ensemble de questions concernant l'évaluation des risques. Dans un certain nombre de rapports, nous avons établi les premières valeurs toxicologiques de référence – VTR - suite à l'exposition des consommateurs. Ainsi de la fameuse étude Kannari, menée conjointement avec Santé publique France.

L'ANSES a été chargée du volet « exposition alimentaire », notamment de toutes les enquêtes sur les habitudes alimentaires des consommateurs aux Antilles, en Martinique et en Guadeloupe, ce qui a permis de recueillir des données locales sur les modes de consommation, les lieux d'approvisionnement, et de formuler des recommandations avec un seul objectif : réduire les expositions aux risques à un niveau aussi bas que possible.

Le principe de base qui guide notre action est l'« ALARA » anglais : « As low as reasonabily achievable », « aussi bas que raisonnablement atteignable ». Cette réduction de l'exposition concerne en particulier la voie alimentaire puisque l'alimentation représente à peu près 70 % de nos expositions quotidiennes. À cette fin, nous avons besoin de nous appuyer sur des travaux de recherche permettant de mieux évaluer les risques, la dangerosité d'un produit ne constituant pas un risque lié à son exposition.

Nous disposons de quatre leviers d'action.

Le premier consiste à documenter les expositions afin de les réduire au plus bas niveau possible en hiérarchisant leurs sources.

Le deuxième consiste à mieux évaluer les risques. Nous avons donc besoin que la recherche progresse. Nous sommes chargés de deux expertises, l'une pour éventuellement réviser les valeurs toxicologiques de référence en vigueur depuis 2003, l'autre, pour essayer d'établir une valeur critique d'imprégnation, c'est-à-dire une valeur limite plasmatique, sans effet, permettant d'interpréter les chlordéconémies – nous n'en disposons pas aujourd'hui.

Nous devons également répondre à la demande qui nous a été faite de délivrer une expertise scientifique préalablement au dialogue entre partenaires sociaux qui conduira éventuellement à l'élaboration d'un tableau des maladies professionnelles. Nous répondrons à vos questions sur ce point afin de vous éclairer complètement sur la façon dont nous procéderons. Sachez que c'est une mission nouvelle pour l'Agence qui lui est dévolue depuis la fin de l'année dernière, que cette mission sur le tableau professionnel « pesticide » s'appuie sur l'expertise collective de 2013 de l'INSERM – saisi en même temps que nous –, et qu'il s'agit de la première saisine sur les pesticides. On nous demande en particulier de cibler l'impact potentiel du chlordécone sur le cancer de la prostate. Nous avons lancé un appel à candidature en octobre dernier pour constituer notre panel d'experts, lequel s'est réuni pour la première fois en mars. Nous allons bâtir la méthodologie la plus robuste possible de manière à ce que les partenaires sociaux puissent s'appuyer sur un rapport sans ambiguïté afin de prendre la décision qui convient.

Troisième levier d'action : renforcer la connaissance des expositions alimentaires. Nous disposons d'une étude intéressante sur les habitudes alimentaires aux Antilles, en Martinique et en Guadeloupe. Lors de la visite que nous avons faite la semaine dernière dans ces deux territoires, nous avons pu ainsi proposer le lancement d'une étude spécifique sur l'exposition par voie alimentaire, toutes substances chimiques confondues. Je reviendrai sur ce point si vous le souhaitez.

Aujourd'hui, nous disposons de telles données sur le plan national à partir d'un échantillon d'environ 5 000 foyers, mais elles ne nous permettent pas statistiquement de nous situer sur le plan régional. L'objectif de la feuille de route provisoire 2019-2020, avant le prochain plan chlordécone, est d'avoir ainsi une photographie complète de l'exposition par voie alimentaire, tous types de produits chimiques confondus.

Cette méthodologie, standardisée sur le plan international, nous a permis en 2016, au moment de la publication de l'enquête nationale sur les enfants de moins de trois ans, de mesurer plus de 800 produits différents contenus dans l'alimentation. C'est donc une photographie extrêmement intéressante, qui pourrait d'ailleurs constituer la base d'une future étude Kannari 2 envisagée par Santé publique France afin de réviser les résultats de l'étude actuelle.

Quatrième levier d'action, enfin : diffuser l'information scientifique et accompagner les messages des pouvoirs publics auprès de la population. Nous avons ainsi participé la semaine dernière, aux Antilles, aux comités locaux du plan chlordécone de façon à interagir directement avec l'ensemble des parties prenantes, dont les collectivités, et à pouvoir éclairer les acteurs locaux sur les actions entreprises sur le plan national par l'Agence.

Voilà un panorama de ce qui guide notre action.

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