Intervention de Roger Genet

Réunion du lundi 8 juillet 2019 à 11h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Roger Genet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Je ne peux que vous dire ce que nous faisons aujourd'hui. Cependant, à la lumière des rapports de l'époque que vous évoquez, je peux vous apporter quelques éléments de contexte.

Nous utilisons comme médicaments, comme médicaments vétérinaires et produits phytosanitaires des produits toxiques. Nous avons à domicile des produits toxiques. Dans quelques jours l'ANSES va publier une étude dénommée « Pesti'home », qui présentera les résultats d'une enquête menée dans 1 500 foyers consistant à demander aux gens quels étaient les produits chimiques autorisés ou non qu'ils détenaient dans leur garage, sous leur évier, etc. Les renseignements recueillis sont riches d'enseignement : nous détenons et nous nous exposons tous involontairement à de très nombreux produits chimiques de façon d'ailleurs injustifiée. Tous ces produits sont actifs, s'ils le sont, c'est qu'ils sont biologiquement actifs ; ce sont des toxiques. La question est donc celle du rapport bénéfice-risque.

Je laisse les décideurs de l'époque juger du rapport bénéfice-risque qu'ils ont pris en considération dès lors des autorisations d'extensions d'usage. Ce que je peux vous dire aujourd'hui, et nous connaissons le cas pour de nombreux produits que nous avons retirés du marché depuis 2016 : c'est dès que nous sommes en présence d'un élément relatif à un risque pour la santé, nous retirons le produit sans donner aucun délai d'écoulement ou d'utilisation.

Lorsque nous ne disposons que de données limitées, et que les motifs de retrait pèsent sur des facteurs de risque n'affectant pas directement la santé, comme des facteurs écotoxicologiques pour des produits ayant parfois été utilisés pendant trente ou quarante ans, la réglementation autorise de prévoir des délais permettant simplement aux professionnels de se retourner. Ces délais sont en règle générale de dix-huit mois pour la réglementation européenne, souvent répartis en neuf mois pour la vente et neuf mois pour l'utilisation.

Lorsqu'elle effectue des retraits, l'ANSES est en général plus restrictive. La décision de retrait ayant été prise, elle essaie de suivre cette logique que vous avez évoquée, qui consiste à retirer le produit le plus tôt possible. Habituellement, nous laissons donc la campagne en cours se terminer afin que les gens ne se trouvent pas pris au beau milieu d'une période de production.

Encore une fois, si nous avons la moindre crainte pour les riverains ou les utilisateurs, l'ANSES ne laisse aucun délai. Nous nous orientons donc vers une stratégie de plus en plus restrictive. Mais il est toujours difficile de faire la balance entre l'évaluation scientifique de risque et les autres éléments de nature économique.

La balance bénéfice-risque est en effet aisément perceptible lorsqu'il s'agit d'un médicament destiné à l'humain : risque-t-il d'avoir un effet secondaire, mais quelle espérance de vie fait-il gagner au patient traité ? En revanche, dans le cas des produits phytosanitaires où le bénéficiaire ou la victime n'est pas la même personne, car il peut s'agir de l'agriculteur, des abeilles ou de l'environnement, la balance bénéfice-risque est beaucoup plus difficile à établir pour le décideur public.

Et depuis que l'ANSES a cette responsabilité, croyez bien qu'elle est particulièrement sensible à cette balance entre les différents bénéficiaires, que ce soit dans le cadre du retrait ou de l'autorisation résultant de nos décisions.

Votre question précédente portait sur la chlordéconémie. Ce que disent nos résultats, c'est que 10 % des échantillons environ se situent entre 10 et 100 fois au-dessus de la valeur la plus basse. Mais nous ne savons pas bien interpréter ces 10 %, dans la mesure où nous ignorons quelle est la valeur critique d'imprégnation – même si nous voyons bien qu'il y a des dépassements de la valeur toxicologique de référence.

Il est évident qu'une partie de la population est surexposée et qu'il convient de limiter l'exposition par toutes les recommandations possibles. Le directeur général de la santé ne dira pas autre chose, et beaucoup de propositions allant dans ce sens ont été faites dans le cadre du plan chlordécone – que Jean-Luc Volatier ici présent suit pour le compte de l'agence.

Il n'est ni dans les compétences ni dans la mission de l'ANSES de faire des propositions au ministère concernant la mise en oeuvre d'un test. Mais il est vrai que nous sommes confrontés dans nos études à un problème de qualité : peu de laboratoires sont agréés et capables de réaliser les tests avec précision. Lors de ma visite d'un jardin JAFA en Guadeloupe la semaine passée, l'association m'a expliqué que deux carottages pratiqués à 50 centimètres de distance pouvaient donner des valeurs très différentes, et qu'un carottage testé deux fois pouvait donner des valeurs différentes à 50 % !

Nous faisons donc face à de gros problèmes analytiques. La chlordécone pouvant être liée de façon plus ou moins forte à la matrice, on obtient des résultats différents selon que le test porte sur les aliments, le plasma ou la terre. De la technique d'extraction dépend la sensibilité du test, une difficulté à laquelle il faut ajouter celle de la mauvaise reproductibilité. L'Institut Pasteur de Guadeloupe est en train de travailler à l'élaboration d'un test à la fois sensible et reproductible.

Les associations de médecins libéraux que nous avons rencontrées en Martinique et en Guadeloupe ont soulevé cette question. C'est une question complexe, qui interroge aussi la façon dont on peut aider le consommateur potentiellement contaminé. Si l'on dit aujourd'hui à des personnes qu'elles peuvent dormir tranquilles car leur taux de contamination est de 0,000001 microgramme par litre, certaines ne nous croiront pas. Car le taux est réputé bas, mais par rapport à quoi ? Si les conclusions sont évidentes pour les personnes qui se trouvent en haut de la courbe de distribution et présentent des taux élevés, les personnes fragiles présentant un taux bas peuvent s'inquiéter de leur situation. Dans ces conditions, que doit proposer leur médecin ? Tant que nous serons incapables de donner des valeurs repères permettant d'assurer l'absence de risque, les risques psychosociaux existeront.

Ces fameux tests font l'objet de discussions dans le cadre du plan chlordécone IV. En fonction du type d'utilisation, a-t-on forcément besoin de mesures sensibles et précises ? La question n'est pas toujours celle des moyens financiers ; il faut s'interroger sur les moyens d'action que peut offrir la recherche, notamment. Nous venons de lancer avec l'Agence nationale de la recherche (ANR) un appel à candidatures pour des tests rapides, beaucoup moins précis et sensibles, mais bien plus informatifs. Est-il utile d'informer les personnes qu'elles ont 10-4 microgramme par litre ? Si nous disposions de seuils, nous pourrions leur dire, grâce à des tests meilleur marché, qu'elles se trouvent en-dessous de la valeur limite et qu'il n'y a donc pas de problème sanitaire.

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