Intervention de Pierre-Loïc Saaidi

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 14h00
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l'Université d'Évry-Val-Essonne :

Le chlordécone est un peu comme une gouttelette sur une poêle antiadhésive : avec l'ensemble des chlores présents à sa surface, elle va passer à travers beaucoup de milieux sans être forcément attaquée ou reconnue par les organismes vivants. Elle a donc une forte persistance du fait de ce « scaphandre ». Cela le rend hermétique aux attaques ou aux modalités classiques de dégradation. Parallèlement, du fait de son hydrophobie, elle aura tendance à se fixer sur des matières aux propriétés similaires et à se concentrer au niveau de la chaîne alimentaire. Elle est peu biodisponible – les eaux de ruissellement et la percolation vont l'entraîner, mais moins que d'autres pesticides.

Sur la première diapositive que je vous ai présentée, à gauche de la carte de la Martinique, on retrouve des structures chimiques, dont celle de la chlordécone (CLD) en vert. Aujourd'hui encore, certains chercheurs la dessinent sous une certaine forme et d'autres, comme nous, la visualisent sous sa forme réelle, hydratée, telle qu'elle est présente dans l'environnement. Cela montre à quel point, malgré toutes les recherches réalisées par de nombreuses équipes dans des domaines très variés, la molécule questionne encore. Certaines personnes utilisent la mauvaise structure pour tenter de comprendre son comportement dans l'environnement et en tirer des conclusions. Or il faut utiliser la structure hydratée, celle qui comporte deux hydroxydes (OH).

Vous m'avez interrogé sur sa dégradation naturelle : nous avons simplement mis en évidence que le chlordécone se dégrade et génère des produits de dégradation en même quantité. Bien sûr, il faudrait que des laboratoires d'analyses réalisent des investigations complémentaires – ils ont les capacités analytiques que nous n'avons pas : nos études portent sur une douzaine d'échantillons. Même si plusieurs analyses ont été réalisées sur chaque échantillon pour conforter nos conclusions, il s'agissait d'une simple étude prospective. Habituellement, une campagne d'analyses correspond à plusieurs centaines d'échantillons, qui sont analysés et réanalysés.

S'agissant de sa dégradation naturelle, il faut se poser la question de la vitesse. Sachant que le chlordécone a été utilisé il y a vingt à trente ans et que les produits de dégradation correspondent en quantité au chlordécone, on pourrait se dire que, dans vingt ou trente ans, tout aura disparu. Mais on ne peut raisonner de cette façon car on ignore quand la dégradation a commencé dans les sols – peut-être il y a quelques années, peut-être il y a quarante ans. Nous ne savons donc pas si c'est une dégradation sporadique, liée aux épisodes cycloniques ou de pluie – il est possible que les conditions climatiques aient des conséquences. En outre, il faut prendre en compte un autre paramètre : a priori, les produits de transformation n'ont pas le même comportement dans l'environnement que le chlordécone – certains sont plus accrochés dans les sols. Pour le moment, nous avons une image statique, alors qu'il faudrait envisager le problème de manière dynamique.

Un grand consortium d'équipes – disposant de toute la palette des compétences d'analyses – devrait donc poursuivre les recherches pour répondre à votre question.

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