Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du mardi 3 mars 2020 à 22h15
Motions de censure — Explications de vote (motion de censure de m. andré chassaigne m. jean-luc mélenchon et mme valérie rabault)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

… injustice faite à ceux qui commencent tôt, injustice faite à ceux dont les métiers sont pénibles, injustice faite aux femmes.

C'est le rejet d'une réforme qui change radicalement la philosophie du système de retraite : substituant un système d'assurance à une logique d'assistance, elle exonère les plus riches de 4 milliards d'euros de cotisations sociales et installe les retraités les plus modestes dans des trappes à basses pensions. En effet, 30 % des pensionnés et 40 % des femmes relèveront du filet de sécurité – ce qui n'est guère un progrès, d'autant que vingt ans après la liquidation de ces pensions, le minimum contributif ne sera plus équivalent à 85 % mais à 70 % du SMIC.

C'est une réforme qui grave dans le marbre une règle d'or, celle de l'équilibre financier du système à laquelle sera soumis tout le reste : la valeur du point, le taux de remplacement, le niveau des pensions, la part des retraites dans le PIB. La règle d'or du Gouvernement sera la règle de plomb de tous les retraités et la camisole des partenaires sociaux – car loin de leur rendre la main, vous étatisez le système.

Cette réforme se traduira par la baisse de 25 à 30 points des taux de remplacement des pensions et la chute irrémédiable du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs au point d'atteindre les écarts des années 1980, gommant ainsi quarante ans de progrès. Elle est percluse de fausses promesses comme celle de l'augmentation de la rémunération des enseignants et du maintien du niveau de leurs pensions – une promesse non seulement falsifiée mais inconstitutionnelle, payée avec de la fausse monnaie !

C'est une réforme qui plaide en faveur du progrès mais qui durcit les choses pour les chômeurs et les personnes ayant une carrière longue, et qui laisse sur le bord du chemin les agriculteurs déjà à la retraite, oubliant en outre la question de la pénibilité et, avec elle, les travailleurs du secteur du bâtiment et des travaux publics ou de l'industrie, les caissières et les égoutiers.

En clair, c'est une réforme mal préparée, mal maîtrisée, mal financée et mal exécutée, qui conduit notre modèle social dans le mur – un modèle social qu'il faudra, dans moins de dix ans, le ramasser à la petite cuiller.

Cette motion de censure est aussi le fruit du rejet de votre méthode de gouvernement, qui ne saurait se réduire au seul recours au 49. 3 : c'est une pratique institutionnelle que caractérisent l'unilatéralisme, la verticalité et le contournement des corps intermédiaires – syndicats, partis politiques ou élus qui, selon vous, sont les refuges du conservatisme.

Pour vous, guidés par une forme de positivisme, toute opposition constitue un refus de regarder le monde en face, et tout désaccord de la basse politique. Vous n'aimez pas la contradiction ; vous abhorrez l'obstruction. Vous voudriez que les désaccords et les colères qui s'expriment partout en France s'arrêtent aux portes de l'Assemblée. Ils y ont pourtant leur place symbolique et ils y ont aussi leurs voix, celles des oppositions qui, dans leur diversité et selon leurs méthodes, assument avec honneur l'exigence de représenter les Français.

« Le peuple n'a pas besoin de tuteur ni de maître, il a besoin de guides honnêtes et intelligents qu'il s'est lui-même choisis. Le tort des hommes qui nous dirigent, c'est de ne pas croire à la possibilité de cette démocratie libérée » disait Lamartine. Votre tort est de ne pas croire à la possibilité de cette démocratie libérée, vivante, exigeante aussi. Votre tort, c'est la conviction qui vous anime jusqu'à l'aveuglement d'avoir toujours raison envers et contre tout, envers et contre tous. Votre tort est de confondre la réforme et la liquidation, de tenir la réforme pour un objectif en soi et d'ébranler les compromis républicains construits avec patience et qui ont survécu aux alternances. Il ne suffit pas de citer Croizat, de Gaulle, Rocard ou Jaurès pour s'inscrire dans une histoire !

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