Intervention de Sabine Rubin

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin, rapporteure :

J'ai l'honneur et le plaisir de présenter ce matin à la commission des Affaires culturelles une proposition de loi tendant à promouvoir et à démocratiser l'accès aux colonies de vacances.

Notre propos n'est pas ici de renouer avec l'âge d'or des colonies de vacances de l'après-guerre, qui s'est notamment traduit par la création d'une direction de la jeunesse et des sports placée sous l'égide de l'Éducation nationale. Cet âge d'or, bien qu'il relève dans une certaine mesure du mythe, a vu la consécration des valeurs et des mouvements de l'éducation populaire. Il s'agit surtout de remédier aux conséquences néfastes que comporte l'effacement d'acteurs importants de l'éducation populaire qui, grâce à un savoir-faire accumulé au fil des générations, peuvent proposer un cadre propice, d'une part, à l'affirmation et à l'émancipation de jeunes êtres en devenir, et, d'autre part, à l'apprentissage de la vie en collectivité.

La société française cherche les moyens de retisser les liens ayant longtemps permis à ses membres de se retrouver sur l'essentiel. À bien des égards, les tensions qui agitent la communauté nationale révèlent aussi l'affaiblissement d'institutions qui ont oeuvré à l'intégration de populations en réalité diverses. De notre point de vue, les colonies de vacances font partie de ces institutions. Par conséquent, il importe de supprimer les obstacles qui conduisent de nombreuses familles des classes moyennes et populaires à se détourner de ce mode de loisir.

Ce mode de loisir souffre d'une certaine désaffection. Pour l'exercice 2018-2019, les chiffres du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse font état de 1,45 million de départs en colonies de vacances. Cela traduit un assez net recul par rapport au pic de fréquentation observé en 1995, et il n'y a pas de perspective de retournement durable. La baisse est lente mais continue depuis plus de vingt ans ; elle se mesure tant du point de vue du nombre de séjours proposés que de leur durée – en dix ans, ceux-ci sont passés respectivement de 30 000 à 25 000 et de 7,2 jours à 6,74.

Les raisons de cette désaffection sont diverses. Les premières sont d'ordre sociologique et liées aux ferments de transformation de la société française. Je pense ici à l'accroissement du temps libéré pour la vie de famille et aux attentes nouvelles à l'égard de l'offre de loisirs et de vacances – bien que l'on constate une forme de regain pour le scoutisme. Il faut aussi prendre en considération l'impact des politiques publiques et de l'action des comités d'entreprise, qui ont cherché à répondre à l'évolution de la demande sociale en ce qui concerne les modes de garde des enfants et la pratique des loisirs. Je me réfère en la matière aux travaux réalisés en 2013 par le député Michel Ménard, dont les constats demeurent d'actualité. Ils ont montré qu'il y avait une réorientation des aides des collectivités territoriales et des caisses d'allocations familiales (CAF) vers le soutien à des accueils de loisirs sans hébergement et de proximité. À cela s'ajoute un rapport plus distancié aux colonies de vacances. Certains parents, faute d'en avoir eux-mêmes fait l'expérience, n'envisagent tout simplement pas d'y inscrire leurs enfants. Le retentissement médiatique d'accidents ou d'affaires de pédophilie alimente parfois aussi, malgré leur nombre infime, les craintes quant à la sécurité physique et morale d'enfants qui sont jugés – à juste titre – trop jeunes pour se défendre.

La présente proposition de loi ne saurait prétendre à dissiper toutes les réticences et les préventions liées à la perception biaisée des colonies de vacances. En revanche, elle peut contribuer à remédier à un problème dont nul ne peut raisonnablement contester la réalité, je veux parler des restrictions liées au coût croissant des colonies de vacances. De fait, les séjours organisés dans ce cadre représentent désormais un véritable secteur économique. On y trouve de nombreuses associations et de nombreux organismes à but non lucratif qui, bon an mal an, entretiennent la tradition des mouvements de l'éducation populaire. Mais d'autres opérateurs raisonnent selon une logique de marché et misent sur le développement d'offres de séjour fondées sur une surenchère d'activités supposées valorisantes. Il en résulte une concurrence nouvelle qui, avec le relèvement des normes d'accueil et la charge de l'entretien du patrimoine immobilier, constitue un facteur essentiel du renchérissement des séjours en colonie de vacances.

Certains de nos collègues semblent estimer que l'existence de multiples dispositifs d'aide et l'action des CAF suffisent à répondre aux besoins des classes moyennes et populaires face à l'augmentation du coût des colonies de vacances. Mais si on considère le profil des enfants qui les fréquentent, on voit que la réalité est tout autre. En 2011, déjà 88 % des familles interrogées déclaraient qu'elles n'auraient jamais pu faire partir leur enfant en colonie de vacances sans un soutien financier extérieur. L'étude réalisée en 2009 par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) et par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse ne dément vraiment pas le besoin d'un apport supplémentaire de financement. Elle établit que si 28 % des enfants dont les parents gagnent 6 000 euros par mois partent en colonie de vacances, ce pourcentage n'est plus que de 10 % à 12 % lorsque le revenu mensuel des parents est inférieur à 3 000 euros. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. C'est précisément le constat de ces entraves financières qui motive les deux principales dispositions du texte déposé par le groupe La France insoumise.

En premier lieu, cette proposition de loi comporte la création d'une aide au départ en colonie de vacances, attribuée aux familles sous conditions de ressources, pour les enfants et adolescents de 4 à 17 ans. En second lieu, afin de sanctuariser les ressources nécessaires à une politique d'égalité dans l'ensemble du territoire, notre texte propose de créer un fonds national de solidarité dont le financement reposerait sur l'affectation d'une taxe portant sur l'hôtellerie de luxe.

J'ai lu et j'entends déjà les objections que pourrait soulever l'instauration d'une telle structure et d'un tel mode de financement, mais il ressort très clairement de l'ensemble de mes travaux que le soutien actuel au départ en vacances, et a fortiori en colonie de vacances, se révèle finalement assez modeste et, surtout, tributaire de la politique suivie par les CAF, les communes et les comités d'entreprise.

S'agissant de la mise à contribution de l'hôtellerie de luxe, l'honnêteté serait de reconnaître qu'il ne s'agit en rien d'une novation : le Parlement a en effet adopté le principe d'une taxe de 2 % sur la location de chambres et les prestations de pension et de demi-pension d'une valeur supérieure ou égale à 200 euros par nuitée dans le cadre de la loi de finances rectificative du 19 septembre 2011. Cette proposition de loi propose un prélèvement progressif ayant la même assiette. Dès lors, je ne pense pas que l'on puisse juger cette mesure déraisonnable ou d'un poids disproportionné pour le secteur de l'hôtellerie. D'autant qu'année après année, la France confirme son statut de première destination touristique mondiale et la situation de ce secteur apparaît autrement plus florissante qu'à l'issue de la grande crise de 2008.

Dans un même souci de mesure et d'exactitude, je vous proposerai tout à l'heure un certain nombre d'amendements visant à garantir l'efficacité du dispositif. Il s'agit notamment de réécrire l'article 3 qui tend à créer un guichet unique d'information des familles sur les colonies de vacances et les aides existantes. Nous n'entendons pas méconnaître les difficultés pratiques qui pourraient résulter de la centralisation de l'information pour les établissements scolaires. Néanmoins, il importe de s'assurer qu'il existe en tout point du territoire un dispositif solide qui permette à chacun de prendre connaissance des séjours proposés par les colonies de vacances et du soutien apporté par les collectivités publiques en la matière. C'est pourquoi nous proposons un schéma grâce auquel les familles pourront accéder aux informations dans des lieux qu'elles fréquentent.

Mes chers collègues, selon une formule célèbre, « l'art de gouverner ne consiste pas à rendre souhaitable ce qui est possible. Il consiste à rendre possible tout ce qui est souhaitable. » J'espère que vous saurez faire vôtre cette maxime et que vous adopterez sans ambages un texte inspiré par trois valeurs d'humanité que nous pouvons tous partager : la réduction des inégalités, l'éducation et le soutien à la jeunesse, dans la perspective d'apprendre très tôt à vivre ensemble.

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