Intervention de Clémentine Autain

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain, rapporteure :

C'est la deuxième fois que je viens dans votre commission, puisque vous m'aviez déjà reçue l'année dernière à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi visant à la gratuité des permis de conduire. Vous n'aviez alors pas répondu favorablement à notre proposition ; j'ose espérer qu'il en ira différemment ce matin avec le texte que je vous présente.

Cette proposition de loi a un objet assez simple, puisqu'il s'agit de rendre les cantines vertueuses, c'est-à-dire accessibles à toutes et à tous, sans discrimination selon l'origine sociale, donc sans exclusion des enfants issus de milieux défavorisés. Le concept de cantine vertueuse renvoie aussi, pour l'ensemble de la restauration collective, à une transition vers une alimentation saine et durable, c'est-à-dire vers l'agriculture biologique, les circuits courts et une juste rémunération des producteurs. En résumé, une cantine vertueuse est une cantine qui répond à la triple urgence climatique, sanitaire et sociale.

J'entends déjà certains affirmer que le Gouvernement est très engagé sur le sujet, et que La République en marche, se souciant des enfants pauvres, propose déjà la cantine à 1 euro. Nos collègues de la majorité, qui auraient, me dit-on, le souci du bien manger, promettent pour cela 20 % de bio dans les cantines d'ici à 2022. En réalité, ces mesures sont à des années-lumière du nécessaire et de l'urgence à la fois climatique, sanitaire et sociale que j'évoquais il y a quelques instants.

Parlons tout d'abord de la gratuité des cantines. Aujourd'hui, ce sont pas moins de 40 % des enfants issus de milieux très défavorisés qui ne sont pas inscrits à la cantine de leur établissement, et cette proportion atteint même 75 % dans les établissements classés en zone d'éducation prioritaire renforcée (REP+) – de mémoire, seulement 17 % des enfants des milieux plus favorisés ne fréquentent pas la cantine. Au sein des établissements classés en REP, les trois quarts des enfants pauvres ne vont pas à la cantine parce qu'elle est trop chère.

Relevons également que le fait pour un enfant de ne pas manger à la cantine oblige généralement sa mère à rester à la maison pour lui préparer son repas, ce qui empêche de nombreuses femmes de se socialiser et de chercher un emploi. En permettant aux personnes concernées de sortir de cette situation, notre proposition revêt donc un aspect vertueux supplémentaire, relatif à l'égalité hommes-femmes.

Derrière les chiffres, il y a des conséquences graves en termes de santé publique. L'obésité infantile progresse d'année en année sous les coups de boutoir de la malbouffe, de la consommation excessive de viande et des produits ultra-transformés. Les enfants pauvres ont quatre fois plus de chances d'en être victimes que les enfants de milieux socialement favorisés. Sans cantine pour apprendre les bonnes pratiques alimentaires et manger sainement au moins un repas par jour, cela n'est évidemment pas près de s'arranger. C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent s'engager fortement pour améliorer la situation.

Les propositions qu'a faites le Gouvernement sont très insuffisantes pour répondre au défi qui se présente à nous. Le plan prévoyant un petit-déjeuner gratuit à l'école ainsi que la cantine à 1 euro sont des mesures relevant de la pure communication. Beaucoup de communes proposent déjà aux familles les plus démunies des repas à un prix inférieur ou égal à 1 euro. Je ne pense pas que ces familles voient un motif de se réjouir dans le fait qu'on leur promette une chose qui existe déjà… J'ajoute que, dans certaines communes confrontées à d'importantes difficultés financières, l'aide de 2 euros par repas proposée par le Gouvernement ne suffira pas pour que les repas soient servis à 1 euro. Une telle mesure ne pourrait, en effet, être mise en oeuvre qu'au prix de pertes financières pour des collectivités qui, nous le savons, sont déjà étranglées par les mesures d'austérité budgétaire qu'on leur impose.

Puisque le Gouvernement ne propose rien de très concret, nous souhaitons avancer vers la gratuité des cantines scolaires, une mesure s'inscrivant dans la continuité du principe de gratuité de l'éducation nationale, bien que celui-ci recule de jour en jour à l'école, où l'on demande sans cesse aux parents 1 euro par-ci pour une photocopie, 2 euros par là pour autre chose. Nous pensons que les biens communs se renforcent grâce à la gratuité pour l'ensemble de l'éducation. À l'intérieur du temps scolaire, la cantine pourrait tout à fait, demain, faire partie du bien commun au travers de cette ambition de gratuité qui permet d'avancer vers l'égalité et le partage. C'est pourquoi nous proposons la gratuité de la cantine à tous les niveaux d'enseignement, de l'école primaire au lycée en passant par le collège.

Des cantines vertueuses, ce sont aussi des cantines où l'on mange bien. La loi EGALIM prévoit qu'à l'horizon 2022, 50 % des produits servis dans la restauration collective publique devront satisfaire un certain nombre de conditions, tenant notamment à la qualité des produits ou à leur impact sur l'environnement. Parmi ces 50 %, au moins 20 % des produits devront être issus de l'agriculture biologique. S'il s'agit là d'un premier pas, on ne peut sérieusement affirmer qu'il est suffisant : en 2018, seulement 4 % des produits consommés en restauration collective étaient bio, bien loin des 20 % promis pour 2022. Il faut impérativement aller plus loin en la matière en rehaussant les exigences légales.

Soutenir la consommation de produits bio dans les cantines, c'est aussi soutenir la transition vers le bio de l'agriculture française, de plus en plus nécessaire et de moins en moins proche au fil des renoncements et des promesses non tenues. Comme l'a souligné la Cour des comptes dans un récent référé, la trajectoire de sortie du glyphosate annoncée par le Gouvernement n'aura pas lieu, car la consommation de ce pesticide, dont les effets toxiques sur la santé sont connus, ne cesse de progresser : de 2009 à 2016, les volumes utilisés ont augmenté de 16 %, alors qu'ils auraient dû diminuer de 50 %. Pendant ce temps, 7,5 % seulement de la surface arable utile est consacrée à l'agriculture biologique.

Chaque année, 4 milliards de repas sont servis en restauration collective, pour un chiffre d'affaires de 16 milliards d'euros. Nous proposons de mettre ces sommes au service de la bifurcation écologique. Notre proposition de loi, modifiée par mon amendement à l'article 4, porte à 80 % la part de produits dans les cantines devant répondre à l'un des critères posés par la loi EGALIM et à 70 % la part de produits bio. En un second volet, tout aussi important, ce même amendement propose également d'inscrire les produits acquis dans le cadre de projets alimentaires territoriaux parmi les produits comptant pour le seuil de 80 % précédemment évoqué : en d'autres termes, il s'agit de soutenir les circuits locaux et l'approvisionnement de proximité, afin de réduire la distance entre l'endroit où le produit est récolté ou fabriqué et celui où il est consommé.

Toutefois, ce n'est pas tout de fixer de nouvelles obligations ; il faut également réfléchir aux modalités de mise en oeuvre de cette ambition. C'est pourquoi, en complément des objectifs que je viens de présenter, la proposition de loi prévoit la mise en place de dispositifs de formation à destination des acteurs de la restauration collective, afin de les sensibiliser aux enjeux écologiques et de permettre aux cantines de réussir le passage à une alimentation saine et durable. Par exemple, la réduction du gaspillage, qui atteint un niveau assez dramatique dans nos cantines, permettrait de dégager des économies importantes et d'acheter des produits équitables pour les producteurs.

Toutes ces mesures ont évidemment un coût pour les collectivités territoriales. Nous en avons tout à fait conscience et, contrairement au Gouvernement, nous ne prétendons pas donner aux collectivités d'une main pour mieux les plumer de l'autre. Le coût pour les communes, les départements et les lycées de la gratuité et du passage au bio sera, dans le cadre de notre proposition, entièrement compensé par l'État sous la forme d'une majoration de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Nous n'entendons pas déléguer une compétence nouvelle aux collectivités, ni les obliger à se débrouiller pour mettre en oeuvre la gratuité ; il s'agit bien que l'État prenne en charge cette compensation financière de façon durable. Notre proposition ne porte donc aucunement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, ni à celui de leur autonomie financière. La Cour des comptes a publié hier son rapport public annuel 2020 où elle évoque, dans le chapitre consacré aux cantines, « la nécessité d'investissements lourds et coûteux » dans les écoles primaires. Pour vous donner une idée du montant de ces investissements, les cuisines centrales nouvelles qui doivent d'être installées à Nanterre représentent un coût de 5 millions d'euros, ce qui n'est pas une petite somme, même s'il s'agit d'un investissement ayant des répercussions très positives sur de nombreux points, notamment en termes d'embauches sur le territoire concerné.

Pour ce qui est du financement de ces mesures par l'État, je précise d'emblée que, dans le cadre d'une proposition de loi, le seul moyen auquel nous puissions recourir consiste en la création de taxes. Il existe une multitude de mesures de nature à permettre de dégager des marges de manoeuvre afin d'investir dans des propositions à caractère utile, solidaire et écologique : à ce titre, je pourrais vous parler pendant des heures des quatorze tranches d'impôt sur le revenu… Je vois que certains de nos collègues me regardent avec des yeux ronds, pourtant c'est un fait : on pourrait refondre toute la fiscalité et ainsi dégager des milliards d'euros !

En l'occurrence, nous avons choisi de vous faire deux propositions très simples à mettre en oeuvre. La première consisterait à rétablir l'impôt sur la fortune, ce qui rapporterait 3,5 milliards d'euros, c'est-à-dire exactement ce que coûterait la gratuité des cantines. On pourrait parvenir au même résultat de bien d'autres façons, par exemple en supprimant la flat tax ou les avantages accordés aux entreprises au titre des mesures ayant remplacé le CICE : bref, nous avons là un véritable puits sans fond où nous pourrions trouver des milliards et des milliards d'euros qui nous permettraient de faire des choses utiles.

Notre seconde proposition consiste à financer entièrement le passage au bio par la mise en oeuvre d'une taxe nouvelle sur les entreprises commercialisant des pesticides. Cette mesure présenterait un autre avantage, celui de nous faire sortir plus vite des produits phytosanitaires, grâce à la sanction financière qu'elle représenterait pour les entreprises du secteur. Nous ferions donc ainsi d'une pierre deux coups.

En conclusion, avec des cantines gratuites, écologiques et orientées vers les produits locaux, nous pouvons améliorer la santé de nos enfants comme la nôtre. C'est de cette manière que nous garantirons un modèle alimentaire soutenable pour les décennies à venir, et je pense que nous avons là l'occasion d'accomplir une avancée majeure, à condition de ne pas nous payer de mots. Nous pouvons nous donner les moyens de le faire, pour nos enfants et pour l'avenir de la planète.

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