Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, rapporteur :

Il n'y a pas de circulaire, il n'y a pas de règlement. Donc, on s'y met ! Cela fait dix-huit mois que, face à la détérioration des rapports entre la police et la population, on attend une réaction du ministère de l'Intérieur ; comme rien ne vient, nous sommes bien obligés de faire des propositions !

Ce texte ne vise pas à interdire l'amenée au sol, il reste possible de placer une personne sur le ventre. Mais, ainsi qu'il est indiqué dans le manuel d'intervention de la gendarmerie, nous voulons que ces techniques soient réalisées sans qu'une pression sur le thorax ou sur l'abdomen, de nature à entraver les voies respiratoires, soit exercée. Tel est le périmètre, au fond très réduit, de cette proposition de loi.

Je suis assez en accord avec ce qu'a dit Guillaume Larrivé. L'hétérogénéité des pratiques dans la police pose problème. Elle est due à un flou originel de la doctrine, qui n'est pas clarifié. Cela tient aussi à des raisons sociologiques, en premier lieu à l'éclatement du corps policier. Contrairement à la gendarmerie, le corps policier est décomposé en petites unités ; la chaîne de commandement se délite. Par ailleurs, le manque de temps, une denrée rare, entrave le commandement. Les « contremaîtres » de la police, les brigadiers, n'ont plus le temps de faire la liaison entre les commandants et le terrain. À cela s'ajoute une détérioration du temps social : les temps de repas collectif, cantine ou sandwich, ou de sport en commun disparaissent. Il n'y a plus de réflexion collective sur ce que l'on vient de faire, il n'y a plus de retour du commandement, plus de comparaison à la doctrine ou de rappel de la théorie par des temps de formation. Tout cela concourt à l'éclatement des pratiques.

La formation initiale a été réduite parce que l'on a préféré une police de la quantité à une police de la qualité : on a voulu faire du chiffre sur le terrain, dans les interventions, au détriment de la qualité. Il nous a été rapporté que la formation continue avait quasiment disparu, les formateurs étant eux-mêmes mobilisés dans les manifestations. Nous assistons à un délitement complet de ces temps de formation, qui sont pourtant l'occasion de rappeler la doctrine, le moment où s'unifie le corps de police.

Sans vouloir polémiquer, je rappellerai, chers collègues, que vous avez voté des crédits pour la formation de la police en baisse de 1 million d'euros. On se rend compte que la formation ne convient pas, et on réduit encore les crédits de 5 % ! Si nous sommes tous d'accord pour dire qu'il existe un problème, votons un budget qui soit à la hauteur !

Pour écrire De la police en démocratie, Sebastian Roché s'est rendu à l'académie de police au Danemark, où il a relevé que la notion prééminente était celle de la confiance, une notion absente de l'enseignement du corps policier français – dont il a été limogé depuis. Il note que « rechercher la confiance des citoyens n'est pas une idée centrale dans l'école de police », ajoutant : « force doit rester à la loi, ce sont les policiers qui doivent avoir raison, par la force s'il le faut : c'est la devise de l'enseignement policier en France ». L'auteur appelle cela une « infirmité relationnelle ».

Je suis chargé d'une mission d'information sur les métiers du lien – assistants maternels, animateurs périscolaires, auxiliaires de vie scolaire. Au fond, policier, c'est un métier du lien, un lien parfois rude, exercé dans des territoires compliqués, dans des situations malaisées. Mais la communication, le dialogue, la façon d'approcher les gens, y compris dans les quartiers difficiles, ne sont pas mis au centre de la formation initiale.

Sebastian Roché montre que les policiers danois apprennent à comprendre la société, l'organisation, l'individu. Ils sont formés à la diversité des populations et aux droits des personnes. On leur enseigne que la police appartient à la société et que la confiance est fondamentale pour remplir leur mission : « Les jeunes policiers sont sensibilisés au fait que la police, par leur action individuelle, dont ils ont la responsabilité, doit gagner la confiance des citoyens. On remarquera la différence entre un système de formation qui met l'accent sur la force dans la relation aux citoyens et cet autre qui enseigne le fondement consenti de l'autorité. »

Sebastian Roché ajoute : « Je n'ai jamais entendu un tel discours au sein du système policier de formation français, dans lequel je travaille depuis vingt ans. Il a ses mérites, il serait injuste de ne pas le reconnaître, mais clairement, cette finalité n'y est pas assez affirmée. Dans les modules danois d'enseignement, une part importante est faite à l'analyse de leurs propres pratiques. Ainsi, si lors d'un exercice, les étudiants danois choisissent de réaliser un contrôle d'identité, les élèves doivent se montrer capables d'expliquer à leurs professeurs pourquoi ils agissent ainsi. Le but recherché est de favoriser la réflexion du policier, qui doit constamment se référer à l'effet de sa pratique et ne pas se contenter de connaître son cadre légal. Les Danois appellent cela “police réflexive” ».

Notre proposition se limite à un point réduit, concernant une technique. Mais il est évident que le décès de Cédric Chouviat ne s'explique pas par le seul usage d'une technique, il découle aussi d'une attitude, d'un rapport de la police aux citoyens.

Je ne cherche pas à incriminer les policiers. Alors que je l'interrogeais, un responsable de l'UNSA m'a répondu : « Je vous renvoie l'ascenseur. Qu'est-ce que le politique attend du policier ? Est-ce qu'il attend qu'en situation de crise, il fasse trois pas en arrière, ou est-ce que force doit rester à la loi, comme on l'apprend à l'école de police ? » Voilà la vraie question : qu'attendons-nous des forces de sécurité ? C'est bien le politique qui trace les contours de la police qu'il souhaite, notamment par la formation, par le rapport aux citoyens, par les politiques d'intervention. Le délégué de la CFDT m'a expliqué que la police avait attrapé la « bâtonnite » ; comme les écoliers, de retour au commissariat, ils font des bâtons dans leur cahier, un par interpellation : « Il vaut mieux arrêter deux “shiteux” qu'un trafiquant, c'est mieux pour les statistiques ». Il est évident que, quand une relation doit déboucher systématiquement sur une interpellation ou une garde à vue, la politique du chiffre contribue à détériorer les rapports entre citoyens et policiers.

Je conclurai en citant encore Sebastian Roché : « Le gardien de la paix est un peu comme l'ouvrier qualifié à qui est confiée une tâche partielle dans une usine automobile. Ce n'est pas de lui qu'il faut se plaindre si le modèle de voiture produit est trop cher et peu fiable, ou encore s'il contient un logiciel truqué. C'est aux ingénieurs qui ont conçu la voiture qu'il faut s'en prendre et même, au niveau supérieur, à ceux qui ont décidé la production du véhicule et son prix. On peut trouver de bons ou de mauvais ouvriers, mais ils ont été recrutés, formés, encadrés, promus, suivant des règles édictées par les chefs de la police et même par les chefs des chefs de la police. » Les chefs des chefs de la police, ce sont les politiques. Les politiques ont la responsabilité de dire quelle police ils veulent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.