Intervention de Olivier Marleix

Réunion du mercredi 4 mars 2020 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix :

La proposition de La France insoumise devrait faire consensus, d'abord parce qu'elle se borne pour l'essentiel à transposer la directive communautaire sur la protection des personnes signalant des violations du droit de l'Union, en se gardant d'une transposition excessive ou dangereuse – on a connu de la part du groupe d'Ugo Bernalicis des propositions plus radicales et plus insoumises ! Je suis donc satisfait par ce texte.

C'est ensuite la protection des lanceurs d'alerte qui doit en elle-même faire l'objet d'un consensus : il s'agit de personnes qui ont le courage, au prix de leur emploi, de leur situation matérielle et de leur tranquillité d'esprit, de mettre au jour des dispositifs de corruption, de blanchiment, de fraude fiscale, pour certains déployés à l'échelle mondiale, ou encore de nocivité dissimulée de certains produits.

Leurs alertes peuvent être lancées contre des organisations et des entreprises disposant d'une puissance considérable, il faut donc leur fournir une protection adaptée. Je pense notamment à Stéphanie Gibaud, qui a révélé le mécanisme de fraude fiscale massive organisé par la société UBS – le tribunal de grande instance de Paris a condamné UBS à payer une amende de 3,7 milliards d'euros, et à verser à l'État français 800 millions d'euros au titre des dommages et intérêts, alors que Mme Gibaud n'a bénéficié d'aucune forme de réparation. Je pense aussi à Antoine Deltour, qui a mis au jour le scandale des LuxLeaks, ou au rôle joué par le docteur Irène Frachon dans l'affaire du Mediator.

Il y a sans doute dans notre pays un problème culturel vis-à-vis de l'alerte, car un amalgame dangereux est complaisamment entretenu entre le mauvais usage de la dénonciation – la délation, sournoise et honteuse – et son bon usage, lorsqu'il s'agit de dénoncer courageusement des crimes ou des délits portant gravement atteinte à l'intérêt général. Il y a entre les deux une différence fondamentale d'intention : le lanceur d'alerte ne cherche pas à nuire mais à protéger. Il se caractérise aussi par une manière de procéder ; de ce point de vue, le respect d'une procédure graduée me semble nécessaire – nous avions beaucoup insisté là-dessus au moment des discussions sur la loi Sapin 2 –, car il est le gage de la bonne foi du lanceur d'alerte, qui révèle des pratiques qu'il ne peut plus, en son âme et conscience, supporter.

Le groupe Les Républicains est donc partisan à la fois d'une définition stricte et d'une protection forte : le pire des systèmes est celui qui donnerait une définition trop large du lanceur d'alerte, tout lui en offrant une protection molle ; c'est encore à cela que ressemble notre droit en la matière. Il est dangereux d'encourager des dénonciations sans que des garanties de protection suffisantes soient apportées à leurs auteurs. Il faut un système équilibré, permettant, d'une part, de décourager les dénonciations calomnieuses et les manipulations éventuelles de la part de concurrents mal intentionnés dans le secteur économique, et, d'autre part, de protéger réellement et efficacement les lanceurs d'alerte, dans le cadre d'un dispositif gradué attestant de leur bonne foi.

Sur ces deux aspects, le texte que vous proposez va dans le bon sens, en modifiant utilement le droit en vigueur. Je pense notamment à la réintroduction d'une indemnisation sous forme d'assistance financière pour les lanceurs d'alerte. C'est évidemment un sujet crucial, puisque certains d'entre eux, comme Mme Gibaud, se sont retrouvés dans une situation personnelle épouvantable alors que l'État a bénéficié grassement de leur action.

Je salue aussi l'avancée que constituerait la mise en oeuvre d'une compétence plus clairement affirmée du Défenseur des droits. Au moment de la loi Sapin 2, nous avions déjà déterminé qu'il était le mieux placé pour s'occuper de cette question, mais sa compétence était demeurée beaucoup trop théorique. La proposition que vous faites aurait ainsi le grand mérite d'assurer l'effectivité de dispositions mal appliquées depuis la loi Sapin 2. Par exemple, un nombre très faible des collectivités de plus de 10 000 habitants se trouve en conformité avec le dispositif de recueillement des signalements internes qu'elles sont légalement tenues de mettre en place. Elles devaient l'être au 1er janvier 2018 ; cinq mois plus tard, 8,7 % des communes et 5,1 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s'étaient conformés aux obligations législatives en la matière. Aucune sanction n'est prévue par la loi, ce qui explique sans doute ce phénomène, mais nous faisons face à un immense retard qui doit être rattrapé. Une compétence plus affirmée du Défenseur des droits permettrait d'empêcher que l'inaction volontaire des collectivités locales condamne les initiatives des lanceurs d'alerte.

J'espère que nous nous retrouverons tous – notamment avec la majorité, férue de transparence et de moralisation – pour soutenir ce texte de transposition, sur un sujet à propos duquel la France a joué un rôle actif. Je serais frustré si nous sortions d'ici sans avoir pris des décisions, animés par l'idée qu'il serait urgent d'attendre – les propos de mon collègue Sylvain Waserman me le font craindre. Je me réjouis que l'on vante – une fois n'est pas coutume, en cette période de recours à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution… – la coproduction avec l'ensemble des groupes. Quant à l'idée que nous devrions prendre le temps de la mettre en oeuvre, la navette parlementaire devrait donner tout loisir d'améliorer le dispositif sur la base de la proposition de loi qui nous est proposée.

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