Intervention de Edouard Philippe

Séance en hémicycle du jeudi 19 mars 2020 à 9h00
Questions au gouvernement — Lutte contre l'épidémie

Edouard Philippe, Premier ministre :

En ce qui concerne les masques, j'ai commencé d'en parler en répondant à la question de M. Damien Abad, et le ministre des solidarités et de la santé complétera ma réponse.

Nous avons en effet pris un décret de réquisition des masques, dont il existe en France quatre producteurs, ce qui, soit dit en passant, place notre pays dans une situation plus favorable que celle de plusieurs de ses voisins européens qui n'en comptent aucun. Nous avons ainsi décidé de réquisitionner la totalité de la production et des stocks. Ce faisant, nous avons accru le nombre de masques dont nous disposons nous-mêmes en stock : ce nombre, qui avait décru avec l'utilisation des stocks d'État pour tomber à quelque 89 millions, est remonté au-dessus de 100 millions grâce à la réquisition. Le fait que la situation change tous les jours alors que l'on a tendance à figer notre parole peut donner une impression d'incohérence. Mais nous avons bel et bien accru le stock après les réquisitions.

Nous procédons aux distributions selon une doctrine d'usage que je n'ai pas décidée moi-même : ce sont évidemment les autorités de santé qui la déterminent compte tenu de la disponibilité et de la demande. Voici ce que j'ai compris de ce qu'elles disent : le port du masque par la population générale n'est pas recommandé, d'abord parce qu'il est inutile quand, en se promenant dans la rue, on respecte les gestes barrières et les distances de sécurité, ensuite parce qu'il prive de masques ceux qui en ont besoin du fait de leur activité __ les soignants, bien entendu, et tous ceux qui sont directement en contact avec les malades __ ou les malades déclarés, qui doivent les porter pour limiter la propagation du virus. Il faut donc réserver les masques disponibles à ces catégories de population.

Voilà ce que j'appelle la doctrine. Il importe de l'expliquer, de la faire comprendre, et de la respecter. Vous avez vu comme moi certains de nos concitoyens, par inquiétude __ je ne leur jetterai certainement pas la pierre __, porter un masque alors qu'ils ne sont pas au contact de malades, ni malades eux-mêmes, et qu'ils ne font pas non plus partie des personnels soignants. C'est le genre de comportement qui complique l'affectation des moyens nécessaires à ceux qui en ont le plus besoin.

Nous sommes en train de procéder à la distribution des stocks de masques aux hôpitaux, aux EHPAD et aux pharmacies d'officine, afin que les médecins libéraux, les infirmières et l'ensemble de ceux qui ont vocation à en disposer puissent y avoir accès. Ces opérations sont techniquement délicates, d'abord parce que la réquisition a compliqué la logistique, mais aussi du fait de comportements qui ne sont pas majoritaires, mais qu'il serait irréaliste d'ignorer, et qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Je songe à la disparition de stocks de masques dans certains hôpitaux ou là où ils étaient entreposés : ils ne disparaissent pas tout seuls, mais à la suite d'un vol de précaution ou pour faire l'objet de trafics sur un marché noir. Ces comportements sont inacceptables : ils mettent en danger les soignants et ils minent la cohérence et la confiance nationales. Il faut donc les réprimer et, croyez-moi, nous le ferons.

Quant à la question des tests, nous avons, dans ce domaine également, élaboré une doctrine. Au stade 1 de l'épidémie, lorsqu'il s'agissait d'éviter l'introduction du virus sur le territoire, nous avons beaucoup testé ; ce nombre élevé de tests en début d'épidémie a permis de circonscrire assez efficacement les premières apparitions du virus, ce qui nous a fait gagner un temps nécessaire. C'est ce qui s'est passé dans les Alpes ou au début de l'apparition d'un cluster dans le Morbihan.

Désormais, la doctrine consiste à tester les personnes qui présentent des symptômes de l'infection au Covid-19 et qui sont hospitalisées, les personnels soignants qui présentent des symptômes, ainsi que les deux premières personnes à présenter des symptômes au sein d'un EHPAD, de manière à pouvoir prendre très rapidement des mesures de confinement lorsque c'est nécessaire. Bref, au stade 3, la doctrine d'utilisation des tests n'a pu qu'évoluer : il ne servirait désormais à rien de tester tout le monde, préventivement ou en fonction des symptômes, car cela emboliserait nos capacités d'analyse et ne nous permettrait donc pas de réagir assez rapidement là où c'est absolument nécessaire.

Nous avons très vite mis au point un test __ je le précise car cela n'a pas été le cas partout. Mais, pour l'analyser, il faut des réactifs, donc une chaîne logistique efficace pour pouvoir continuer à les produire. Or, du fait du confinement, plusieurs lignes logistiques sont interrompues ou compliquées.

C'est l'un des enjeux auxquels nous allons être confrontés au cours des jours et des semaines à venir : faire en sorte que les consignes de confinement soient strictement respectées tout en permettant la poursuite de l'activité nécessaire au pays, qui ne se réduit pas à l'activité stratégique. Ainsi, l'arrêt d'une usine qui fabrique des emballages, dont l'activité pourrait sembler non stratégique, peut empêcher la distribution des produits agro-alimentaires, des masques ou des médicaments, ce qui crée une situation matérielle très dangereuse. Un problème de ce type, désormais identifié et résolu, a récemment affecté un centre de production de réactifs. Nous devons donc conserver, même en période de confinement, le minimum d'activité économique nécessaire à la vie du pays et à la préparation du rebond.

J'en viens précisément à votre dernière question, relative à l'économie. Les mesures d'urgence que nous allons présenter cet après-midi au Sénat et demain à l'Assemblée nationale sont massives. Vous nous demandez d'aller au-delà ; la question se posera nécessairement, mais commençons par nous concentrer sur ce que nous proposons actuellement, qui doit permettre à chaque entreprise de tenir en cette période de déstabilisation complète, de manière à pouvoir rebondir ensuite. Telle est notre logique ; elle va nécessiter beaucoup de moyens et un grand engagement de l'État, de toute la nation, des régions, qui ont annoncé qu'elles nous accompagneraient sur cette voie, et des organisations syndicales et patronales, que nous avons consultées et qui s'y sont elles aussi engagées. La situation sera tendue, elle sera difficile, mais j'ai bon espoir que, grâce à la mobilisation générale, nous puissions y faire face.

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