Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du samedi 21 mars 2020 à 9h30
Urgence face à l'épidémie de covid-19 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Je voudrais, avant toute chose, avoir une pensée pour celles et ceux de nos compatriotes touchés par la maladie ainsi que pour les familles endeuillées. Je voudrais aussi adresser notre reconnaissance infinie aux personnels soignants, dont la mobilisation sans faille force l'admiration, et remercier tous les agents des services publics et tous ceux, ouvriers, artisans, caissières, éboueurs, manutentionnaires, chauffeurs-livreurs, électriciens, postiers et gaziers, c'est-à-dire toutes celles et tous ceux aujourd'hui au travail et à pied d'oeuvre pour tenir le pays debout.

En entendant les Français applaudir chaque soir nos soignants au front contre le Covid-19, chacun sent à quel point la démocratie est aussi une fraternité, un sens civique, une vertu, une pratique morale. Les Français acceptent les sacrifices, acquiescent à l'autorité, font des compromis, se mobilisent et serrent les rangs. La gravité des circonstances l'impose. Chacun l'accepte.

Dans l'épreuve peut-être plus encore qu'à tout autre moment, la démocratie doit rester exigeante et scrupuleuse, et l'unité nationale se faire autour de cet impératif : rien ni personne ne peut laisser penser que la démocratie est le plus faible des régimes pour affronter les périls. Notre présence ici, aujourd'hui, doit être le témoignage que la démocratie est une arme dans cette guerre.

Surmonter la tension entre la nécessaire autorité du Gouvernement dans des circonstances exceptionnelles – car cette guerre, notre pays doit la gagner ! – et la continuité de la vie démocratique, sans rien céder de l'unité nationale, est le défi auquel nous devons répondre en débattant aujourd'hui. La gestion de la crise a besoin d'unité et d'acquiescement démocratique. Chacun des sujets qui nous sont soumis doit nous ramener à cette double exigence. L'institution d'un état d'urgence sanitaire, dont le groupe Socialistes et apparentés comprend l'esprit, doit conduire à trouver un équilibre entre maintien de l'ordre public et sauvegarde de la santé d'une part, protection des droits et des libertés constitutionnellement garantis d'autre part. C'est pour notre groupe une exigence aussi grande que la crise elle-même.

Autant le dire : le projet de loi, dans sa rédaction initiale, n'avait pas trouvé cet équilibre, et il nous faut, toutes sensibilités politiques confondues, dans un dialogue avec l'exécutif, résister à la tentation d'instituer des exceptions aux législations d'exception. Le Sénat, sur ce point, a amélioré considérablement le projet du Gouvernement sans aucunement empêcher une action diligente de l'exécutif car, en faisant du présent texte le vecteur du déclenchement de l'état d'urgence sanitaire, il permet au Parlement d'en définir les conditions de l'entrée en vigueur et de le valider.

De même, en inscrivant noir sur blanc les mesures précises relevant de l'état d'urgence sanitaire, le Parlement exerce pleinement son rôle de législateur au regard du respect du principe de proportionnalité des pouvoirs exceptionnels ainsi dévolus. En assurant au Parlement un niveau de contrôle sur l'exercice par le Gouvernement de ces pouvoirs exceptionnels comparable à celui prévu par la loi de 1955, l'équilibre des pouvoirs va être ainsi préservé, de même que par la disposition qui prévoit la caducité du dispositif au 1er avril 2021. Nous souscrivons pleinement au travail qu'a mené la Haute assemblée et voulons croire que le Gouvernement et la majorité s'y rangeront avec sagesse.

S'agissant des mesures d'urgence économiques et sociales, si nous acquiesçons à beaucoup des annonces auxquelles elles ont donné lieu, force est de constater qu'elles renvoient à des ordonnances de portée très large, parfois imprécise et souvent exorbitante tant sur le plan économique, social qu'institutionnel. Si l'on en comprend la nécessité, de telles ordonnances posent d'évidence la question de la place du Parlement et des partenaires sociaux, et plus globalement la question du fonctionnement de nos institutions en situation de crise – peut-être une commission spéciale siégeant au long cours, dans chacune des chambres, aurait-elle pu remplir avec la même diligence cet office.

Les mesures seront, nous dit-on, temporaires, sans pour autant que l'on n'en soit complètement certain, mais si vous nous avez rassurés en disant qu'elles n'excéderont pas la durée de la crise elle-même. Elles devront en tout état de cause être strictement nécessaires et proportionnées, en particulier lorsqu'il s'agira des droits sociaux des Françaises et des Français ou de dérogations au code du travail. Nous devons aux Français protection en toute circonstance et en toute matière, y compris économique ou sociale. Ainsi, les dérogations au temps de travail ou aux prises de jours de congé ne sauraient à notre sens relever d'une décision unilatérale des employeurs : des accords collectifs, procédure que réclament à l'unisson les partenaires sociaux, nous paraissent à tout le moins nécessaires.

Enfin, les nouvelles dispositions électorales doivent permettre la continuité de la république du quotidien qu'incarnent nos maires et de garantir le respect du suffrage qui s'est exprimé dimanche dernier. Car oui, il y a bien eu un vote et, dès le premier tour, 300 000 conseillers municipaux ont été élus dans près de 30 000 communes. Dimanche prochain, ils ne s'installeront pas. Nous nous rangeons à l'avis du conseil scientifique parce que nous avons le sens des responsabilités et le souci de la santé de nos concitoyens, mais nous ne pouvons ignorer que l'on a besoin, plus encore dans cette crise, de la mobilisation de tous et d'abord de ce formidable réseau d'élus qui maille notre territoire et assure la continuité de la République.

Oui, nous devons prendre soin des Français, prendre soin de la France, mais également prendre soin de la République. Tel est le sens, monsieur le Premier ministre, des amendements que les socialistes ont défendus hier au Sénat et de ceux qu'ils soutiendront aujourd'hui à l'Assemblée, dans le respect exigeant, et j'en suis sûr partagé, de l'unité nationale en démocratie, unité qui sera aussi votre force dans cette guerre. Le péril nous est commun, la lutte le sera également. La France, notre grande nation, surmontera cette épreuve et montrera le meilleur d'elle-même.

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