Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du samedi 21 mars 2020 à 9h30
Urgence face à l'épidémie de covid-19 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

C'est le printemps, mais personne n'en parle. Tous les esprits sont occupés ailleurs, tendus vers ceux qui nous soignent, vers ceux en train de chercher des remèdes qui nous soulageraient des perspectives sombres que vous avez dessinées, monsieur le Premier ministre, perspectives qui reflètent bien un langage de vérité nécessaire. C'est la raison pour laquelle l'ensemble des Français doivent observer les consignes de « distanciation sociale » – expression un peu barbare qui signifie tout simplement de maintenir des distances entre chacun pour se protéger les uns et les autres – , ce qui nécessite aussi que nous soyons capables de nous rassembler dans cet hémicycle face à une telle épidémie. Vous et nous avons la responsabilité de trouver dans l'urgence des moyens de mieux protéger la France et les Français des conséquences sanitaires de cette épidémie mais également de ses conséquences économiques, sociales et démocratiques.

C'est l'objet du projet de loi ou des projets de loi que vous nous demandez d'examiner aujourd'hui, un jour d'équinoxe – le jour où la nuit, avec ses frayeurs, et le jour, avec ses espoirs, sont à égalité, et où l'espoir n'est pas encore là. C'est à nous de nous efforcer de le construire, en essayant d'éviter au maximum le pire.

Dans ce texte, vous nous proposez d'abord de créer un état d'urgence sanitaire. Nous vous soutiendrons pleinement, y compris sans les restrictions que le Sénat a voulu imposer.

Monsieur le Premier ministre, nous ne pourrons pas légiférer à la vitesse de propagation du virus. J'ai donc suggéré la semaine dernière au président Ferrand que nous puissions voter des habilitations très larges à légiférer par ordonnances, pour permettre au Gouvernement de faire face à la situation : nous voyons bien que nous légiférons selon un mode dégradé et que, malgré tout, cela prend du temps. Voilà pour un premier élément.

Toutefois, monsieur le Premier ministre, cet état d'urgence sanitaire doit être revisité. Le Sénat a prévu cette disposition, ce qui nous paraît très bien, et il faudra qu'après la crise, la conférence des présidents de notre assemblée puisse lancer une commission d'enquête permettant d'améliorer la législation que nous sommes en train d'adopter – car du fait de sa rapidité, celle-ci aura par définition ses imperfections.

Deuxième grande disposition de votre texte : l'habilitation très large donnée au Gouvernement de prendre des ordonnances permettant de faire face à des conséquences économiques et sociales, ainsi que des mesures de diverses natures, notamment réglementaire, en matière de garde d'enfants ou d'ouverture de telle ou telle structure d'accueil. Ces ordonnances sont nécessaires.

Cependant, monsieur le Premier ministre, nous avons une demande à formuler. Comme l'ont dit plusieurs des orateurs qui se sont exprimés, cela signifie que nous nous départissons, pendant un certain temps, de la capacité de faire la loi. Certes, les ordonnances devront être ratifiées ultérieurement, mais on sait bien que les ratifications ne font jamais débat. Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez besoin du Parlement, et je le crois aussi. Cela signifie que nous devons pouvoir travailler par visioconférence afin que les groupes parlementaires puissent, sinon amender les ordonnances – ce qui serait inconstitutionnel – , être associés à leur rédaction. C'est ce que Nicole Belloubet a accepté pour l'ordonnance de 1945, et cela fonctionne bien.

Cela est d'autant plus nécessaire, monsieur le Premier ministre, que nous en avons vu un exemple à propos de la verbalisation des comportements irresponsables, que le texte réservait aux policiers et aux gendarmes : sans le Parlement – en l'occurrence le Sénat – , la police municipale n'aurait pas pu y procéder, au moment même où vous voulez accroître la répression de ces comportements qui nous mettent tous en danger. Voilà un exemple de ce que le Parlement peut apporter. En effet, l'administration, qui a ses qualités et ses compétences, et qui travaille énormément en ce moment, ne peut pas toujours embrasser l'ensemble des situations auxquelles nous sommes plus largement confrontés.

Par ailleurs, les outre-mer doivent absolument être inclus dans l'ensemble des dispositifs relatifs au champ économique, y compris la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, car ces questions relèvent de leur responsabilité et la solidarité nationale devra pleinement jouer.

Enfin, ces ordonnances ne peuvent être que temporaires : j'imagine que le Gouvernement s'engage à ce que dès après la crise, toutes les dispositions législatives reviennent à l'état antérieur du droit, car il ne s'agit que de traverser la tempête.

Un mot des conséquences démocratiques de la crise. Vous avez eu raison d'organiser le premier tour des élections municipales, puisque les scientifiques disaient que c'était possible, et d'annuler le second tour, puisqu'ils nous ont expliqué, lorsque vous nous avez réunis, qu'il était impossible d'y procéder dans des conditions sanitaires satisfaisantes. Le report des conseils municipaux est une bonne décision mais, à titre personnel et comme je vous en ai déjà fait part, monsieur le Premier ministre, je suis en désaccord avec vous sur un point : là où les élections n'ont pas été conclusives et où les conseils municipaux n'ont pas été élus au complet, il n'est pas possible d'organiser démocratiquement une élection au deuxième tour trois mois après le premier. Les conditions auront tellement changé que la dissociation du premier et du deuxième tours aura de fait pour conséquence de vicier ces élections. Nous aurions dû choisir de rejouer le premier tour dans ces communes qui, de surcroît, sont beaucoup plus disputées, puisque le résultat n'y a pas été conclusif avec un taux de participation abaissé.

Une dernière demande, monsieur le président, à propos du projet de loi organique, dont nous n'avons pas beaucoup parlé au cours de la présentation de ces textes.

Monsieur le Premier ministre, beaucoup des mesures que nous prenons portent atteinte à des libertés, et c'est nécessaire pour pouvoir garantir la sécurité des Français. Le projet de loi organique prévoit que l'examen des QPC, les questions prioritaires de constitutionnalité, sera reporté de plusieurs mois. Je souhaiterais que le Gouvernement accepte un amendement visant à ce que toutes les QPC non prioritaires soient reportées, à l'unique exception de celles portant sur des dispositions du texte que nous allons adopter ce week-end. Il serait en effet dramatique que nous votions un projet de loi organique ayant pour effet que le projet de loi d'urgence ne puisse pas faire l'objet de questions prioritaires de constitutionnalité. C'est une nécessité pour garantir l'équilibre entre nos libertés fondamentales et la nécessité de sécuriser les Français.

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