Intervention de Serge Letchimy

Séance en hémicycle du jeudi 9 novembre 2017 à 9h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons d'un sujet central, que je voudrais aborder à ma manière, qui ne sera pas très orthodoxe.

Madame la ministre, je veux tout d'abord exprimer mon soutien personnel à votre égard. Votre combat peut être le nôtre. Mais comprenez bien que je sois amené à relever dans ce projet de budget quelques insuffisances que nous jugeons assez graves.

Il est très clair que nous changeons de paradigme. À mon sens, le développement des pays d'outre-mer arrive à une fin de cycle : les systèmes actuels sont éculés, les inégalités sont croissantes, le taux de chômage atteint 20 % – 30 % à La Réunion – , l'indifférence face aux catastrophes que nous subissons est incroyable. Je citerai tout à l'heure quelques exemples.

Comment, madame la ministre, pouvons-nous justifier devant la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et les autres départements et régions d'outre-mer, une chute des financements de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité – LADOM – , alors que le Président de la République a fait de la mobilité une priorité ? Comment pouvons-nous accepter que la politique du logement soit mise à mal, avec une diminution brutale de 24 millions d'euros de l'aide à l'amélioration de l'habitat ? Elle est un outil de lutte contre les inégalités et, à cause de cette baisse de crédits, les gens qui se trouvent dans une situation extrêmement difficile ne seront plus en mesure de réhabiliter leur logement.

Comment expliquer que les crédits de l'accession sociale diminuent de près de 13 millions d'euros, alors que les opérations de résorption de l'habitat insalubre imposent le relogement de nombreuses familles ? Avec la suppression de l'aide personnalisée au logement – APL – accession, conforme à la philosophie du Gouvernement, nous subissons une double peine. Comment expliquer que, sur le fonds exceptionnel d'investissement, nous ne touchions que 40 millions d'euros, alors que les estimations financières étaient beaucoup plus élevées sous le précédent gouvernement ? Où sont passés les fonds liés au plan d'investissement global de 1 milliard d'euros sur l'ensemble de l'outre-mer ? Sans doute allez-vous me répondre qu'on attend les conclusions des Assises…

Comment se fait-il que l'on n'encourage pas davantage la coopération régionale, qui nous permettrait, en outre-mer, de nous réconcilier avec ce que j'appelle notre géographie cordiale ? Je suis Serge Letchimy, Martiniquais. Mais je suis aussi un Caribéen, de même que les habitants de La Réunion ont, avec leur bassin maritime transfrontalier, une intimité particulière. Je considère que je fais partie de la République, mais la zone d'expansion et de développement de mon territoire se trouve avant tout dans la Caraïbe. La diplomatie territoriale doit donc être remise à l'ordre du jour.

Comment expliquer que les crédits alloués à LADOM soient en baisse ? Comment expliquer que le fonds de secours créé après la catastrophe de l'ouragan Irma ne s'élève qu'à 10 millions d'euros et que le plan « Séisme » ait fait l'objet de coupes sombres, alors que nous ne sommes pas à l'abri de ce danger ?

Enfin, comment expliquer qu'aucun signe ne soit donné quant à l'application de la loi relative à l'égalité réelle ? Cette loi a été débattue ici même et elle a été approuvée à l'unanimité. J'avais dit à votre prédécesseur, M. Victorin Lurel, qu'il ne pouvait pas y avoir d'égalité réelle sans émancipation réelle. J'entends par là qu'il faut absolument réinstaurer dans nos pays la responsabilité du développement économique endogène – je n'ai pas peur de ce terme – , de façon à nous sortir de la triple dépendance dans laquelle nous nous trouvons, à commencer par cette dépendance budgétaire, que vous ne souhaitez pas non plus.

Le signal qui a été envoyé avec la suppression des contrats aidés montre bien que la solidarité d'État ne suffira pas et que nous avons besoin de cette forme d'émancipation qui nous permet de lutter contre les inégalités, d'investir localement, de reprendre contact avec notre biodiversité, de reconstituer des politiques de développement nous rendant plus autonomes localement, ne serait-ce qu'en matière d'alimentation, de retrouver le chemin d'une production énergétique qui ne soit pas strictement dépendante du pétrole et de sortir de l'économie de comptoir. Pour cela, il faut libérer les esprits, libérer les énergies, structurer et responsabiliser la gouvernance. C'est ce que nous demandons. Nous ne voulons pas rester dans une forme de dépendance mécanique.

Vous ne pouvez pas nous renvoyer aux conclusions des Assises quand nous vous interrogeons sur l'application de la loi sur l'égalité réelle, car celle-ci leur est antérieure.

Madame la ministre, certaines choses sont acceptables et d'autres ne le sont pas. Je partage le point de vue du député Olivier Serva, qui réclame un moratoire sur la défiscalisation, en attendant d'aller plus loin. Si nous pouvons aider le secteur fondamental qu'est le tourisme, si nous pouvons mettre en oeuvre un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité – POSEI – pour la pêche ou la diversification, nous sortirons des mécanismes dont nous ne voulons plus, nous cesserons d'être dans l'humiliation permanente et surtout dans la dépendance, dont nous ne voulons pas.

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