Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mercredi 8 avril 2020 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. :

Il est essentiel de garder le contact avec votre commission en ces temps difficiles, d'autant que mon ministère est appelé à jouer un rôle important pour répondre à cette crise sanitaire d'une extrême gravité. Trois priorités nous guident.

Premièrement, nous devons répondre à la situation de nos ressortissants, qu'ils soient de passage à l'étranger ou résidents.

Grâce à la mobilisation du centre de crise ainsi que des postes et consulats à l'étranger, vous l'avez dit madame la Présidente, 150 000 retours de Français voyageant à l'étranger ont été organisés. Quelques milliers de personnes restent à rapatrier. Nous nous occupons de toutes les situations, la plupart du temps dans des espaces sans circulation aérienne, ni même de vols intérieurs, où les frontières et les aéroports sont fermés. Des difficultés particulières ont été rencontrées au Pérou ainsi qu'aux Philippines. Ce mouvement exceptionnel, un peu long, a bénéficié d'un mécanisme conjoint inédit impliquant aussi le secrétaire d'État chargé des transports et Air France, qui a su jouer le jeu avec ses filiales. Des affrètements spécifiques avec d'autres compagnies aériennes ont également été organisés.

Nous avons fait tout ce qui était humainement possible pour remplir au mieux cette mission, dans 140 pays. Nos compatriotes, parfois un peu impatients au début, ont surtout fait preuve de compréhension et pris conscience de la difficulté de ces rapatriements, que nous poursuivrons jusqu'au bout. Je pourrai revenir au cours de la discussion sur la situation particulière des participants au PVT, notamment les étudiants.

À côté des Français qui voyageaient à l'étranger, il y a les 3 à 3,5 millions de Français de l'étranger – 2 millions sont officiellement inscrits –, qui exercent un rôle d'influence capital dans les pays où ils ont élu domicile. Nous leur recommandons de rester confinés chez eux, en respectant les gestes barrières ainsi que les principes de distanciation sociale et en appliquant scrupuleusement les consignes des autorités locales. Nous convions les personnes en situation de vulnérabilité, notamment sanitaire, à se faire connaître auprès des ambassades et consulats : nos équipes prendront des mesures au cas par cas. Parallèlement, nous travaillons à un dispositif de soutien sanitaire, adapté à chaque pays, notamment les plus vulnérables.

Deuxième priorité, la construction d'une réponse européenne coordonnée, à la hauteur des enjeux. Chacun l'a constaté, et la présidente de la Commission européenne l'a reconnu, la machinerie européenne a connu un retard à l'allumage. D'abord, parce que personne n'avait anticipé une crise d'une telle ampleur. Ensuite, parce que la santé n'a jamais été au coeur des compétences de l'Union européenne. Enfin, parce que, face à l'urgence, certains États ont eu la tentation de réagir en ordre dispersé.

Aujourd'hui, la solidarité est au rendez-vous. Les États membres coordonnent leurs mesures sanitaires qu'il s'agisse du confinement, qui se généralise, de la gestion des frontières communes pour limiter la propagation du virus ou des efforts conjoints pour organiser les retours des ressortissants européens par le mécanisme de protection civile de l'Union européenne. Enfin, la coopération s'est manifestée concrètement par l'accueil de patients français en Allemagne, en Suisse et en République tchèque.

L'Union européenne a également pris des mesures exceptionnelles pour soutenir l'économie, d'abord en mobilisant les outils existants à des niveaux inédits. Outre les 750 milliards de rachats d'actifs annoncés par la Banque centrale européenne (BCE), 37 milliards d'euros de fonds structurels ont été mis à disposition et la Banque européenne d'investissement (BEI) s'est engagée à verser 40 milliards pour financer les petites et moyennes entreprises (PME). Un instrument d'aide d'urgence et une réserve stratégique de matériel de protection ont été créés, alors que 187 millions supplémentaires serviront à activer la recherche sur un vaccin et que des commandes groupées de matériel d'équipement et de protection ont été réalisées. Surtout, l'Union a décidé de lever les tabous budgétaire et réglementaire, notamment en assouplissant les règles du pacte de stabilité et de croissance, et celles relatives aux aides d'État.

Une troisième phase est en cours. J'ai pu échanger avec Bruno Le Maire sur les discussions, qui ont commencé hier, visant à anticiper la sortie de crise et à mobiliser des financements pour un plan de relance. L'Union avancerait vers un accord d'environ 500 milliards d'euros, qui mobiliserait jusqu'à 200 milliards au profit des entreprises grâce à un fonds dédié de la Banque européenne d'investissement et 240 milliards d'euros de lignes de crédit au sein du mécanisme européen de stabilité (MES), dont les conditions seraient assouplies pour aider les États à engager les dépenses, notamment de santé. Enfin, l'initiative de soutien temporaire à l'atténuation des risques de chômage en situation d'urgence (SURE) de la Commission européenne permettrait de financer les systèmes nationaux de chômage partiel à hauteur de 100 milliards.

La discussion se poursuivra demain sur un fonds de relance et d'investissement, visant à emprunter en commun, tant pour investir dans la santé et le secteur hospitalier, que pour affecter des capacités financières aux secteurs les plus en difficulté, comme l'automobile et l'aéronautique. Le Président de la République s'engage activement pour un tel mécanisme, qui financerait la reprise de l'économie, en accord avec ces priorités et, surtout, en solidarité avec les pays européens les plus touchés. J'espère que les discussions aboutiront à la création de ce fonds de solidarité, souhaité par de nombreux pays membres.

La troisième priorité a trait à l'Afrique. Je condamne très fermement les propos choquants, et même moralement et humainement scandaleux insinuant que des expérimentations pourraient être menées sur des Africains. Je ne partage pas non plus les analyses et prédictions catastrophiques, même si certaines proviennent de services de mon propre ministère.

Cela étant, la situation en Afrique appelle à une grande vigilance. Si ce continent a été touché plus tardivement par la pandémie, dont le centre se situe actuellement en Europe et aux États-Unis, la quasi-totalité des pays africains – cinquante-deux sur cinquante-quatre – est désormais touchée. Le nombre de cas y augmente de jour en jour. La vague n'a pas encore atteint l'Afrique, mais elle monte. Or, les systèmes de santé y sont fragiles, avec une offre de soins limitée, des difficultés d'approvisionnement pharmaceutique, un manque criant de ressources, y compris humaines. La stratégie de confinement décidée en Europe risque d'être difficile à appliquer dans des pays où priment l'économie informelle et l'agriculture vivrière, au jour le jour.

Dans ces conditions, notre devoir et notre intérêt sont d'agir pour aider l'Afrique à faire face. C'est un impératif de solidarité internationale envers des pays amis auxquels nous rattachent des liens puissants ; un impératif sanitaire, pour écarter la menace d'un effet boomerang, qui nous atteindrait demain, en phase de déconfinement ; un impératif sécuritaire enfin, car les terroristes continuent à frapper. Il n'est pas question d'abandonner dans l'adversité les populations réfugiées et déplacées. C'est pourquoi une vigilance et une assistance particulières sont indispensables.

Pour aider l'Afrique à tenir, nous devons d'abord soutenir les efforts africains. Le Président de la République multiplie les appels à ses homologues et prendra des initiatives rapidement à ce sujet. Les chefs d'État africains, préoccupés par les mesures à appliquer, appellent à la solidarité, et la Commission de l'Union africaine est acteur dans la préparation de cette initiative.

Il s'agit aussi de mobiliser d'importants moyens financiers pour construire la réponse sanitaire, en renforçant les systèmes de soins comme les capacités de détection et de recherche scientifique, et en menant des actions de sensibilisation des populations aux gestes barrières, afin de créer une mobilisation considérable sur l'urgence sanitaire. La France prendra part à cet effort en réorientant une partie substantielle de son aide bilatérale sur les enjeux alimentaires et de santé, à hauteur de 1,2 milliard d'euros.

L'Union européenne y contribuera aussi : les ministres chargés du développement se réunissent en ce moment même pour mobiliser les 15 milliards d'euros annoncés hier par Mme von der Leyen afin d'agir au niveau sanitaire et alimentaire, notamment en Afrique.

L'action sera menée en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), un outil essentiel du multilatéralisme sur lequel le Président de la République a insisté. Une partie non encore mobilisée des fonds affectés à la lutte contre le sida, qui sont en augmentation, pourra être réaffectée à la lutte contre la pandémie, sachant que ce dispositif bénéficie de nombreux relais sur le territoire africain.

La troisième orientation pour l'Afrique concerne l'urgence humanitaire : il est primordial d'y assurer la sécurité alimentaire, compte tenu de la fermeture des marchés et des moyens de communication. J'ai dit au Secrétaire général des Nations unies que nous soutenons le plan du Programme alimentaire mondial (PAM).

Enfin, il faut envisager un moratoire sur le paiement des intérêts et entendre les appels à la restructuration de la dette. Nous devons contribuer au plan de soutien des économies africaines sous l'égide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Nous appelons nos partenaires du G7 et du G20 à se mobiliser avec nous, dans le cadre de propositions concrètes et rapidement applicables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.