Intervention de Olivier Garnier

Réunion du jeudi 9 avril 2020 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l'international de la Banque de France :

Nous avons effectué, la semaine dernière, une enquête mensuelle de conjoncture auprès de 8 500 entreprises et, sur la base des données recueillies, effectué un calcul aboutissant à des résultats très proches de ceux de l'INSEE, ce qui est « rassurant ». Dans les circonstances actuelles, nous avons obtenu un taux de réponse de l'ordre de 85 %, contre 90 % à 95 % habituellement. Cette enquête, réalisée au terme des deux premières semaines de confinement, permet de disposer d'une photographie de ce qui se passe dans les entreprises, secteur par secteur.

On constate, dans le secteur de l'industrie, une chute brutale mais inégale de l'activité en mars. Pour ce qui est du nombre moyen de jours de fermeture exceptionnelle, les dix jours et demi de confinement en mars, hors week-ends, se sont traduits par des fermetures d'un ou deux jours seulement pour les secteurs pharmaceutique, agroalimentaire et chimique, mais de sept ou huit jours pour l'habillement, l'automobile ou les équipements électriques.

Quant à l'échelle de variation de l'activité, qui s'établit habituellement dans une proportion allant de – 200 à + 200 en termes de solde d'opinion, elle fait apparaître une diminution globale proche de 110 – mais atteignant 170 pour l'automobile, 140 pour la métallurgie et les machines et équipements –, alors qu'on n'était descendu qu'à – 20 au niveau global en 2008-2009. L'agroalimentaire, la pharmacie et la chimie sont, eux, beaucoup moins touchés.

L'analyse du taux d'utilisation des capacités de production montre que, si la moyenne habituelle est de l'ordre de 80 % et que le point bas se situait aux alentours de 70 % en 2008-2009, nous sommes passés de 78 % en février à 56 % en mars, avec la même répartition entre secteurs que celle que je viens d'évoquer pour la variation d'activité.

Pour ce qui est des services marchands, on constate quatorze jours de fermeture dans la restauration – pour ce secteur, il faut tenir compte des week-ends. En termes d'évolution de l'activité dans ces services, les baisses les plus modérées sont celles des services informatiques, des activités juridiques et comptables ainsi que de programmation et de conseil ; les secteurs les plus affectés sont l'hébergement et la restauration, la réparation automobile et l'intérim.

Les résultats par secteur de cette enquête nous ont permis de déduire une chute de 6 % du PIB pour le premier trimestre de 2020.

Nous nous sommes refusés à faire les habituelles prévisions annuelles de fin de trimestre – nous aurions dû publier fin mars celles pour 2020, 2021 et 2022 –, car elles reposent sur trois paramètres : la durée totale du confinement, qu'on ne connaît pas encore ; le déconfinement – sera-t-il progressif, sélectif ? ses modalités seront-elles différentes selon les pays ? – ; le rattrapage de l'activité. La seule référence dont nous disposons d'une baisse du PIB de même ampleur que ce mois-ci depuis l'après-guerre est le deuxième trimestre de 1968 avec une baisse de 5 %, mais, dès le troisième trimestre, le rebond avait atteint 8 %. Nous ne serons probablement pas dans ce scénario.

Si le confinement représente une baisse de PIB de trois points par mois et que l'on estime qu'il va durer six semaines, la baisse sera de 4,5 points par rapport à la moyenne annuelle. Ensuite, tout dépendra de la rapidité du retour à la normale. Nous pourrions être à moins de 4,5 en cas de rattrapage mais, inversement – et ce scénario semble le plus vraisemblable –, si le retour à la normale se fait graduellement, la baisse pourrait être plus importante.

Le soutien à la trésorerie des entreprises est un élément clé pour assurer qu'une entreprise viable avant la crise ne chute pas durant celle-ci. Notre enquête d'opinion sur la situation de trésorerie des entreprises, réalisée fin mars, souligne une forte dégradation dans l'industrie et dans les services, de même niveau que celle de 2008-2009 dans l'industrie mais également, ce qui est plus étonnant, dans les services, alors qu'habituellement ce secteur est moins cyclique. Il faut garder en tête que l'enquête a été réalisée au moment du lancement du dispositif de prêts garantis par l'État. Les entreprises n'avaient sans doute pas encore reçu les fonds, qui peuvent aller jusqu'à 25 % de leur chiffre d'affaires annuel. Il serait donc intéressant de connaître l'évolution à la fin du mois prochain.

Pour finir, l'Eurosystème a massivement agi, tant en matière de politique monétaire que sur les règles macro-prudentielles et micro-prudentielles. Face au choc, la priorité en matière monétaire est d'assurer la continuité du financement de l'économie et de faire en sorte que le système bancaire et les marchés fonctionnent et financent, autant que possible, toute l'économie. Deux outils sont utilisés. Pour les inciter à assurer le financement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), les banques ont bénéficié d'opérations de refinancement à plus long terme, dites TLTRO 3, sous la forme de prêts à trois ans à des taux très attractifs, qui peuvent atteindre – 0,75 % si la banque maintient ses encours de crédits par rapport à la période précédente. Le montant engagé est colossal : environ 3 000 milliards d'euros, soit 25 % du PIB de la zone euro.

Le deuxième instrument est constitué par les achats d'actifs de la BCE sur les marchés en titres de dettes privées et publiques, pour un montant de 1 000 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année, soit près de 9 % du PIB. Le programme d'achat urgence pandémique (PEPP) de 750 milliards, annoncé le 18 mars, sera encore plus flexible que l'actuel programme d'achat d'actifs (APP) s'agissant des proportions nationales d'achats et des ratios d'emprise – la BCE n'achète normalement pas plus de 33 % de la dette ou de la ligne d'émission de dette d'un pays.

L'assouplissement est également prudentiel afin que les banques puissent davantage prêter durant cette période. À la différence de la crise de 2008, massivement bancaire, ce sont actuellement les entreprises non financières qui sont touchées. Les banques sont désormais bien capitalisées et nous avons pu abaisser leur coussin contra-cyclique de 0,25 % à 0 %. L'entrée en vigueur de Bâle 3 a également été repoussée d'un an et les superviseurs ont pris d'autres mesures très techniques.

Les effets de cette politique se font déjà sentir. Le marché de la dette est relancé : la semaine dernière, de grandes entreprises françaises ont beaucoup émis alors qu'elles n'y arrivaient plus au début de la crise. Le marché des billets de trésorerie, sur lequel les entreprises financent leur trésorerie de très court terme, est à nouveau liquide depuis que la BCE achète ces billets. Enfin, les spreads souverains – les écarts de taux des pays de la zone euro – par rapport à l'Allemagne, qui avaient atteint un plafond mi-mars, se sont aussi sensiblement repliés, y compris celui de l'État français.

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