Intervention de Laurence Boone

Réunion du jeudi 9 avril 2020 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Laurence Boone, cheffe économiste de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) :

Le confinement vise à étaler la propagation de la maladie dans le temps afin de construire des capacités pour la traiter. Il est donc, en effet, très difficile de faire des prévisions sans en connaître la durée totale. L'OCDE a procédé de la même façon que l'INSEE ou la Banque de France, au niveau international, en analysant l'impact initial, non encore amorti par les politiques économiques mises en place à cet effet.

Le choc est au moins aussi fort, sinon plus, que celui provoqué par la crise financière et il a la particularité de toucher massivement la consommation et le secteur des services. Nous faisons beaucoup d'efforts pour estimer ce qui se passe en temps réel, avec une multiplicité d'indicateurs qui ne sont pas encore totalement satisfaisants – consommation d'électricité, niveau de pollution, mobilité dans les villes, mobilité aérienne, etc. Nous travaillons également avec les agences comme LinkedIn pour évaluer de manière comparable dans tous les pays les évolutions sectorielles de l'emploi.

Nous avons dû faire un certain nombre d'hypothèses sur la fermeture, totale ou partielle, de certains secteurs pour aboutir à cette estimation initiale du premier choc, pays par pays. Le graphique reflète surtout la différence d'importance relative de chaque secteur dans les économies nationales. Ainsi, en Grèce, plus qu'en Espagne ou en Allemagne, le secteur touristique est particulièrement touché. Nos premières estimations sont du même ordre de grandeur que celles de l'INSEE ou de la Banque de France, de – 2 % à – 3 % de PIB annuel par mois de confinement.

Désormais, nous allons essayer d'estimer l'impact de la baisse de la demande des pays avec lesquels chaque pays avait l'habitude d'échanger des biens ou de services. Nous arrivons, pour le moment, à des chiffres de l'ordre de 35 %, proches de ceux de l'INSEE, les variations étant liées à la plus ou moins grande ouverture de chaque pays au commerce et aux échanges internationaux.

S'agissant de la consommation, nos estimations sont également similaires, même si le choc sera probablement plus important aux États-Unis où la consommation représente 70 % du PIB quand la moyenne de l'OCDE est d'environ 50 %.

Nous avons également estimé les conséquences sur les emplois dans les secteurs très exposés au choc, qui sont aussi ceux où les risques de pertes définitives d'emplois sont les plus importants : commerce de détail, commerce de gros, réparation et entretien des voitures, hôtels, restauration, loisirs, cinéma. Ces derniers secteurs risquent d'être confinés plus longtemps que les autres. En outre, l'impact est différent d'un pays à l'autre. Ainsi, en Espagne, on parle de 12 % à 13 % de l'emploi, ce qui est colossal.

Les gouvernements et les banques centrales des différents États ont pris de nombreuses et importantes mesures en faveur des particuliers et des entreprises. Il nous est difficile de mesurer l'impact des efforts supplémentaires qui ont été consentis dans le secteur de la santé. Le fait est que d'importantes dépenses additionnelles ont été engagées par la plupart des pays de l'OCDE qui, hormis la Corée, le Japon et Taïwan, qui avaient vécu les épisodes du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) en 2003 et du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) en 2005, n'étaient pas préparés. Ont ainsi été décidés l'octroi de primes ou des réductions d'impôts sur le salaire des personnels de santé, ou des exemptions de taxes, notamment de TVA, sur les équipements ou les productions pharmaceutiques.

La plupart des pays européens membres de l'OCDE ont mis en place des mesures exceptionnelles de soutien de l'emploi sous forme de chômage partiel, reprenant un dispositif développé en Allemagne pendant la crise financière mais selon des modalités différentes d'un pays à l'autre, agissant sur la proportion de salaire versée ou la prise en charge des cotisations de sécurité sociale. À l'inverse, aux États-Unis, en deux semaines, plus de dix millions de personnes se sont retrouvées au chômage – c'est un record historique absolu. On peut donc se féliciter de disposer de ce filet de sécurité sociale et de ces stabilisateurs automatiques en Europe.

Dans tous les pays de l'OCDE, les entreprises bénéficient de réductions ou de reports de leurs charges, de leurs contributions de sécurité sociale, de leurs impôts. Beaucoup de dispositifs ciblent les PME, afin de soutenir leur trésorerie. Dans certains pays de l'OCDE hors zone euro, en Suisse ou au Royaume-Uni, par exemple, les États garantissent 100 % des prêts bancaires aux PME.

Le soutien est donc généralisé au sein de l'OCDE, ce qui conforte la stratégie française. On constate deux types de soutien budgétaire dans tous les pays, la France se situant dans la moyenne : les dépenses directes – santé, paiement du chômage partiel, etc. – mais aussi les dépenses indirectes, en dessous de la ligne du bilan, qui comprennent notamment les garanties et les reports de charges. Ces dernières sont particulièrement considérables. Ainsi, en Allemagne, on est proche des 28 points de PIB en garanties ! L'intérêt de mettre ces éléments hors bilan est que, si la situation dure ou si le virus revient, une partie d'entre eux ira s'ajouter non pas au déficit mais à la dette, sans que l'on puisse encore évaluer dans quelles proportions.

Nous avons tenté de représenter sur un schéma les différentes hypothèses de sortie du confinement et ses phases. Avec nos collègues du département de la santé, nous sommes particulièrement attentifs à une hypothèse que peu de gens ont en tête : le fait que le virus ne disparaîtra peut-être pas avec l'été, pour plusieurs raisons. En Occident, peu de gens seraient infectés. Selon le professeur Neil Ferguson, qui conseille de nombreux gouvernements, le taux d'infection serait d'environ 15 % en Espagne, de 10 % en Italie et de seulement 3 % en France. On ne peut donc pas parler d'immunité collective. En outre, les systèmes de santé des pays en développement n'ont rien à voir avec ceux des pays de l'OCDE. L'épidémie risque d'y être très forte. Il va donc être difficile d'ouvrir les frontières rapidement et le virus risque de revenir.

Nous sommes actuellement en phase 1 : la plupart des pays ont mis en place des mesures de confinement et certains pays arrivent à réaliser un nombre important de tests. Quand le taux d'infection et de contagion va baisser, nous pourrons passer à la phase 2, une sortie très graduelle et progressive du confinement, qui nécessitera une extension des capacités de nos systèmes de santé à tester et traiter, car le vaccin ne sera pas encore prêt. Il nous faudra aussi fournir des masques et assurer la sécurité sanitaire sur les lieux de travail. À ce stade, les frontières seront toujours contrôlées et certains secteurs resteront fermés – comme les grands spectacles ou ceux qui impliquent des rassemblements de masse. Le soutien budgétaire et monétaire sera toujours nécessaire, même si le soutien budgétaire pourra peut-être évoluer pour se concentrer sur les secteurs toujours confinés.

Mais il n'est pas exclu – le risque nous semble même assez élevé – qu'en fonction du relâchement des comportements, le virus soit de retour en octobre ou novembre. Dans ce cas, une nouvelle période de confinement serait nécessaire, peut-être moins stricte puisque notre système de santé serait mieux armé, mais elle constituerait un nouveau choc pour l'activité.

Ce n'est que lorsque nous aurons développé une immunité collective et disposerons probablement de médicaments ou d'un vaccin que nous entamerons la phase 3 et pourrons rouvrir nos frontières. Le soutien budgétaire et monétaire restera utile à la remise en route et à la reconstruction de nos activités. En outre, le poids relatif des secteurs va peut-être évoluer et il faudra donc aider à la réaffectation de ressources.

En conclusion, du point de vue de la méthode comme des résultats, la France est à peu près en ligne avec l'ensemble des pays du monde, même si l'impact de la crise est plus fort dans ceux d'entre eux qui ont un secteur touristique particulièrement important. J'ajoute que les pays émergents subissent, en plus de l'épidémie, de graves secousses financières, dont l'effet retour risque d'être important sur les économies développées.

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